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L'Abbé Pierre ou le cri d'un appel à plus d'humanité

Il y a un siècle, naissait Henri Grouès, pour toujours « l'Abbé Pierre », figure libre et originale dans l'Eglise et dans le monde.
Publié le 23/08/2012

Sans doute, dans la lignée d’un Dietrich Bonhoeffer qui lutta contre le nazisme, pressentit-il que l’Institution ecclésiale, si elle devait "dévoiler" l’autre rive, ne pouvait le faire avec crédibilité et vérité qu’en habitant autrement notre rive.

« L’insurgé de Dieu » ouvrit une voie, désormais mieux partagée, observant que l’insurrection était nécessairement une mobilisation de tous les "volontaires de l’espoir".

L’Abbé, passionné de justice, saisit qu’elle ne trouvait place que dans un supplément de gratuité. Dans un de ses poèmes il écrit : « l’on ne possède pas un bien parce que l’on est capable d’en jouir mais si l’on est capable de le donner. Qui sait en jouir et ne sait le donner en est non le possesseur mais le possédé. Il y a sur terre, hélas, plus de possédés que de possesseurs ».

Habité par la dynamique de la spiritualité franciscaine dont il portait très haut le sens de l’idéal, il s’interdisait de s’égarer dans les idéalismes qui facilitent les ruptures entre terre et ciel, raison et foi, corps et âme, liberté et grâce, temps et éternité.

A mille lieues des illusionnismes d’une religion mal comprise et des dérives sectaires qu’ils entraînent, il n’eut de cesse de refuser l’exclusion dont l’une des causes est celle de nos enfermements jusqu’à ne plus voir, ni entendre.

Aimer, disait-il, c’est être à l’image de Dieu. Il sut voir dans le frère le plus défiguré la présence même de l’Eternel. Un Dieu qui loin d’être intouchable est Celui qui se donne et nous donne à percevoir notre capacité à participer à la création ou à sa dé-création. Le drame pour l’Abbé Pierre était la dédramatisation de la misère ; il eut la hardiesse de la combattre.

Homme de l’appel, il fut constamment un appelant suscitant une énergie libératrice dont le don était la clé ; il faut haïr les portes fermées, fermées aux rencontres et fermées aux départs, disait-il. La fidélité à l’appel ne fut pour lui jamais une crispation mais la source incomparable d’une créatrice imagination pour ne point accepter l’inacceptable.

« La misère juge le monde et l’a condamné », écrivait-il; alors, comment le gracier ? La question était encore celle d’un appel qu’il sut faire sourdre jusque dans le cœur de ceux que la grâce « ne mouillait pas » pour reprendre l’expression de Péguy, sachant précisément toujours ‘se mouiller’.

Comment ne pas garder dans le cœur un de ses manuscrits « Messieurs, qui détenez les pouvoirs, vous vous trompez essentiellement parce que vos pouvoirs vous ne les faites pas d’abord servir …ceux qui souffrent le plus. Vous n’osez pas les faire servir à lancer l’appel et les organisations de toutes les énergies de la Nation pour servir en premier les plus souffrants. Vous pensez que l’on rira de vous ; ce serait moins grave que les larmes que vous causez. »

Il reçut des coups. Il ne chercha point à les esquiver pour ne pas se distraire de l’essentiel : la lutte contre la misère et la pauvreté. Il lui fut offert un rempart, celui de l’estime et de l’affection témoignées par une multitude d’hommes connus ou anonymes, saisissant combien il était ce prophète magnifiquement humain, merveilleusement libre que rien ni personne n’arrêterait. Une humanité qui est aussi un appel à construire la nôtre.

« Une femme vient de mourir gelée… une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. »

La misère tragiquement dure et nous résiste. L’appel de l’Abbé Pierre a introduit une décisive brèche - et en cela il n’aura pas de successeur - pour avoir su appeler à partager son combat. Il est porté par des femmes et des hommes, bien décidés à mener la vie dure à cette misère insoutenable, tant le déni de toit est le déni de l’autre.


P. Bernard Devert, Habitat et Humanisme
5 août 2011