Sortir de sa bulle — Diocèse de Saint-Denis-en-France

Aller au contenu. | Aller à la navigation

Outils personnels

Diocèse de Saint-Denis-en-France
menu
menu
  • dscf9927-ok.jpg
Actions sur le document

Sortir de sa bulle

Article publié dans "Chantiers", revue des Fils de la Charité (N°195 - Sept. 2017)
Publié le 25/10/2017


(c) Michael Bunel / Ciric

Gérard Marle vit en communauté Fils de la Charité à La Courneuve en Seine-Saint-Denis. Depuis de longues années, les relations entre chrétiens et musulmans sont favorisées tant par les communautés religieuses que par le Pouvoir Civil. Gérard analyse le chemin parcouru et relève les enjeux de ces relations dons le contexte social et politique actuel.

L’opinion publique

Il y a six ans, une enquête auprès des paroissiens révélait une grande retenue à l’égard du dialogue avec les musulmans : « On veut bien vivre dans le même immeuble, supporter leurs voiles et leurs djellabas dans les rues, mais on en reste là. » Certaines femmes rappelaient qu’elles avaient été mariées à un musulman et que cela ne s’était pas bien passé. D’autres n’ont toujours pas accepté que leur garçon de vingt ans soit devenu musulman, d’autres supportent mal que dans l’école publique leurs enfants, qui sont la minorité, soient harcelés par leurs camarades musulmans. Jusqu’au contribuable qui rechigne devant "l'occupation" d’espaces municipaux par des mouvements de cette religion. Il est vrai que d’autres populations se sont récemment installées dans la ville et le département - en Seine-Saint-Denis, plus d'un habitant sur trois est de tradition ou de religion musulmane par sa famille. Alors, « ils sont chez eux ! » notait un chercheur, d’autant qu’ils se croient plus nombreux qu’ils ne le sont en réalité. La situation catastrophique des chrétiens au Moyen-Orient et dans les autres pays musulmans ne plaide pas pour des rencontres apaisées. Alors, parler ensemble, on ne voit pas trop quoi se dire, et le veulent-ils eux-mêmes ? Ces résistances sont locales, non théoriques ou lointaines.

Prise de conscience

Les attentats de septembre 2015 ont eu lieu dans des villes voisines ; quelques « terroristes » provenaient « de chez nous » et au nom de l'Islam. Voilà une raison supplémentaire de se protéger et de « protéger nos enfants ». Ce fut vrai pour une partie de la population. Par contre, je dois dire que les trois cents cartes de vœux rédigées par l’évêque de Saint-Denis à l'intention de voisins musulmans pour la fête qui clôture le ramadan ont été prises par des paroissiens. Il semble que quelque chose change, même lentement. Une prise de conscience que nous n’avons plus le choix : nous devons absolument, les uns et les autres, sortir de notre bulle, pour nous rencontrer, nous devons tout faire pour que l’autre ne devienne pas un ennemi, nous devons nous démarquer de ces terroristes qui ont divisé le monde en deux, eux et leur façon d’interpréter et de pratiquer l’Islam et les autres, mauvais musulmans et mécréants. Pour sortir de sa « bulle coloniale », ce pied-noir devenu évêque d'Oran - il s'agit de monseigneur Pierre Claverie - a dû venir un temps en France et prendre sa part à la guerre d’Algérie ; il a donc fallu des événements tragiques pour que sa « bulle » soit brisée. Il en est de même pour nous. Ce n’est pas en invoquant sans cesse « le vivre ensemble » qu’on le rend possible. J’ai été invité à prendre la parole lors du dernier lftar (rupture du jeûne), après le maire de la ville, mais avec cette recommandation du responsable musulman : « Maintenant, une parole de croyant. » Comme lui, je crois que la situation l’exige.

Bref historique

Lorsqu’il a remis un terrain pour la construction de la future mosquée, le maire de la ville a invité le rabbin, le curé et une pasteure, ce fut l’occasion de faire connaissance. Au cours de son discours, le président de la fédération des musulmans de La Courneuve responsable du projet souhaitait ardemment un dialogue avec les autres religions tel qu’il l’avait connu à Limoges lorsqu’il était étudiant. Trois mois plus tard, nous nous sommes retrouvés en mairie et par deux fois pour parler ensemble, suite à l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo. Le droit au blasphème - qui vient avec la liberté religieuse - est un marqueur en France, les juifs et les chrétiens (et les hommes politiques) en savent quelque chose, il nous faut faire avec. Quelques semaines plus tard nous étions à la présentation du plan de la future mosquée à l’ensemble des musulmans de la ville, et les uns après les autres avons dit comment nous réagissions à la construction de cet édifice religieux, qui n’est ni un centre culturel ni une piscine municipale ! Ce sera un lieu de parole, et nous ferons le monde, comme le Créateur a fait le monde par la Parole, en parlant ; nous « creuserons notre puits » jusqu’à l'eau que Dieu donne. Lors de la COP21, nous étions une centaine à réfléchir sur la responsabilité des religions face à l’avenir de la planète, l’encyclique Laudato Si avait de quoi nous faire réfléchir. Lorsque nous avons fêté la réhabilitation de la Chapelle de I’Emmanuel, cinquante années après sa construction, l’évêque, le maire et chacun des responsables religieux ont raconté ce qu’ils savaient de l’évolution de la ville et de l’évolution de leurs communautés religieuses respectives. Tout a changé lors des trente dernières années, et le positionnement des unes et des autres s’en trouve considérablement modifié.

Initiatives réciproques

Nous avons répondu à plusieurs invitations pour un repas, nous les avons invités à notre tour. Chaque fois, en off. J’ai perçu leur inquiétude pour leurs communautés, pour leurs enfants ; ils évoquent avec angoisse les conflits du Moyen Orient, guerres entre croyants musulmans. J’en sais assez par ailleurs pour deviner les questions nouvelles qui ont trait à l’interprétation du Coran, aux difficultés d’assumer pleinement les exigences démocratiques de notre pays et de notre temps. La documentation ne manque pas, que l’on peut partager à l’intérieur de réseaux et qui se montrent indispensables pour le citoyen et le croyant. Il est possible que nous hébergions en nos locaux une antenne locale de l’association « Coexister » qui regroupe de jeunes adultes de religions différentes et d’autres agnostiques ou athées.

Il reste l'essentiel

Ces rencontres, c’est tout sauf une histoire privée, un passe-temps divertissant ! C'est pour moi et mon interlocuteur musulman la continuation d'une histoire de vingt ans, lourde d’événements comme le furent des occupations d’église par des sans-papier, de rencontres islamo-chrétiennes déjà anciennes, loin des caméras et du bruit médiatique. C’est une aventure partagée avec l’équipe Fils, avec des responsables des communautés catholiques, avec les femmes engagées dans la vie consacrée. Pour ne parler que d’elles, depuis plus de trente ans les Petites Sœurs de Jésus habitent le grand ensemble de La Courneuve ; par « profession », elles ont créé et entretiennent des liens forts particulièrement avec des femmes musulmanes, partageant les problèmes multiples de la vie, les bonheurs d’une naissance ou d’un mariage. Sans ce travail de terrain, les rencontres seraient creuses, pour ne pas dire occupationnelles. On ne peut pas oublier les efforts en ce sens des autres paroisses, la volonté de l’évêque et celle de l’Église universelle. Lors de son voyage en Égypte, le pape François eut, comme il sait le faire, des mots simples et forts : « La vraie foi est celle qui nous rend plus charitables, plus miséricordieux, plus honnêtes et plus humbles ; c’est celle qui nous conduit à voir dans l’autre non pas un ennemi à vaincre, mais un frère à aimer, à servir et à aider ; c’est celle qui nous conduit à diffuser, à défendre et à vivre la culture de la rencontre, du dialogue, du respect et de la fraternité... N’ayez pas peur d’aimer tout le monde, amis et ennemis, car c’est dans l’amour vécu que résident la force et le trésor des croyants ».

Gérard Marle,
Fils de la Charité, La Courneuve

Article publié dans « Chantiers », revue des Fils de la Charité - N° 195, septembre 2017
Découvrir la revue Chantiers / s'abonner

 

Ensemble, le gâteau des 50 ans de la Chapelle de l'Emmanuel est découpé


(c) Fils de la Charité