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Vous avez été appelés à la liberté

Publié le 06/07/2016
Vous avez été appelés à la liberté [1]

Dimanche 26 juin. Le ciel est gris comme les bâtiments que je m’apprête à rejoindre. Les étranges blocs surplombés d’une résille métallique apparaissent comme des proies empêtrées dans une gigantesque toile d’araignée. Cette vision m’interpelle et me met mal à l’aise. Il est 8h45, j’arrive à la Maison d’arrêt de Villepinte où l’équipe d’aumônerie m’attend.

Cette équipe est bien dans ces périphéries existentielles dont parle le pape François : « N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent. Le Seigneur est à la recherche de tous, il veut que tous sentent la chaleur de sa miséricorde et de son amour.[2] »

Depuis longtemps je voulais venir ici célébrer la messe dominicale avec les détenus. Ils sont une centaine à avoir fait la demande, d’autres sont sur une liste d’attente. Mais avant d’entrer dans ces murs, il aura fallu montrer patte blanche pour obtenir les autorisations de l’administration pénitentiaire.

9h15, nous sommes gentiment accueillis par Monique[3], membre de la direction. Suivant l’équipe de l’aumônerie, je remonte plusieurs sas de sécurité avant d’arriver dans le gymnase qui vient d’être aménagé pour la messe. Le sol vient d’être refait, des morceaux de moquette rouge et noir couvrent la surface pour la protéger. Au lieu de la célébration, un Christ crucifié. Cette peinture d’un grand réalisme a été réalisée par un détenu. Au-dessus, deux toiles tendues verte et blanche où seront fixés avant les lectures quelques mots de cette assemblée d’hommes, loin d’être des demi portions. À droite du Christ sont inscrits en lettres rouges les mots « Liberté », « Amour », « Service », à sa gauche en lettres bleues, les mots « Esclavage », « Égoïsme », « Destruction ».

La liberté de culte est régie par la loi. « La loi pénitentiaire de 2009 a remis l’accent sur cette obligation », souligne Monique, en charge de la gestion administrative de cet établissement. « Les aumôneries sont importantes, ajoute-t-elle, pour que les détenus puissent s’exprimer et se confier. Ici, les cultes sont catholique, orthodoxe, musulman. Pas de culte juif actuellement ». L’aumônerie catholique est composée de six personnes. Aujourd’hui sont présents Dominique, aumônier titulaire, père Marcio, Manuel diacre permanent et Claire, tous aumôniers bénévoles. Ils sont accompagnés par Joëlle, paroissienne de St-Vincent de Paul à Villepinte. L’aumônerie intervient en trois lieux : tout d’abord en semaine où chaque détenu peut s’entretenir dans sa cellule avec un membre de l’aumônerie, puis le samedi après-midi lors du groupe biblique qui se poursuit par la chorale, enfin le dimanche pour la messe de 10 heures. « Les 40 détenus qui participent actuellement au groupe biblique réfléchissent aux textes du dimanche suivant. 80 participent à la messe. Ils arrivent accompagnés par les surveillants à partir de 9h30. Jusqu’à 10h, il y a un temps d’échanges informels entre nous, de même après la messe » précise Dominique. Les détenus avec lesquels j’ai pu m’entretenir ne cacheront pas une certaine joie et une liberté à venir ici, afin de s’extraire un temps de ce milieu carcéral surpeuplé. « Nous sommes à 1079 détenus pour 587 places. En principe cette Maison d’arrêt héberge des détenus de peine de moins de deux ans. Sauf que la réalité est tout autre puisque toutes les centrales en France sont surchargées, surtout en Ile-de-France » observe Monique, qui ne cache pas que cette situation est délicate à gérer.

La célébration eucharistique se déroule dans un fort climat de silence et de prière ; les regards complices sont bien présents dans les rangs. Les chants portés par ce chœur d’hommes aux différents visages et cultures sont prenants. Les lectures du jour, la prière universelle, l’homélie[4] seront alternativement traduites dans les langues principales qui composent l’assemblée : le français, l’anglais, l’espagnol, le polonais, l’italien… Poignante homélie du père Marcio à partir de l’Évangile du jour sur la liberté, sur ce qui me rend esclave dans la vie ou me rend libre. Ces paroles résonnent doublement sur cette assemblée de détenus dont l’espace de liberté est réduit à sa plus simple expression.

Émotion aussi au moment du Notre Père où chacun se donnera une main ferme, puis partagera la paix du Christ à ses voisins. Après la communion, plusieurs se dirigent vers la statue de la vierge posée sur une table pour un temps de recueillement. Libérés, seront-ils serviteurs à la suite de Marie ? « Les personnes sont là parce qu’elles ont fait quelque chose, mais on n’est pas là pour juger. Nous sommes là pour établir un dialogue, donner un réconfort, partager notre foi, mais aussi maintenir le lien avec "l’extérieur". Certains ont des visites mais d’autres n’ont pas cette chance-là » constate Joëlle qui a pris conscience de l’importance de sa mission depuis 18 mois.

Ce moment vécu aux « périphéries » marquera ma vie. Je me souviendrai longtemps de ces regards francs, souriants, que j’ai peine à voir au quotidien… ces hommes privés de liberté, chrétiens ou en recherche, ont je ne sais quoi de singulier qui abolit bien d’idées reçues.

Bruno Rastoin


[1] Évangile du 26 juin 2016 : Galates 5, 1.13-18
[2] Journée mondiale de la jeunesse à Rio, 28 juillet 2013
[3] Le prénom a été modifié
[4] 1ère lecture : 1 R 19, 16b.19-21 - Psaume : 15 (16), 1.2a.5, 7-8, 9-10, 2b.11 - 2e lecture : Ga 5, 1.13-18 - Évangile : Lc 9, 51-62

Photos : Michael Bunel / Ciric

 

Paroles de détenus


Raphaël [1]

Étant de baptême catholique, lorsque je suis entré dans cette maison d’arrêt, je me suis dirigé naturellement vers tout ce qui était en lien avec l’Eglise. C’est comme cela que j’ai fait la connaissance de l’aumônerie catholique. Ces personnes prennent sur leur temps pour nous rendre visite, pour célébrer. Ils viennent nous voir dans notre cellule sur notre demande… et même si on ne demande pas, ce qui est très bien ! Comme mon voisin est tamoul, nous partageons la même foi. En dehors de la messe du dimanche, je participe tous les samedis au groupe biblique et à la chorale. Cela crée un espace de vie, de réflexion et de partage. On se redécouvre en tant qu’humain. On dit souvent que la prison est remplie de gens violents, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Ici on « redécouvre » l’humain. On a un autre regard, plus de contact, d’amitié, on peut le dire. L’Eglise n’est pas le seul espace de liberté… il y a d’autres activités comme la bibliothèque, le cinéma, etc. On sait qu’on n’est pas libres, mais cela vous permet quand même de vous socialiser. On ne peut rester dans sa cellule tout le temps. Les ateliers sont le matin de 8h à 13h. Cela vous fait perdre la notion de la prison parce que vous êtes occupé. Malheureusement tout le monde ne travaille pas. Du fait de ma naissance en Amérique du Sud, être catholique est naturel. Néanmoins, dans ma vie, j’ai une inclinaison bouddhique, hindi… philosophique. La connaissance est pour moi quelque chose d’important. D’où mon besoin de rejoindre le groupe biblique pour approfondir. Il y a des gens ici qui sont vraiment dans un désespoir, qui vous questionne. On peut alors leur répondre plus facilement !


Augusto [1]

Je suis d’origine portugaise, plus exactement Cap verdien. Quand je suis arrivé ici, j’étais mal. C’était la première fois que je me trouvais en prison. Grâce à Dieu, j’ai appris qu’une personne de l’aumônerie catholique pouvait venir dans ma cellule. Le lendemain, j’ai rejoint une réunion, et le dimanche je suis allé à la messe. Ils m’ont enlevé le poids qui était sur moi. Cela me donne un espace de liberté dans ce lieu où j’en suis privé. Je suis baptisé mais je n’ai pas fait ma première communion. Aujourd’hui, je suis accompagné sur ce chemin par le père Marcio. Manuel et Claire viennent souvent me voir. Comme je travaille à la cuisine, j’ai des difficultés à les rencontrer. Avant d’aller travailler en cuisine, je venais tous les samedis au groupe biblique. A la messe, je joue des percussions. J’ai un message pour les catholiques de Seine-Saint-Denis : qu’ils continuent à penser à nous et prier, cela nous aide. Le père Marcio nous dit souvent qu’on prie pour nous. Cela nous donne la force et le courage, parce qu’être ici n’est pas facile.
 


Sergio [1]

J’ai connu l’aumônerie catholique par un ami italien tsigane qui m’a dit "tu écris, ils t’appellent, et tu vas à la messe". Je participe au groupe biblique et la chorale du samedi. Tout cela m’apporte beaucoup et je souhaite passer ce moment le mieux du monde. Ici ou dehors, la foi est la même. Ce qui est essentiel dans ma vie de foi, dans ma vie, c’est d’être libre… la liberté ! Liberté d’agir, de pratiquer. Sorti de la cellule, ici cela devient un espace de liberté. Il faut aider les prisonniers et je sais qu’on prie pour nous. Et Dieu est avec nous !

 

Théodore [1]

Je suis une créature de Dieu, né au Congo Kinshasa. D’une famille chrétienne, j’ai commencé dès le bas âge à vivre l’Eglise. Mes parents m’ont appris à connaitre Dieu ; je savais dès tout petit que Dieu était un pilier pour moi. Où que je sois, il fallait que j’aie une église pour prier Dieu. Avec l’aumônerie catholique, je participe au groupe biblique et à la chorale le samedi après-midi. La foi est vécue différemment ici. Isolé, loin de ma famille, le seul lien qui me relie vraiment c’est la spiritualité, la foi et la prière. Mon compagnon de cellule, Dieu merci !, est croyant, protestant. Quand je prie Dieu, je sais que ma famille va bien, eux aussi quand ils prient, ils savent que je vais bien. À chaque fois qu’on se rencontre c’est une immense joie. Dieu ne m’a jamais abandonné, je lui parle tout le temps. Si je disais qu’il me répond, ça serait de la prétention… il me guide ! Jésus dit bien "Je suis avec vous tous les jours". On a reçu la miséricorde de Dieu dès le jour ou Jésus-Christ a été crucifié. C’est à nous de savoir l’utiliser afin de vivre pleinement la gloire de Dieu. Ce n’est pas facile de pardonner mais avec la bonne volonté et la foi on y arrive. C’est Dieu qui passe !

 

[1] Le prénom a été modifié