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La politique et la religion

C'est le thème de la table ronde interreligieuse de l’UDPP-93 (Union pour le dialogue, le partage et la paix en Seine-Saint-Denis) qui s'est tenue au Raincy, jeudi 16 mars 2017.
Publié le 29/03/2017

L'Union pour le dialogue, le partage et la paix en Seine-Saint-Denis est une association fondée après les émeutes à Clichy-sous-Bois en 2005. Pasteurs et prêtres ont changé depuis 2005, mais l’entente amicale et même pleine d’humour entre les quatre religieux reste la même. Ils continuent leur croisade pour une meilleure entente entre les religions.

Ce 16 mars, ils étaient accueillis par M. le Maire du Raincy, Jean-Michel Genestier.

Jean-Michel Genestier,
Maire du Raincy

En cette période d’élections, parler « politique » peut sembler risqué, mais c’est bien "du" politique et non de "la" politique que nous traitons ce soir. Et dans un pays où la laïcité est légiférée, il semble que cette laïcité, dans notre ville, doit s’entendre comme « articulation » entre les différentes religions présentes. Si l’on veut vivre dans une certaine « humanité », on doit « se tendre la main », connaître mieux les autres pour vivre mieux soi-même. Nous avons tous à apprendre les uns les autres.

M. le Rabbin Moché Lewin

Le politique est déjà présent dans la Bible. Deux modèles en témoignent lors de la constitution du peuple juif : Moïse et Aaron. Moïse « leader », chargé de faire respecter les lois (Dieu lui a confié les Tables de la Loi) et Aaron « chargé » du spirituel. Aaron représente la fonction sacerdotale et Moïse la fonction législative. En Exode 27, 20 on lit que Dieu demande à Moïse « d’ordonner aux enfants d’Israël de choisir une huile pure » (pour les luminaires). On comprend ainsi que c’est Moïse qui choisit les prêtres, et qu’en quelque sorte, le pouvoir temporel commanderait alors le spirituel.

Dans le Deutéronome, on comprend qu’il y a plutôt séparation du politique et du religieux (ou interaction ?) Si Jacob bénit Juda, le roi a obligation de lire le rouleau de la Torah.

Cinq siècles avant Jésus-Christ, Mathatias, le prêtre, se bat contre les envahisseurs du Temple. Avec une toute petite fiole, il va réussir à faire luire le candélabre pendant huit jours (origine de la fête de Hanoukka). Mathatias va ensuite devenir roi, alors que traditionnellement, c’est un descendant de Juda qui aurait dû l’être. Et ces rois gravaient une devise religieuse sur les pièces de monnaie. Idem chez les grecs, où pouvoir et dieux collaboraient. Des siècles plus tard… Montesquieu les sépare et définit trois postes : exécutif, judiciaire et législatif.

La République aujourd’hui garantit la liberté de conscience et de religion, sous les seules restrictions : liberté de pratique du culte en privé et en public, si celle-ci ne porte pas atteinte à l’ordre publique. La République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte. Pas de subvention, pas de salariat, mais cependant un lien entre religion et Etat, ne serait-ce que par l’entretien des lieux de culte appartenant à l’Etat ou aux villes. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 n’est donc pas une loi « contre » les religions mais pour assurer la libre pratique de chacun.
 


Père Frédéric Benoist,
Curé de la paroisse catholique du Raincy

La question du politique et du religieux est présente dans le Nouveau Testament, dès que Jésus choisit ses apôtres. Parmi eux, certains actifs en politique, du fait de l’occupation de la Palestine par les romains. Certains ont même supposé Jésus être le « leader » politique venu les libérer des envahisseurs. « Es-tu le roi ? » lui demandera Pilate. Réponse de Jésus : « Mon royaume n’est pas de ce monde ».

Sauf que… le royaume des cieux se construit déjà ici-bas.

Léon XIII (fin 19ème siècle) évoque cette séparation du pouvoir temporel et spirituel, alors qu’auparavant, les évêques « détenaient » des territoires. Selon Léon XIII, les chrétiens ne revendiquent pas de pouvoir. Mais chaque chrétien est invité à s’engager lui-même dans le monde, mais sans engager la religion. Léon XIII, au moment de la parution de son encyclique, est confronté à la question du marxisme, avec entre autres, la remise en question de la notion de propriété privée. Léon XIII développe la notion de bien commun, qui va ponctuer toute la doctrine sociale de l’Eglise. : Le respect de la propriété privée ne s’oppose pas à la notion de bien commun à condition que ce bien soit équitablement réparti. Arrive la crise de 1929 : pauvreté de toutes les sociétés, naissance des idéologies extrémistes, bolchevisme, nazisme, etc. Pie XI prône alors une justice sociale et une juste répartition des richesses, dans son encyclique Quadragesimo anno, au nom de la notion de bien commun, développé 40 ans plus tôt par Léon XIII. Plus tard encore, Jean XXIII dira que la paix ne se réalise que dans le développement de tout l’être, y compris religieux. Avec le Concile Vatican II et la constitution pastorale Gaudium et Spes, on parle d’Eglise « incarnée ». La séparation des pouvoirs temporel et spirituel y est clairement rappelée, mais le chrétien ne peut vivre sa foi qu’en étant inséré dans la vie civile. Benoît XVI, à la suite de son prédécesseur Jean-Paul II, publie trois encycliques, dont deux sur l’espérance et sur la charité. La vie des chrétiens dans la société : c’est la manifestation de Dieu au cœur de l’homme. Cette notion de bien commun est en fait le déploiement de l’œuvre de Dieu dans le cœur de l’homme. Le Conseil permanent des Evêques de France a sorti un document en novembre 2016, portant un regard inquiet sur notre société. La notion de bien commun est absente de nos sociétés où l’on prône l’individualisme, le corporatisme, le développement personnel, le « c’est mon choix », l’emportant sur le bien « commun » ou « de tous ». Ce petit document nous invite à débattre au sein des communautés et ce, avant les échéances électorales, dans le climat difficile que nous connaissons actuellement.

M. le Pasteur Serge Wüthrich
Pasteur de la communauté de l’Eglise Protestante Unie de France au Raincy

« Faut-il payer le tribut à César ? » demandent des hérodiens et pharisiens (d’habitude opposés mais ligués pour l’occasion, pour piéger Jésus). « Rendez à César ce qui est à César » répondra Jésus. On comprend par là qu’il y a désacralisation du politique. César peut battre monnaie, y mettre son effigie, mais il ne peut pas se prendre pour Dieu. Luther : la théorie des « deux règnes » : le prince assure l’ordre, et l’Eglise annonce l’Evangile. Deux règnes bien séparés (à une époque où les rois français étaient sacrés par l’Eglise et tenaient leur pouvoir du Divin).

Calvin ira plus loin que Luther ; il articule 4 points :

- Obéissance à Dieu : le plus important
- Le chrétien dans la société a un devoir critique : il doit être « veilleur » face au pouvoir civil
- La résistance armée face au civil : à autoriser dans certaines situations
- Et si la rébellion (n°3) n’aboutit pas, s’il refuse la soumission, le chrétien a une 3ème possibilité : l’exil, pour refonder « ailleurs », en « mieux »

Ce principe calviniste est à l’origine de migrations en Amérique.

Attention : il ne s’agit pas de critiquer pour la critique, ou résister pour le principe, mais de dépasser un cap, afin d’amorcer, relancer un dialogue.

Autre principe important pour les protestants : « Celui qui veut être à la 1ère place, qu’il prenne la tenue de service ». C’est une autre forme de logique que le chrétien doit mettre en place : la notion de service. Une différence avec les catholiques (qui parlent de bien commun)

M. l’Imam Lahcène Lablak

Le temporel et le spirituel sont étroitement liés pour les musulmans. Mais une notion de base demeure : la fraternité humaine. Plusieurs sourates s’adressent d’ailleurs non pas « aux musulmans » mais « à toute l’humanité ». « Tous les humains sont des frères » Nous sommes tous « des enfants d’Adam », et là doit se jouer une solidarité. Dieu est au service du croyant, et le croyant est au service de ses frères (sans distinction).
 

Martine Konzelmann
Paroisse du Raincy