Servir le bien commun (N°14 / Déc. 2013 - Janv. 2014) — Diocèse de Saint-Denis-en-France

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Servir le bien commun (N°14 / Déc. 2013 - Janv. 2014)

... ou l'engagement des chrétiens dans la société (Complément du journal diocésain « Quatre pages »)

Nous sommes libres de nos engagements de vie : tel ou tel sert la vie publique locale, tel autre est acteur dans la vie associative, tel autre encore agit au sein d’un mouvement ou un service d’Eglise. Notre foi nous interpelle à être au service du bien commun. « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert », nous dit Jésus (Luc 22, 27).

« Ne laissez pas les autres devenir les acteurs du changement »
Pape François

 

La méfiance est un frein

L’urgence est grande

Notre vocation : être sel de la terre

L’engagement des chrétiens dans la société

Je suis tombée toute petite dans la marmite 

Nous voyons un frère et au-delà la Christ

Faire entendre ma voix

Des engagements nourris de notre foi

Une façon chrétienne de faire de la politique

A chacun sa façon de servir le bien commun

Rendre à César ce qui lui appartient

Tous ensemble, tous ensemble…

Ca, c’est vraiment Evangile !

Nous sommes tous dotés de dons

Engagement revendicatif et action politique

Les appels des personnes en situation de handicap

La pensée en actions

Qu’est-ce qui nourrit mon engagement ?

S’engager dans la vie citoyenne

Au seuil de la porte de l’Eglise

Des responsabilités dans la vie associative

Repères

La méfiance est un frein

Marie-Michelle Phojo, maire-adjointe à la petite enfance

Depuis 2008, je fais l’expérience du mandat électif, déléguée à la petite enfance. La prise en compte de la transversalité des actions est importante localement. Mon engagement a commencé par du bénévolat avec les séniors. Je suis "moi", avec mes croyances et mes valeurs, c’est pourquoi ma vision n’est pas uniquement chrétienne mais englobe mon éducation religieuse et civique. L’essentiel est de parler un langage sincère à portée de tous. Le respect d’une valeur fondamentale de la République pour les élus, croyants ou non, la laïcité, est un rempart contre les intolérances, et permet aux hommes et aux femmes de vivre ensemble et égaux en droits. Il me semble que tous les sujets sont politiques dès lors que leur expression est accompagnée d’un parti pris. En tant que croyants, catholiques, la défiance envers la politique ne devrait pas être notre état d’esprit ; nous avons conscience de la complexité de l’être humain, et donc de la société. Tous ces sujets sont traités comme problèmes à cause de la perception que nous en avons.

Nous entraider, chrétiens ou pas
La Bible nous enseigne « que l’amour fraternel vous lie d’une mutuelle affection ; rivalisez d’estime réciproque… » (livre des Romains, chap. 12). Le Seigneur guide les pas de chacun d’entre nous. Nous devons nous entraider, chrétien ou pas. La méfiance est un frein dans la dynamique du progrès social et économique. De même que le politique doit pouvoir converser avec les citoyens-usagers du service public pour mieux répondre aux attentes avec sincérité. Le temps de crise oblige à avoir un regard approfondi sur les pratiques politiques, en respectant les obligations de solidarité et du développement d’un environnement durable.

Le bien vivre ensemble
Le discours social de l’Eglise reprend des valeurs universelles qui sont la paix, la fraternité, le bien vivre ensemble dans une société laïque, affirmé par l’ouverture d’esprit dont fait preuve le pape François. L’enjeu de cet investissement est l’équité et la cohésion sociale, considéré au-delà de l’Eglise, pour faire émerger l’amour universel. Nous sommes tous frères, quelles que soient nos origines.
Utilisons notre foi pour améliorer la société où l’individualisme prime sur la conscience collective. A quelques mois des élections, mon message est une mise en garde contre les idées extrêmes qui sont destructrices pour la société ; que chacun vote en son âme et conscience pour le bien de tous.

L’urgence est grande

José Quazza, citoyenne en 93

D'aussi loin que reviennent mes souvenirs, j'ai toujours été une « vivante ». J'ai la chance, aujourd'hui, d'habiter dans une ville « image du monde » : toutes ces couleurs de peau, ces costumes, ces coutumes déroutantes ! Le vivre ensemble est bien là, parfois difficile. Celui ou celle dont je croise le chemin ne me laisse pas indifférent si mon engagement dans la cité est réel. Les ravages du sida et l'accueil réservé aux étrangers m'ont "dérangée" et mise en route ; sans doute avais-je, chevillée au corps, mon envie de témoigner du bonheur d'aimer et d'être aimée. Certes, il a fallu mettre mes "mains dans le cambouis" et me risquer à aller plus loin que je ne le prévoyais. Je n'ai pas résisté au désir de me colleter aux exigences de formations, de réflexion, de confrontation : il me faut être sérieuse dans ce que je fais avec d'autres. Rencontrer un élu, oser bloquer un centre de rétention, participer à une émission de radio ou de télé, écouter chaque opinion sans jugement ni haine ne sont des choses faciles ni pour moi ni pour personne.

La dignité de chaque personne
Quelle force m'anime sinon le respect et la défense de la dignité de chaque personne ? N'est-ce pas aussi la certitude que tout homme est aimé et a été sauvé par un Autre en qui je crois ? Souvent, je m'impatiente de ne pas voir plus de chrétiens animés par cette "ardeur" alors que le message est impérieux, l'urgence est grande et les ouvriers du chantier peu nombreux. J'ai, avec d'autres, l'espérance de contaminer en rayonnant le bonheur de cet "ouvrage".

Notre vocation : être sel de la terre

Jean Courtaudière, prêtre à Saint-Denis, délégué à la mission ouvrière

« Aimer Dieu et aimer son prochain » est le seul et unique commandement, répond Jésus au docteur de la loi qui l’interrogeait. À Lourdes, Diaconia 2013 nous a rappelé qu’aimer son prochain, c’était, au-delà des gestes individuels, s’engager dans la société pour la justice et la dignité. Quand un salarié prend sa place dans une lutte syndicale pour que le respect des travailleurs passe avant la rentabilité et le profit, il vit l’Evangile au quotidien ; et s’il est en ACO, son équipe l’aide à vivre son engagement dans la foi. Quand une fille a un job pour financer ses études et qu’elle essaie d’y faire respecter ses droits avec ses copines, elle vit l’Evangile au quotidien ; et si elle est en JOC, son équipe l’aide à relire son action avec l’Evangile. Quand un enfant, par le jeu, découvre avec d’autres qu’ils peuvent faire des actions dans sa ville pour un environnement moins pollué, il vit l’Evangile au quotidien ; et s’il est en Action catholique des enfants (ACE), son club l’aide à faire le lien avec sa découverte de Jésus. Notre vie dans les mouvements, ACO, JOC, ACE, nous rappelle sans cesse qu’il n’y a pas de foi chrétienne sans engagement dans la société, parce que la vocation chrétienne est d’être « sel de la terre ».

L’engagement des chrétiens dans la société

Alain Thomasset, jésuite, Saint-Ouen

Alain Thomasset, de la communauté jésuite de Saint-Ouen, enseigne la théologie morale au Centre Sèvres - Facultés jésuites de Paris. Il est par ailleurs membre du Ceras (Centre de recherche et d'action sociales).

Par définition la vie politique est ce qui organise et gouverne une communauté humaine donnée. Grâce à la politique, un ensemble d’êtres humains (au niveau local, national, et international) décide de ses règles de vie commune et de l’organisation des structures collectives qui permettent cette vie de manière la plus harmonieuse possible. Par la vie politique et ses institutions (parlement, gouvernement, justice, police, etc.) une communauté humaine se donne les moyens de prendre des décisions et de les mettre en œuvre (par exemple, en ouvrant des écoles, en organisant la distribution d’eau, en veillant à l’ordre public, en instaurant un ordre juridique qui protège les droits de chacun, etc.). Comme il est clair que ces décisions ont un effet sur chacun de nous, il est normal que toute personne puisse y être associée d’une manière ou d’une autre. C’est l’une des raisons pour lesquelles la démocratie est préférable à tout autre régime. Elle permet et exige à la fois que toute personne prenne part activement à la vie publique.

Ce bien précieux de la démocratie
Après avoir combattu cette forme de gouvernement tout au long du 19e siècle à cause des liens avec l’Ancien Régime et des idéologies anti-cléricales du temps, l’Église depuis Pie XII apprécie et loue la démocratie comme le seul régime pleinement conforme à la vision chrétienne de l’homme et de la société. Le Concile Vatican II est très clair lorsqu’il déclare dans Gaudium et spes : « Il est pleinement conforme à la nature de l'homme que l'on trouve des structures politico-juridiques qui offrent sans cesse davantage à tous les citoyens, sans aucune discrimination, la possibilité effective de prendre librement et activement part tant à l'établissement des fondements juridiques de la communauté politique qu'à la gestion des affaires publiques, à la détermination du champ d'action et des buts des différents organes, et à l'élection des gouvernants » (GS 75, 1). L’expérience tragique des totalitarismes a encore davantage mis en valeur ce bien précieux de la démocratie qui permet à la liberté humaine de s’épanouir. C’est pour ne pas laisser l’organisation de la vie commune aux mains de quelques-uns, sans contrôle, sans participation aux choix, ni possibilité de sanction, que la politique est l’affaire de tous. C’est à la fois un devoir civique pour protéger la vie sociale de ses possibles dérives, et une obligation chrétienne de servir l’homme et la société pour y mettre en œuvre les orientations tirées de l’Évangile.

Ambition personnelle… ou service de la cité
Il est vrai que la vie politique a mauvaise presse. Les affaires de corruption qui touchent des élus entachent la réputation de cette activité. La vie politique offre aussi souvent le spectacle de polémiques violentes ou de calculs sournois qui paraissent bien loin des idéaux de justice, de paix ou de liberté affichés par ailleurs. L’ambition personnelle semble l’emporter sur le service de la cité. Pourtant comme le rappelle Jean Paul II dans l’exhortation apostolique post-synodale de 1987 sur Les laïcs fidèles du Christ (Christifideles laici), « Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel […] et servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la « politique », à savoir à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises : tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique; cette participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de niveaux, de tâches et de responsabilités ». (n°42, souligné par le pape). Il faut noter ici une définition très large de la vie politique et des engagements possibles pour les chrétiens. Le pape polonais, qui a tant lutté pour la démocratie et la défense des droits de l’homme, répond par ailleurs aux objections souvent soulevés par les catholiques contre l’engagement politique : « Les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du monde ni le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique. » Une des meilleures manières de « réhabiliter la politique » (comme l’ont d’ailleurs écrit  les évêques français dans une déclaration de 1999) est d’en montrer la valeur, la nécessité et de prendre conscience des enjeux présents. 

Tous ensemble en vue du bien commun
Pour montrer la valeur de l’engagement politique des chrétiens, il est nécessaire d’en indiquer les finalités à la lumière de l’Évangile et de la tradition chrétienne. Le chapitre IV de la deuxième partie de la constitution pastorale du Concile Vatican II, Gaudium et spes traite de la vie de la communauté politique. Il rappelle la nécessité d’une « communauté politique » plus vaste et plus structurée que la « communauté civile », du fait que cette dernière est par elle-même « impuissante » à réaliser le bien commun. C’est donc en vue de ce bien commun que les « individus, familles, groupements divers » - qui constituent « la communauté civile » - doivent « conjuguer leurs forces » dans une « communauté politique ». Quant au bien commun, qui est donc la justification et la finalité de la vie politique, il est défini de manière assez large comme « l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement » (GS, 74). Dans leur déclaration de 1999, les évêques français précisaient trois aspects : outre la poursuite du bien commun déjà cité, ils mettaient en exergue le rôle de la politique pour la « réalisation du vivre ensemble » et la « maîtrise de la violence ». « L’action politique a un fantastique enjeu : tendre vers une société dans laquelle chaque être humain reconnaîtrait en n’importe quel autre être humain son frère et le traiterait comme tel »  (n°8). Comment un chrétien ne sentirait-il pas concerné par la politique et cette mission éminente que le Concile valorise comme « un art très noble » (GS, 75) ?
La tradition chrétienne donne par ailleurs un sens à la vie politique en faisant de celle-ci une participation à l’œuvre du Créateur dont l’horizon ultime est le rassemblement de toute l’humanité dans le Corps du Christ ressuscité. « En lui, nous serons tous un, nous serons une communauté où chacun sera pleinement reconnu comme enfant de Dieu. En travaillant à réaliser le « vivre ensemble » de tous, à rendre la terre habitable pour tous, nous anticipons dès maintenant au cœur du monde – « sur la terre comme au ciel » – cette communion des personnes, tâche à poursuivre sans cesse malgré sa réalisation toujours imparfaite » (Réhabiliter la politique, n° 13).

Des repères éthiques pour l’action
L’Église ne prétend pas faire de la politique au sens strict du terme, mais par son enseignement social elle indique des orientations et donne des repères éthiques pour l’action. C’est le terrain du jugement moral qui justifie son intervention. Ces orientations d’ailleurs ne s’adressent pas seulement aux chrétiens mais à toute personne de bonne volonté qui peut se reconnaître dans ces principes. Si l’Église intervient ainsi dans le domaine social qui touche à des questions politiques, c’est parce qu’elle considère que le « respect de la dignité de toute personne humaine », principe premier de tout son discours social, et la défense des « droits fondamentaux de la personne » fait partie de sa mission au même titre que l’annonce de l’Évangile.
Concernant les orientations de fond, Benoît XVI dans le droit fil de tout le discours social de l’Église rappelle dans Deus Caritas est (2005) et Caritas in Veritate  (2009) que l’Église inspirée par la charité doit s’engager avec d’autres en faveur de la lutte pour la justice. Il s’agit non seulement de défendre et promouvoir les droits de toute personne et en particulier des plus faibles mais aussi de développer une vertu, une attitude de fond inspirée par la foi et qui anime toute l’action. De ce point de vue « l’option préférentielle pour les pauvres » indique, à l’exemple du Christ, ce souci d’intégrer et de promouvoir les plus démunis, les exclus et d’éradiquer les conditions d’existence déshumanisantes qui prennent souvent des formes institutionnelles (ce que Jean-Paul II a appelé les « structures de péché »). La recherche de la paix lui est étroitement associée, tant il est vrai qu’il n’y a pas de paix véritable ni durable sans justice.

Par ailleurs, « avec le fondement qui est qui est la dignité de l'homme, sont intimement liés le principe de solidarité et le principe de subsidiarité. En vertu du premier, l'homme doit contribuer avec ses semblables au bien commun de la société, à tous ses niveaux. Par là, la doctrine de L'Église est opposée à toutes les formes de l'individualisme social ou politique » (Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, n°73). Par la solidarité chacun reconnaît son interdépendance et sa responsabilité à l’égard de tous, c’est une exigence de la fraternité. A la solidarité est également lié le thème du souci d’une ouverture internationale (le dépassement de tout nationalisme et de tout racisme) et le rappel du principe de la « destination universelle des biens » en vertu duquel  « les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité » (Gaudium et Spes, GS 69, 1). En vertu du second principe, la subsidiarité, « ni l'État ni aucune société ne doivent jamais se substituer à l'initiative et à la responsabilité des personnes et des communautés intermédiaires au niveau où elles peuvent agir, ni détruire l'espace nécessaire à leur liberté Par là, la doctrine sociale de l'Église s'oppose à toutes les formes de collectivisme.» (Liberté chrétienne et libération, 73). La subsidiarité exige également que les pouvoirs publics aident et favorisent les initiatives chaque fois que c’est possible en leur donnant les moyens d’agir.
D’autres indications pourraient être évoquées concernant la vie politique : la conception du pouvoir comme service (cf. Luc 22, 26), le respect des adversaires (cf. Matthieu 5, 44), la nécessité d’acquérir une compétence, la collaboration avec les hommes de bonne volonté, la légitime diversité des opinions politiques des chrétiens, le souci de la réconciliation, etc. En fin de compte, la foi chrétienne donne à la vie politique une perspective particulière, qui la nourrit d’une espérance fondée sur la résurrection du Christ et l’attente du Royaume déjà mystérieusement présent. Comme le dit le Concile : « l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir » (GS, 39).

Je suis tombée toute petite dans la marmite

Bernadette Forhan, Le Pré-Saint-Gervais

Bernadette Forhan est membre de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) depuis près de 30 ans. Chargée de la thématique « Peine de mort dans le monde », elle a représenté l’ACAT France lors du dernier congrès mondial contre la peine de mort en juin 2013 à Madrid.

Je suis tombée toute petite dans la marmite du militantisme et de l’engagement avec des parents engagés dans l’Eglise, dans le syndicalisme et en politique (ACO, Equipes enseignantes, CFTC puis CFDT, MRP puis PS). Mon engagement n’est pas pour faire comme papa et maman, mais c’est ma réponse à une double interpellation :
- celle de la Genèse : dès le 1er chapitre, il nous est dit: « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa, homme et femme il les créa. » Plus loin, au chapitre 4, lors du 1er meurtre rapporté de l’histoire humaine, Dieu demande à Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi. »
- celle du Christ en Matthieu 25 : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais nu, malade, j’étais un étranger, j’étais en prison… En vérité, je vous le déclare chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Pourquoi s’engager en tant que chrétien ?
Parce que ces femmes et ces hommes qui souffrent et n’ont pas droit à la parole, sont nos frères en humanité. Cette interpellation est toujours actuelle : la voix du sang de mes frères en humanité crie vers moi. En tant que baptisée, je me dois d’être solidaire envers ceux qui sont aussi mes frères en divinité. Quant à l’exigence évangélique, elle trouve un début de réalisation dans mon engagement à l’ACAT.

Une vision chrétienne de l’engagement…
Pour moi, il n’y a pas de "vision" chrétienne mais plutôt une "manière" chrétienne de s’engager. On n’est pas, on ne peut pas être chrétien à temps partiel… il n’y a pas d’intermittence de la foi ! Il s’agit d’être cohérent avec ce qui nous fait vivre et avancer. On ne peut pas se contenter de n’être chrétien que le temps d’un office. Le Christ nous a donné les clés, entre autres dans les Béatitudes, pour avoir un comportement attentif aux autres… faire avec les autres pour que chacun ait sa place.

L’importance de s’engager
Il est important de s’engager d’une part pour en finir avec des réflexes de forteresse assiégée, d’autre part pour faire voler en éclats toutes les caricatures concernant les chrétiens. Il n’est pas admissible de laisser le champ libre à des associations comme « Civitas » !
Et là, le pape François a déjà frappé les esprits par la simplicité de son comportement : c’est d’abord un pasteur avant d’être un professeur de morale. Il nous renvoie à l’essentiel : l’autre, mon frère, est visage du Christ, présence du Christ au milieu des hommes… inutile de demander un certificat de baptême pour s’occuper de notre "prochain".

La doctrine sociale de l’Eglise, un trésor
Je n’oublie pas qu’il existe un trésor méconnu dans notre Eglise, trésor dans lequel chacun se devrait de puiser inlassablement : la doctrine sociale de l’Eglise. Dès 1891, le pape d’alors, Léon XIII, abordait les questions de la société de son temps, en particulier les conditions de travail faites à des travailleurs exploités… comme quoi, il n’y a pas grand-chose de nouveau sous le soleil. Je n’oublie pas non plus que nous devons de grandes avancées, tant en France que pour la construction de l’Europe, à des chrétiens : de Robert Schuman et Jean Monnet à Jacques Delors.

En France, nous jouissons de beaucoup de libertés : liberté d’expression, liberté religieuse, liberté d’association, liberté de la presse… alors que dans nombre de pays, des gens meurent en réclamant ces fameux droits. Nous nous comportons en enfants gâtés quand nous rechignons à exercer librement notre droit de vote. Et personnellement, j’ai du mal à accepter les critiques et les dénigrements de gens qui n’ont même pas le courage de leurs opinions en glissant un bulletin de vote dans une urne : si on refuse de s’exprimer quand on peut le faire, inutile de venir récriminer ensuite… là aussi, il faut une certaine cohérence.

Nous voyons un frère et au-delà la Christ

Bernard Moulin, Neuilly-sur-Marne

Bernard Moulin, diacre permanent, est pleinement engagé dans l’Eglise et dans la vie publique et associative. En particulier dans le foyer « Les Gavroches » pour des jeunes en difficulté sociale et familiale (80 jeunes de 8 à 21 ans). En mission ouvrière, Bernard soutient des jeunes en ACO (Action catholique ouvrière) et mène bien d’autres missions d’accompagnement au sein de l’Eglise. 

L’interpellation du pape François sur la participation des chrétiens au bien commun est pour moi une évidence. Déjà, avant même mon ordination diaconale, je ne me suis jamais caché de mon appartenance au Christ, que ce soit dans mon quartier ou dans ma vie professionnelle. Participer au bien commun, avec mes convictions est pour moi indissociable de ma vie de foi et de ma vie spirituelle. Mes activités nourrissent ma foi et ma foi, animée par l’amour que le Seigneur me porte, me permet d’assumer au mieux les missions qu’Il m’a confiées. Ce que j’essaie de vivre de la spiritualité franciscaine me conduit aussi à m’engager auprès de mes frères en situation de pauvreté.
Je ne vois pas une vie authentiquement chrétienne qui ne s’inscrirait pas dans un engagement dans la société au service des frères. Même les moines ou moniales les plus cloîtrés assurent un service des hommes dans le monde par leur prière et leur choix de vie. En effet, la communauté monastique, par l’amour que les frères doivent se porter et l’amour qu’ils vivent de Dieu, montre aux hommes, préfigure, ce que sera le royaume de Dieu et la condition humaine quand elle sera récapitulée dans le Christ.

Foi et engagement dans la société
Je pense qu’il y a une vision chrétienne de la politique et/ou de l’engagement puisqu’en tout homme, nous voyons un frère, et au-delà de ce frère, nous voyons le Christ. Mais cette vision chrétienne de l’engagement ne doit pas nous empêcher de militer et de travailler avec des hommes et des femmes qui n’ont pas cette vision chrétienne, à partir du moment où le but poursuivi est le service de l’homme et de la communauté et que les moyens employés ne sont pas en contradiction avec notre éthique. Foi et engagement dans la société sont inséparables, sauf à considérer que notre relation au Christ n’implique pas de conséquences concrètes sur notre vie quotidienne.
Mais alors, comment partager et faire partager l’amour que Dieu nous porte ? Certes, on peut envisager un engagement individuel, auprès de telle ou telle catégorie de personnes. Mais quelle efficacité ? Quel changement cela apportera à la société ? Un service rendu auprès de telle ou telle personne ou groupe sera certes une marque d’amour et de solidarité. Mais j’affirme que la charité doit aller de pair avec la justice, et que pour cette justice, l’action collective, donc l’engagement politique, public ou associatif est le seul moyen d’avoir une certaine efficacité. Même les hommes qui ont ou qui ont eu un grand charisme (Martin Luther King, l’Abbé Pierre, Mère Térésa… et même le pape François) ne peuvent rien s’ils ne sont pas appuyés par un collectif.

Au service des hommes…
Sur les élections à venir, surtout en ce temps de crise, je crois que dans la lignée de ce que j’ai écrit précédemment, chacun devra veiller à ce que les programmes proposés soient bien au service des hommes, notamment de ceux qui souffrent d’une forme ou l’autre de pauvreté, qu’ils soient attentifs à la réduction des inégalités, et non au service des seuls profits financiers.

Faire entendre ma voix

Gilles Forhan, Le Pré-Saint-Gervais

Pour Gilles Forhan, les événements de 68, lorsqu’il avait 20 ans, lui ont montré l’importance de la mobilisation et de l’engagement. Adhérent de l’ACAT, il est avec son épouse coresponsable du Conseil diocésain de solidarité.

« Nous devons construire le monde avec notre propre opinion, avec notre parole, avec notre correction… nous devons tous participer au bien commun »… Cette interpellation du pape me réjouis, elle change avec ce que l’on a vécu. L’expression le "bien  commun" permet d’espérer que l’on va arrêter de courir après le profit immédiat.

Je ne pense pas qu’il y ait une vision chrétienne de la politique ou de l’engagement dans la société ; les chrétiens se trouvent dans un grand éventail politique. Comme chrétien, je peux faire entendre ma voix pour rappeler que le profit immédiat n’est pas le but d’une existence et que le bien commun doit sous-tendre nos actions dans la vie politique et dans la vie associative.

Toutes les voix doivent se faire entendre
Mon engagement dans la vie associative, syndicale et politique (conseiller municipal et responsable syndical), a été et restera de faire évoluer la société et montrer que les chrétiens n’y sont pas indifférents. Y suis-je arrivé, qu’ai-je pu réellement semer ? Il est important que toutes les voix se fassent entendre afin que la vie publique ne soit pas réglementée par une seule et même conception de la société. Cet engagement est poussé par ma foi mais pas seulement. Les chantiers appelant des ouvriers sont nombreux : les engagements dans la paroisse, l’aide aux plus défavorisés, l’annonce de la Parole, la défense de la dignité des êtres humains…  il faut faire des choix. J’agis et j’essaie d’agir en chrétien. Un message que je souhaiterais faire passer… Ne pas avoir peur de s’engager dans la vie politique ou associative, toujours envisager dans ses actions ou ses paroles le bien commun, garder présent à l’esprit que nous sommes simplement de passage sur la terre, que nous ne sommes pas propriétaires des dons qui nous ont été confiés, et qu’il faut les faire fructifier. Ils nous ont été donnés gratuitement par notre Dieu !

Des engagements nourris de notre foi

Jaklin Pavilla, Saint-Denis

Jaklin Pavilla partage ses engagements entre le Secrétariat national de la pastorale des migrants et la ville de Saint-Denis, comme maire adjointe en charge des personnes âgées, de la vie associative et de la question de la Mémoire. Dès le plus jeune âge, elle fait l’expérience du partage et de la solidarité familiale.

Je ne peux pas témoigner de mes engagements sans commencer par rendre grâce à Dieu, pour tout ce qu’il m’a toujours donné et me donne encore. Née d’une famille de 12 enfants, je suis l’avant dernière d’une famille modeste. Mon père était marin pécheur et ma mère cultivatrice. Petite, j’ai toujours vu passer du monde chez mes parents, ma mère était dans une équipe du Rosaire, mon père réunissait les marins de la commune pour s’organiser ensemble pour leur métier. Maman avait toujours le souci de partager les fruits, les légumes qu’elle ramenait de son jardin. Depuis toute jeune, j’ai été élevée avec ce sens du partage et de la solidarité.
En arrivant à Saint-Denis, c’est tout naturellement que je me suis engagée dans la vie associative, l’association des parents d’élèves, l’amicale des locataires, l’ACE (Action catholique des enfants). J’ai crée une association culturelle « Bay Lamen » qui veut dire « Donnons-nous la main ». En 1998, c’est dans le cadre dans ces engagements, que le maire de l’époque m’a demandé d’être sur sa liste lors des municipales. J’étais en bas de liste, je n’étais pas très motivée. C’était aussi l’époque  où on commençait à parler des quotas hommes-femmes, de la diversité ethnique…
Je n’ai pas été élue. En 2008, je suis à nouveau interpellée, mais entre temps, nos  enfants avaient grandi, j’avais entamé une formation, je me sentais aussi plus sûre. De plus, les deux associations dont je faisais partie avaient pris une grande dimension. J’ai accepté de m’engager… J’ai été élue en charge des personnes âgées, de la vie associative et de la question de la Mémoire.

Faire advenir le royaume de Dieu
Pour moi, il est important de m’engager au service des mes frères et sœurs, même si c’est difficile. C’est en nous engageant, chacun et chacune à sa place, que nous pouvons faire changer les choses pour que notre monde soit plus juste, plus fraternel. C’est aussi une conviction personnelle, en nous engageant dans la société, nous contribuons aussi à faire advenir le royaume de Dieu. Dieu nous y accompagne et met sur notre chemin d’autres pour y parvenir ensemble à bâtir un monde de solidarité et de nous faire toucher à cette promesse d’un monde meilleur. En ACO (Action catholique ouvrière), j’ai pris conscience que ce que mes parents m’ont donné depuis tout jeune étaient déjà des dons de Dieu, même s’ils ne l’exprimaient pas comme tel. Ce lieu est devenu pour moi essentiel, c’est là où je m’arrêtais et mesurait avec d’autres copains que nos engagements étaient bien en cohérence avec la parole de Dieu, de reconnaitre parfois nos écarts. C’est le lieu où nous vérifiions ensemble, l’efficacité de notre prière… Nos engagements doivent être nourris de notre foi. C’est ce qui me permet de tenir.

Bien commun et intérêt général
L’expérience, la volonté sont importantes dans un engagement politique, mais il est  aussi important que l’on soit un peu formé. Je suis tout à fait d’accord avec le pape quand il dit : « nous devons construire notre propre opinion avec notre correction… nous devons tous participer au bien commun ». Ce bien commun, ou l’intérêt général pour reprendre l’expression de mes collègues non croyants est toujours un peu piégeant. L’intérêt général, quelque soit la décision se construit toujours en tenant compte de plusieurs singularités. D’où l’importance d’avoir la plus large information possible.

De nouvelles réalités
La pensée sociale de l’Eglise nous donne quelques repères et nous  aident à avoir une posture claire, même si ces repères vont à l’encontre d’une société de plus en plus difficile sur plusieurs points. Un contexte mondial avec de plus en plus d’inégalités, qui pousse à une grande mobilité des personnes ; un contexte national où on ne voit pas de perspective et qui renforce un repli sur soi. La pensée sociale de l’Eglise doit tenir compte des nouvelles réalités aujourd’hui. Quand je peux, je participe volontiers au relais des élus chrétiens. Nous partageons en général la réalité de nos missions, et cette pensée sociale de l’Eglise ne doit pas nous dispenser à interroger les réalités d’aujourd’hui sur des fondamentaux comme l’accueil, la dignité de l’homme, etc.

Ne pas baisser les bras
L’expérience de ce mandat me confirme que la politique est une bonne chose, à condition qu’on ne perde jamais de vue le service de la population. Je découvre aussi que, malgré la morosité ambiante, malgré les désintéressements vis-à-vis des politiques, quand les habitants sont unis sur un projet, s’ils restent déterminés, et si ce projet va dans le sens du bien commun, on y arrive. D’où l’importance de ne pas baisser les bras, il ne suffit pas seulement de voter pour une équipe, il faut aussi être exigeant envers cette équipe et demander des comptes tout au long du mandat.

Une façon chrétienne de faire de la politique

Benoît Ménard, Pierrefitte-sur-Seine

Conseiller municipal sans étiquette délégué à l’insertion et à l’éducation populaire à Pierrefitte-sur-Seine, Benoît Ménard est directeur de l’UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Il a consacré sa vie au secteur associatif.

Étymologiquement la politique, concerne la vie de la Cité au sens de la ville voire de l’Etat ou de la société. Que nous le voulions ou non, nous sommes tous concernés sur la façon dont s’organise la vie de la société dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, la politique a progressivement pris le sens de la pratique du pouvoir. Celui-ci est entaché de suspicion pour beaucoup de catholiques qui sont un peu conditionnés par différents passage de l’Evangile qui disent « Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir » ou « Celui qui s’élèvera sera abaissé ». Il faut qu’ils comprennent qu’assumer le pouvoir permet de servir et d’agir pour le bien commun sans forcément chercher à s’élever. Il n’y a pas, à mon avis, de politique chrétienne. Face à la complexité des problématiques, bien malin qui peut affirmer que ses choix sont les seuls chrétiens. En revanche, il y a une façon chrétienne de faire de la politique basée sur le respect de l’autre, l’attention aux plus fragiles…

Aller aux périphéries
Il me semble que le pape François a un discours très clair aujourd’hui. Il nous invite à ouvrir les portes de nos églises, non seulement pour accueillir mais aussi pour sortir et aller aux périphéries ; c'est-à-dire à prendre des risques, à aller à la rencontre d’autres qui ne pensent pas forcément comme nous. S’il est important aussi d’agir, il est aussi essentiel de réfléchir à l’action. C’est pourquoi, je participe aux Semaines sociales de France qui permettent de mieux connaître et d’enrichir la doctrine sociale de l’Eglise.

Engagez-vous !
A quelques mois d’élections locales et européennes, je dirais engagez-vous ! Au moins dans la réflexion pour proposer des idées, des projets aux candidats. Allez les interpeller sur des sujets de justice sociale, de vie fraternelle, de solidarité. Montrez-leur que vous y êtes attachés que vous voterez en fonction des positions qu’ils prendront dans ces domaines. Et n’hésitez pas à vous proposer pour les rejoindre sur leur liste. Vous n’êtes pas obligés d’adhérer à un parti et vous découvrirez que nombreux sont ceux qui seront heureux de travailler avec vous dans le respect de vos convictions.

A chacun sa façon de servir le bien commun

Christian Mellon, jésuite, Saint-Denis

Christian Mellon, de la communauté jésuite de Saint-Denis, est membre du Ceras (Centre de recherche et d'action sociales).

Que les laïcs catholiques aient le devoir de s’engager en politique, nul de l’a dit plus nettement que Jean Paul II, dans son exhortation apostolique Les laïcs fidèles du Christ (1987) : « Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel […], pour servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises : tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique […] »
C’est une vision très large de l’action politique qui est proposée ici. Chacun peut donc trouver sa manière propre de servir le « bien commun ». Mais l’action politique proprement dite ne doit pas être méprisée. Le pape connaît bien les objections de beaucoup de catholiques contre ce type d’engagement : « Les accusations d'arrivisme, d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption qui bien souvent sont lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante, des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique. »

La voie institutionnelle de la charité
L’Eglise sait que le bonheur et le plein épanouissement des hommes ne dépend pas seulement des bonnes relations interpersonnelles, mais tout autant de l’état des « institutions » de la société. C’est une manière de servir - et donc d’aimer - son frère que de faire en sorte que les structures sociales qui façonnent nos existences soient plus justes, plus respectueuses des personnes - notamment des plus petits et des plus exclus - assurent la paix publique et une vraie qualité du « lien social »… Benoît XVI le redit à sa manière, avec une formule qui peut étonner, puisqu’il parle de la « voie institutionnelle de la charité », qu’il définit aussi comme « politique » (Caritas in Veritate, 7), en écho à une célèbre formule du pape Pie XI, parlant en 1927 de la « charité politique ».

La Politique une bonne nouvelle
Répondant à l’invitation du pape, des jeunes chrétiens ont créé en 1996 une association qui a pris pour nom et pour programme cette belle formule : « La politique, une bonne nouvelle ». Référence évidente à l’Evangile. Son objectif : donner aux jeunes catholiques le goût de l’engagement pour la "chose publique", ainsi qu’une formation de base pour nourrir et éclairer cet engagement. Convaincus de l’utilité d’un tel projet, des mouvements chrétiens touchant les jeunes (Scouts et guides de France, MRJC, JOC, JEC, DCC, aumôneries d’étudiants) ou ayant une "branche jeune" (Mission de France, MCC, CCFD, Communauté de vie chrétienne) organisent ensemble tous les deux ans, avec le soutien du Ceras, une session de six jours, qui rassemble entre 60 et 100 jeunes, de 18 à 33 ans. L’engagement politique du chrétien y est abordé sous divers angles (théologie, philosophie, histoire) ; des élus et un évêque viennent témoigner ; il y a beaucoup de débats, de jeux, de temps de prière et de célébration. Parmi les 700 à 800 jeunes qui ont bénéficié de cette formation - la désormais fameuse session d’Aix-en-Provence - bon nombre se sont engagés en politique, dans des partis allant du Front de gauche au Parti chrétien démocrate, en passant par le PS, les Verts, le Modem et l’UMP. Car le respect du pluralisme politique des chrétiens est un des points forts de cette association. Les jeunes participants découvrent avec bonheur qu’ils peuvent vivre fraternellement une semaine, échanger, débattre, prier et communier avec d’autres jeunes chrétiens ayant des options politiques différentes, voire opposées.
La prochaine session aura lieu du 17 au 24 aout 2014, à Aix-en-Provence (+d’infos www.politiquebonnenouvelle.eu

Rendre à César ce qui lui appartient

Pierre-Marie Salle, Le Raincy

Comme Maire adjoint au Raincy depuis 1995, outre de gérer les finances de la ville, Pierre-Marie Salle a eu en charge d’autres délégations comme l’urbanisme, les travaux, le commerce, les associations, le sport

Mon engagement à la Ville est très prenant quand on a une activité professionnelle et des enfants ; on est semi professionnel de la politique ce qui fait qu'on cumule les inconvénients… mais personne ne nous force !
Pour moi, le christianisme est non seulement une foi mais aussi une philosophie de vie : « Seigneur, si j'ai faim, donne-moi quelqu'un à nourrir ». L'engagement vient souvent de la volonté d'ouverture aux autres qui est une façon de trouver son équilibre. En revanche, je pense que la démarche militante est exactement l’inverse de la démarche de foi : ma foi religieuse m'amène à m'imposer des choses à moi et à être infiniment ouvert et tolérant aux autres ; l'engagement politique pousse à proposer aux autres sa propre vision de la société et à certains égards à la leur imposer : si j’ai raison, alors il faut appliquer mes recettes !

Les meilleures intentions font souvent les pires politiques
La foi religieuse pousse à se transformer soi même et la foi politique à transformer la société donc les autres. Cette opposition est un peu moins contrastée au niveau municipal, car il s'agit d'aider les autres sur des questions ou l'idéologie est moins présente. Je pense qu'un chrétien se doit d'être engagé mais il n’y a pas d'engagement politique chrétien : il faut rendre à César ce qui lui appartient. On peut être profondément chrétien et soutenir des points de vue opposés en "toute bonne foi". Cela dépend beaucoup de là ou on place l'horizon et les meilleures intentions font souvent les pires politiques ; la devise du communisme « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses mérites » est très belle et parait directement inspirée de l’Evangile mais, à mon avis, cela ne marche que dans les monastères, comme l'évolution du bloc de l'Est au cours du 20e siècle l'a illustré.

Tous ensemble, tous ensemble…

Marie-Josèphe Dubertret, Noisy-le-Grand

Après avoir pris quelques distances avec l’Eglise, Marie-Josèphe Dubertret s’est engagée sur deux fronts, d’une part le catéchisme, l’aumônerie de lycée, le catéchuménat adulte, comme aumônier de prison à Villepinte, tout en poursuivant ses engagements pédagogiques, syndicaux, au sein du réseau d’éducation sans frontières, etc.

Je suis tellement heureuse que le pape François ait utilisé cette belle expression du « bien commun ». Ce n'est pas le Bien opposé au Mal. C'est un bien pour tous que l'on construit ensemble. Celui dont personne ne peut, ne doit être exclu. Celui qui tient compte de chacun et de tous.
« Tous ensemble, tous ensemble, ouais, ouais ». J'étais très émue lorsque j'écoutais mes élèves crier ce slogan dans les rues de Paris. Ce sont eux, les lycéens du 93 qui l'ont inventé lorsqu'ils ont découvert que le rapport heures profs/élève leur était nettement défavorable par rapport à Paris, alors qu'ils cumulaient beaucoup plus de handicaps, sociaux et autres… Ils avaient compris, je crois, ce qu'était le bien commun. Les syndicats ont repris ce slogan plus tard.

Prier pour les victimes et leurs bourreaux
L'inspiration chrétienne de mes engagements : une méditation sur l'Ecce Homo, la figure blessée, humiliée du Christ. « Voici l'homme », dit Pilate. Voici ce que l'homme est capable d'infliger à d'autres hommes. Victimes et bourreaux défigurés symétriquement dans leur humanité (C'est la belle intuition de l'ACAT qui prie pour les victimes de tortures, mais aussi pour leurs bourreaux). Alors patiemment, restaurer la dignité, soigner les blessures, patiemment faire réapparaître la beauté des visages et des aspirations à vivre, patiemment nommer ce qui a fait mal, ce qui a humilié et renouer les liens. Patiemment, rechercher la justice. Et à l'autre extrémité, une autre méditation sur la Création : homme créé à l'image de Dieu, appelé à vivre de la vie de Dieu donnée en plénitude en Jésus-Christ. Alors patiemment, discerner et choisir ensemble ce qui nous conduit à la vie, résister à ce qui divise ou nie l'humanité.

S'engager dans la Cité
Alors oui, travailler à comprendre le monde que nous faisons ou laissons faire. Alors oui, s'engager dans la Cité avec tous ceux qui, comme nous, croient à la dignité de tout homme. Levain dans la pâte, empêcheurs de tourner en rond, vigilants, exigeants, inventifs de solutions qui respectent les plus fragiles ou les plus affaiblis, et qui permettent à tous de grandir en humanité (partage, refus du gaspillage ou du pillage des biens, écoute et respect de la diversité). A la retraite, j'ai accepté d'être aumônier de prison à Villepinte. Et, pour moi, c'est dans la continuité de mes engagements antérieurs. « Serviteur quelconque » comme dit Jésus en Luc 17, 10 ne faisant que mon devoir.

Ca, c’est vraiment Evangile !

Isabelle Vandiedonck, Montreuil-sous-Bois

Isabelle Vandiedonck est engagée dans une association qui gère un centre social et un accueil petite enfance dans un quartier de Montreuil. Une structure qui propose des activités pour les enfants et les jeunes, un soutien scolaire, des ateliers socio linguistiques, des actions de soutien à la parentalité, des sorties pour les familles, etc.

J’ai connu l’association SFM (Solidarité français migrants) par un membre de mon équipe d’Action catholique ouvrière. Après avoir apporté une aide pour le suivi des finances à une période de grandes difficultés financières en 2010, je suis entrée au bureau avant d’être élue présidente en mai 2013. A SFM, je suis heureuse car j'ai souvent l'impression que nous pouvons y rencontrer ce que l'humain a de plus beau.
Les femmes qui suivent les ateliers socio linguistiques vivent un véritable chemin de libération. Peu à peu, elles sont en mesure d’effectuer des démarches, seules, rejoindre l'école de leurs enfants, pour tisser des amitiés. Elles participent également au comité des familles, portent des projets (pour le respect de l'environnement, la santé, etc.), prennent la parole en assemblée générale, elles sont rayonnantes. C'est une renaissance… et ça, c'est vraiment Evangile !
Des jeunes participent aux élections au Comité citoyen démocratique des enfants et des jeunes. Ils font campagne, débattent, rendent compte de leur programme. On les retrouve l'année suivante délégués de classe, parlant de ''leurs responsabilités'', évoquant l'intérêt commun… et ça, c'est vraiment Evangile !
Des enfants de toutes origines, de toutes cultures découvrent grâce aux enfants Roms qu'il n'est pas nécessaire d'acheter et de ne jurer que par les marques. Les Roms qui viennent aussi à SFM leur montrent que l'on peut faire de belles choses en recyclant. Alors, on lance la mode de la récup' qui va détrôner les plus grandes marques. On apprend à se connaitre, à se respecter, à s'enrichir des différences… et ça, c'est Evangile.

Etrange que les bénévoles manquent
C'est parfois la galère : plus d'argent, une agression, les inondations à répétition des locaux par les eaux usées, les salariés qui craquent… Mais cela vaut le coup. On se sent souvent comme les disciples qui pendant des heures ne pêchent rien mais font tout ce qu'ils peuvent, tiennent bon et gardent confiance. Alors c'est la pêche miraculeuse. Je trouve que tout chrétien ne peut que désirer vivre ce genre de belle aventure que vivent tous ceux qui acceptent de s'engager, de risquer l'engagement.
Alors il est étrange que les bénévoles manquent. Militante très jeune, je n’étais pas croyante, et plus tard, c’est le témoignage d’une syndicaliste portée et nourrie par sa foi qui m’a fait découvrir Jésus Christ et demander le baptême à 24 ans. Elle avait quelque chose qui tenait du trésor : en toute circonstance, elle gardait confiance et elle se sentait proche des gens même dans leurs limites, même dans leurs lâchetés, même dans leurs aspects négatifs, elle croyait en eux. Depuis, moi aussi, je vis mes engagements, plus forte, plus confiante, plus attentive aux petits frémissements de la victoire de l’amour. Un catholique doit s’engager car, comment pourrait-il aimer son prochain sans agir là où son prochain souffre ou a besoin de lui ?

Répondre à sa vocation
Notre père évêque dit : « Être catholique, c'est déjà un engagement ». Quand on s'engage à suivre le Christ, on est forcément porté à répondre aux  appels de ceux qui tissent des liens et construisent un mieux vivre ensemble. On est poussé. La doctrine sociale de l’Eglise dit bien la nécessité absolue de participer à l’action qui a pour but de promouvoir le bien commun. Dans « Gaudium et spes, « la vie sociale n’est donc pas pour l’homme quelque chose de surajouté ; aussi c’est par l’échange avec autrui, par la réciprocité des services, par le dialogue avec ses frères que l’homme grandit selon toutes ses capacités et peut répondre à sa vocation. »

Un repère pour la population
Le pape Jean Paul II, dans « les laïcs fidèles du Christ » insiste sur « l'engagement à être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de l'homme, conformément à la doctrine sociale de l'Eglise » Et il affirme que « le bénévolat doit être considéré comme une expression importante d'apostolat où les fidèles laïcs, hommes et femmes, ont un rôle de premier plan. » Ces appels ne sont pas assez connus des catholiques. Et pourtant, quand la demande porte sur une action précise dans une durée précise comme ce fut le cas l’an dernier (et ce le sera encore cette année) avec l’hébergement d’urgence, la réponse est à la hauteur. C’est bien. Mais la société a aussi besoin d’actions de longue durée, d’enracinement parce que construire prend du temps, apprivoiser prend du temps : SFM a près de 40 ans et il a fallu plusieurs générations de bénévoles pour qu’aujourd’hui cette association soit un repère pour la population. Il a fallu qu’ils s’engagent sans trop savoir pour quoi faire ni pour combien de temps. Il serait intéressant que l’Eglise relaie, par toutes les voix/voies dont elle dispose, les initiatives d’associations laïques, syndicats, partis qui sont porteuses de fraternité, de solidarité et qu’elle relaie aussi les besoins en talents de chacun pour continuer.

Nous sommes tous dotés de dons

Jean-François Raynaud, Le Raincy

Jean-François Raynaud est directeur associé d'une imprimerie numérique à la Plaine Saint-Denis, une entreprise familiale crée en 1970. Il est actuellement président des EDC (Entrepreneurs et dirigeants chrétiens) de La Plaine Saint-Denis.

Les EDC sont un lieu d'échange entre entrepreneurs et dirigeants chrétiens au regard de notre foi. Quel que soit le débat, nous reconnaissons que l'homme est au centre de notre foi et que nous ne pouvons vivre celle-ci sans l'autre. En conséquence, l'engagement EDC nous pousse à agir chaque jour au regard de ce partage. Il serait hypocrite de ne pas mettre en action nos croyances sans les partager. Or, pour un dirigeant le rayonnement de la foi doit  commencer dans son entreprise. Il ne s'agit pas d'évangéliser ou même de faire part haut et fort de notre appartenance religieuse ; l'entreprise doit rester un lieu laïque, mais il s'agit par ses actes de donner des signes clairs. Les occasions sont nombreuses : évaluation du collaborateur, définition du juste prix, respect des autres et des paroles données, écoute… Le dirigeant d'entreprise dispose de grands pouvoirs et ses décisions peuvent avoir des conséquences importantes sur la vie des femmes et des hommes qui l'entourent.

Prendre du recul
Être chrétien n'a de sens que dans notre relation aux autres et donc dans nos actes. Notre foi doit vivre à notre échelle, nous ne sommes pas tous obligés d'être prêtre ou moine... Soyons chrétiens en famille, avec nos amis et dans l'entreprise. Nous n'en avons pas toujours la force à chaque instant mais pour ma part quelques règles simples me permettent de ne pas oublier ce vœu pieu : les EDC sont une occasion régulière de prendre du recul, depuis ma participation à ce mouvement, ma prière est plus régulière et je n'hésite pas à m'abandonner à la grâce de Dieu en qui j'ai confiance. Sans naïveté, Dieu n'est pas un "médicament", laissons nous guider par l'Esprit Saint dans notre vie sociale.

Au service du développement de l'autre
Pour moi, il y a une vision chrétienne de la politique ! La politique a du sens, notre foi aussi et les deux sont tout à fait compatibles. À force de tout rendre laïque, la notion même de morale disparaît… Nous sommes tous dotés de dons et nous devons les faites fructifier nous dit l'Evangile. Que vaut notre amour des autres, fondement de notre foi, s’il n'est pas au service du développement de l'autre ? Cela passe donc nécessairement par l'action et la politique. Le monde associatif sont des lieux privilégiés pour agir. Cependant restons humbles, nous ne sommes pas tous capables de le faire, certains d'entre nous se battent simplement à faire vivre leur famille et à rendre heureux leurs proches, ne leur reprochons rien.

Nous ne pouvons pas critiquer sans agir
A quelques mois des élections locales et européennes, à ceux qui font de la politique : courage, bravo, continuez, n'ayez pas peur, ayez confiance, gardez vos convictions, refusez le pouvoir et restez humbles ! A ceux qui devront voter : votez, vous ne pouvez critiquer sans agir.

Lettre de saint Paul apôtre aux Romains (12, 5-8 [16]).
De même, dans le Christ, tous, tant que nous sommes, nous formons un seul corps ; tous et chacun, nous sommes membres les uns des autres. Et selon la grâce que Dieu nous a donnée, nous avons reçu des dons qui sont différents. Si c'est le don de prophétie, il faut se régler sur la foi ; si c'est le don de servir, il faut servir ; si l'on est fait pour enseigner, que l'on enseigne ; pour encourager, que l'on encourage. Celui qui donne, qu'il soit simple ; celui qui dirige, qu'il soit actif ; celui qui se dévoue aux malheureux, qu'il ait le sourire […]

Engagement revendicatif et action politique

Jean-Loup Ogé, Aubervilliers

Elu conseiller municipal d’Aubervilliers depuis mars 2008, sur liste PS-Verts Ecologie-Parti Républicain de Gauche, Jean-Loup Ogé est médiateur de la ville, chargé des conditions d’exercice des cultes.

J’ai essayé tout au long de ma vie de vivre l’Evangile dans mes engagements au sein de l’Eglise et aussi hors les murs à travers l’associatif (syndicalisme, mutualisme). J’ai souhaité passer de l’engagement revendicatif nécessaire à un engagement décisionnaire qu’est l’action politique. La politique, c’est gouverner les affaires publiques (locale, régionale, nationale) mais aussi du monde (Europe…). La politique organise les rapports entre les hommes en définissant des droits et les devoirs qui doivent permettre à tous de vivre dans la dignité ou le plus fort n’écrase pas le plus faible. La politique organise tous les secteurs de la vie en société : santé, logement, éducation, transport, la sécurité… mais aussi les relations internationales.

Tous concernés, croyants ou non
Pour nous chrétiens, plusieurs textes nous invitent à l’engagement vis-à-vis de nos frères, avec un nombre d’exigences éthiques. Dans l’Ancien testament : « Apprenez à faire le bien, recherchez la justice… » (Isaïe 1, 11-17). Dans le Nouveau testament : « Celui qui n'agit pas, sa foi est bel et bien morte » (Jacques 2, 14-17). Matthieu, au chapitre 25, souligne la dimension collective autant que personnel des exigences concrètes : « J’avais faim, soif, … » Plus récemment, le pape Benoît XVI affirmait : « La politique est une forme supérieure de la charité ». D’autres papes par le biais d’encycliques, les évêques par des lettres se sont exprimés en ces termes : « Vouloir une société humaine digne du projet de Dieu sur cette terre est une noble tâche ». Le concile Vatican II nous le rappelle dans « L’Eglise dans le monde de ce temps » (Gaudium et spes), au chapitre IV : « La vie de la communauté politique ». L’Evangile inspire la doctrine sociale de l’Eglise, mode d’emploi du service du bien commun objet de la politique.

Prendre ses responsabilités
A la veille des élections municipales, européenne, comme citoyen chrétien, il est impératif de participer aux élections. Notre choix doit se faire au regard des contenus des programmes proposés. Nous devons être attentifs à ce que nos valeurs de justice, de solidarité, de fraternité et de paix soient respectées. Le "vivre ensemble" demande que chacun sache prendre ses propres responsabilités.

Les appels des personnes en situation de handicap

Marc Rouzeau, Sevran

Marc Rouzeau est diacre permanent. Il a longtemps dirigé l’Association des paralysés de France (APF), et nous livre ici quelques rencontres singulières avec des personnes en situation de handicap.

Toujours très en lien avec l'Association des paralysés de France, il m'a été demandé de mettre en place des espaces de débats éthiques avec des personnes en situation de handicap. Au cours de ces rencontres et à travers l'expression des personnes, j'ai mieux compris encore, la souffrance profonde d'un certain nombre de ces personnes, mais aussi un grand désir de vivre en lien avec les autres. J'ai ainsi entendu la prière d'un peuple que l'on a un peu tendance à oublier cela m'a fait penser à Yahvé qui s'adressant à Moïse lui dit « J'ai entendu la misère de mon peuple en Égypte ». Dieu entend aussi aujourd'hui, la misère, la souffrance, les appels des personnes en situation de handicap.

Des êtres d'exception
Cette femme infirme moteur cérébrale (IMC) attendant un enfant se fait rejeter par sa famille, conseillée par ses amis et le milieu médical d'abandonner le fruit de l'amour qu'elle porte en elle et aujourd'hui qu'elle est grand-mère elle exprime sa joie, elle libère d'autres femmes qui récemment se sont trouvées dans les mêmes difficultés.
Cette maman qui a deux enfants très lourdement handicapés et qui se bat pour ses deux fils qui sont atteints d'une maladie évolutive, avec des difficultés respiratoires, de déglutition et de parole, et cette maman se demande par moment « à quoi bon vivre ainsi ? ». Mais eux de répondre qu'ils sont heureux de vivre, de voir un match de foot à la télé, d'avoir la présence de leur mère auprès d'eux, et de recevoir la visite de tel ou tel. Leur vie, malgré une situation physique dégradée, se résume à des contacts humains, d'où l'importance de prendre du temps pour la rencontre.
Cet homme privé de parole avec un lourd handicap m'explique avec difficulté comment sa vie est un enfermement de ne pas pouvoir communiquer par la voix, de ne pas pouvoir tendre la main, ce geste auquel se rattache tant de symboles. Il m'avoue qu'il vit un enfer mais dès qu'on prend du temps une grande lumière passe dans ses yeux. Là encore il faut savoir s'arrêter, s'attarder.

Le Christ me fait signe
Aujourd'hui je suis bousculé par toutes ces rencontres, elles me font vibrer à l'unisson avec l’évangile de Matthieu (25, 31-40) : « Chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ». A travers ces rendez-vous, j'ai vraiment le sentiment que le Christ me fait signe et je suis heureux de tels partages. Permettre à des femmes et à des hommes de s'exprimer c'est déjà leur donner le sentiment d'exister, qu'ils puissent le faire à plusieurs dans des espaces où la confiance est totale, c'est n'avoir pas peur d'être jugé. C'est aussi repartir souvent plus sûr de soi et faire profiter d'autres de sa propre expérience c'est grandir.

L'Homme habité par Dieu
Dans notre monde moderne où la technologie permet des révolutions mais où des Hommes lents, maladroits, malhabiles avec des difficultés d'élocution qui n'ont pas les critères de la beauté de la société ambiante, ces Hommes se sentent exclus, marginalisés. Certains pensent qu'il faudrait supprimer ces vies qui leur semblent inutiles et qui entraînent souvent des dépenses importantes. Et bien, il faut crier haut et fort que nous devons respecter l'Homme habité par Dieu, tabernacle du Christ. Ces femmes et ces hommes ont à nous dire beaucoup de l'amour de Dieu et l’Église à raison de dire et de redire avec force son attachement à la dignité de l'Homme car fils du père et frère en Christ nous avons une valeur incroyable puisque nous sommes le seul trésor que Dieu à sur la terre.

La pensée en actions

Florent Lacaille-Albiges, Aulnay-sous-Bois

Bien qu’ayant 21 ans, Florent Lacaille-Albiges de famille militante s’est engagé en JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) très jeune, dès l’âge de 13 ans. Au fil des ans, il s’est impliqué dans l’action politique et écrit dans plusieurs organes de presse.

Contrairement à une image assez répandue, le militantisme (en tout cas au NPA et dans un certain nombre d'organisations de gauche) ce n'est pas un chef qui donne son avis, écrit un tract et une armée d'encartés qui vont le distribuer partout et répéter ce qu'on leur a dit. D'ailleurs sur de nombreuses questions (comme la question de la laïcité qui revient régulièrement), les partis sont divisés et les mêmes idées sont défendues par des gens de partis différents.

Militer dans un parti c'est être dans un endroit où circulent de nombreuses informations sur l'actualité politique, c'est également apprendre à trouver des repères et à se forger un avis dans un monde où ce n'est pas toujours facile. La vie dans un parti est aussi composée de discussions et de réflexions faites ensemble (c'est un "intellectuel collectif"). Dans ce sens là, le militantisme est une grande liberté puisqu'on est moins dépendant des avis des autres.

Enfin la partie visible de l'iceberg politique, c'est surtout c'est la traduction de ces pensées en actions. L'espace politique c'est en quelque sorte l'endroit où de nombreuses idées (en philosophie, en économie, en sciences ...) deviennent des propositions et rencontrent notre vie de tous les jours.

Qu’est-ce qui nourrit mon engagement ?

Gabriel Katuvadioko, Noisy-le-Sec

Après un engagement au niveau paroissial, notamment auprès des communautés africaines et des jeunes, Gabriel Katuvadioko a été permanent à l’aumônerie nationale des communautés africaines.

L’interpellation du pape François pour que nous participions au bien commun rejoint cette page de l’Evangile qui nous appelle chacun à être lumière du monde et sel de la terre (Matthieu 5). Nourri de cette page d’Evangile, je suis appelé à donner goût à la vie des gens qui croisent mon chemin et agir à la lumière de la parole de Dieu.

La vraie question, pour moi, reste : qu’est-ce qui quotidiennement nourrit mon engagement (politique ou social) ? Qu’est-ce qui donne sens à mon agir ? Quelle est la sève qui donne vie à mon action ? La vision de mon engagement politique ou social sera chrétienne si elle est conforme à la résonnance en moi de la parole de Dieu.

Si on s’engage dans la vie publique, en politique ou dans la vie associative, c’est pour donner du sens à l’engagement pour l’Homme et la société, avec abnégation, dans la gratuité. Mesdames, messieurs… que votre engagement soit un service. Que votre devise soit : « Servir et non Se servir » !

S’engager dans la vie citoyenne

Françoise Thomas, Le Blanc-Mesnil

Françoise Thomas réside au Blanc-Mesnil. Elle est responsable de l’antenne du Secours catholique au Blanc-Mesnil qui fêtera ses 10 ans l’an prochain.

Paroissienne, mon premier engagement en Eglise fût l’accueil des familles en deuil. De grands moments d’échanges et de partage de mes convictions religieuses face à la mort. Cet accueil a soulevé la question des autres possibilités d’accueil, qui furent abordés en EAP (Equipe d’animation paroissiale) : permanence au presbytère, dans l’église lors de la messe… être présent, être au service. Ces différents accueils m’ont entrainée vers la vie associative avec la création de l’antenne du Secours catholique sur la commune du Blanc-Mesnil, « un autre service d’Eglise ». Nous fêterons les 10 ans de cette antenne locale en 2014.

Respectés et sollicités
Pour le bon fonctionnement de celle-ci, nous devons connaitre les partenaires locaux de la solidarité : CCAS (Centre communal d’action sociale), assistantes sociales, … et les autres associations caritatives. Faire savoir ce que nous faisons, par l’envoi du bilan d’activité, aux partenaires et au Maire, venu avec son adjointe à la solidarité nous rencontrer à la permanence. Ils ont découvert tout ce que nous faisions pour les citoyens démunis… Une collaboration et un partenariat bien réels. Nous sommes maintenant connus respectés et sollicités. Nous faisons également partie du conseil d’administration du CCAS, cela nous permet de questionner et d’informer sur les nouvelles pauvretés rencontrées. Le Secours catholique nous fait bouger, nous interroge… « Diaconia » au service du frère, en paroisse et partout… L’hébergement solidaire. Un chrétien puise sa fidélité au Christ, une raison majeure de s'engager pour faire avancer les choses, être acteur pour ne pas subir, bousculer comme le Christ  l'a fait, ou le pousse à le faire.

L’Evangile conforte mon engagement solidaire
Pour les élections 2014, un questionnaire (Pour une ville solidaire avec les plus pauvres) a été envoyé à toutes les communes, afin de connaitre ce qui existe au niveau de l’accueil, du CCAS, du logement… Existe-t-il une analyse des besoins sociaux ? Une ville solidaire permet à chacun d’accéder à ses droits, elle fait vivre les valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité. Je ne fais pas de politique en tant que tel mais je suis présente dans les instances communales en lien avec mon engagement, ce qui fait grandir ma foi. Les paroles d’évangiles attestent et confortent et soutiennent mon engagement solidaire.

Au seuil de la porte de l’Eglise

Jean-Yves Le Roy, Saint-Denis

Jean-Yves Le Roy est diacre permanent. Il est engagé dans diverses organisations syndicales ou associatives sur Saint-Denis. En Eglise, il œuvre notamment au CCFD-Terre Solidaire et à l’ACO (Action catholique ouvrière).

Aller à la rencontre des hommes et des femmes de notre temps, voilà notre mission de chrétien. Vivre l’Evangile, c’est être au seuil de la porte de l’Eglise : dedans pour confier à Dieu la vie du monde extérieur. Puis, nourrit du corps du Christ, il nous envoie en mission sur le terrain mettre en pratique ce que nous venons de dire et entendre. Dans le collectif des personnes à la rue - tous et toutes musulmans -, certains m’ont dit qu’ils dormaient près de la basilique mais jamais n’ont osé y entrer. Aussi, avec les pères Bernard Berger et Jean Courtaudière, une visite leur a été proposée il y a deux semaines. Je suis témoin de leur joie et de leurs remerciements pour cette initiative et les aides de tous ordres qu’ils reçoivent des chrétiens.

Soyons attentifs
Ce 6 novembre, j’ai vécu un rassemblement intersyndical devant la direction de la poste à Bobigny, suite à la fermeture du Centre de tri de Bobigny programmée pour fin 2014. Beaucoup de collègues se retrouvent sans proposition d’emploi réaliste… Nous allons vivre une période électorale importante - européenne ou locale. Soyons attentifs aux listes qui refusent l’exclusion et permettent à chacun de prendre leur place dans la société.

Des responsabilités dans la vie associative

Catherine Taleb, Saint-Denis

Engagée au CCFD-Terre solidaire depuis 2005, et en prolongement au Conseil consultatif de la vie associative de Saint-Denis, Catherine Taleb est en lien avec de nombreuses associations locales.

Le CCFD-Terre Solidaire est pour moi le moyen de servir le Christ en participant, très modestement, à l’élaboration d’un monde plus juste et plus solidaire, par les actions de sensibilisation, des rencontres, le plaidoyer… C’est un engagement que j’ai approfondi depuis que je suis en responsabilité de l’équipe locale de Saint-Denis. Ce mandat m’a amenée à prendre des responsabilités au niveau de la vie associative de Saint-Denis, où, au nom du CCFD-TS, je fais partie du bureau du Conseil consultatif de la vie associative.
Sa mission : préparer,  avec le service de la vie associative, les grands événements de la ville, et se mettre au service des autres associations totalement laïques ou d’autres confessions. Chacun sait que le CCFD est catholique, cela conduit parfois à des discussions intéressantes comme par exemple sur la charité, et apporte des contacts inter personnels. C’est là que je peux poser un regard particulier sur  les gens que je rencontre. Ce ne sont pas forcément des pauvres ou des malades, mais je sens le désir de les aimer, de leur montrer par mon attitude, mon écoute, mon attention, ma disponibilité, qu’ils ont du prix à mes yeux. Cela m’est donné de plus loin que moi… Il me faut seulement, comme disait le père Etienne Grieu (Diaconia à Lourdes) : garder les mains ouvertes pour ne pas retenir le don de Dieu. Laisser passer Dieu…

Le pape François me réconforte dans mes engagements
Par le biais de mon engagement dans la vie associative, j’ai été informée des expulsions "musclées" des Roms pendant l’été 2010. Interpellée par la situation de ces familles, indignée par le traitement qui leur était réservé, je me suis rapprochée du collectif de soutien. Nous devons participer à la construction d’un monde plus juste et plus solidaire et contribuer au bien commun. Je suis très contente que ces mots viennent du pape François ; cela me réconforte dans mes engagements et m’encourage à en prendre un peu plus… J’essaie de rester vigilante et de relire ce que je fais en m’interrogeant : pourquoi je fais cela ? Au nom de qui ? De quoi ? Pour ne pas perdre de vue l’essentiel : Lui, le Seigneur, en qui, par qui et pour qui j’agis. Si je veux « laisser passer Dieu », il faut que je reste branchée sur la Source… Cette "relecture" est facilitée par mon appartenance à la Communauté vie chrétienne.

Agir et veiller pour dénoncer
La création et le soin du frère nous ont été confiés dès le commencement : « Qu’as-tu fait de ton frère ? ». Même si la société est laïque et que notre engagement n’est pas ostensiblement chrétien, c’est dans la façon de remplir cet engagement que peut  se sentir la différence, différence que nous pouvons partager avec des non croyants. Pour nous chrétiens, ce ne doit pas être la recherche du pouvoir qui nous guide,  mais l’occasion de "servir". Pour que « tout l’Homme et tous les hommes » puissent vivre, il nous appartient d’agir et de veiller pour dénoncer, avec d’autres, ce qui va à l’encontre de cette vie pour tous. Pour moi, l’engagement politique, au sens chrétien, doit être au service du bien commun, avec une  option préférentielle pour les  plus faibles. S’interroger : ai-je vraiment servi le bien commun aujourd’hui ? Dans telle décision, ai-je vraiment pris en compte les plus faibles ? Comment ?

Des alternatives pour plus de justice et de solidarité
Je trouve important de s’engager dans la vie publique et/ou associative, parce que le développement - ultra libéralisme économique - actuel de notre monde produit de l’exclusion à grande échelle et a un impact destructeur sur la planète… Le scandale de la faim qui touche 1 milliard de personnes, alors que  nous aurions les moyens techniques et financiers de l’éradiquer. Face à des choix économiques et politiques contestables au regard de l’avenir de la planète et des humains les plus fragiles, les citoyens, à fortiori les chrétiens doivent se mobiliser pour dénoncer par exemple, le scandale de la faim ou l’évasion fiscale, qui prive les pays pauvres de ressources économiques, et proposer des alternatives pour plus de justice et de solidarité. Cet engagement modeste est à la fois source et prolongement de ma foi. Source, car c’est là, dans le service des frères, que je peux, en complément de la prière et de l’eucharistie, rencontrer le Seigneur et faire grandir ma relation à Lui. Mais c’est aussi un prolongement de ma foi, car la parole de Dieu, commentée en Eglise, nous invite sans cesse à sortir, à aller aux périphéries… vers nos frères et sœurs, à mettre en actes notre foi. C’est une sorte d’aller-retour permanent, l’un nourrissant l’autre.

Entendre la voix des sans voix
A quelques mois des élections locales et européennes, j’aurais envie de reprendre ce qui avait été dit pendant la campagne électorale de 2007 par les grandes associations (CCFD-Terre Solidaire et Secours catholique organisées en collectif) : « Ne donnez pas votre voix, avant d’avoir entendu celle des sans voix ».  Autrement dit : ne votez pas selon les médias et les peurs de l’autre qu’elles véhiculent… Rencontrez, dialoguez, discutez,  faites-vous une opinion et gardez en tête les valeurs (sociales) que les chrétiens portent. Cherchez à savoir comment le candidat va faire place concrètement aux plus faibles, aux plus pauvres, aux migrants (dont les Roms), à la justice sociale, à l’éducation pour tous… à la protection de l’environnement. Provoquez le dialogue avec eux sur ces points…

Repères

Mouvements d’action catholique en Seine-Saint-Denis
- ACE (Action catholique des enfants), ACI (Action catholique des milieux indépendants), ACO (Action catholique ouvrière), JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne), MCC (Mouvement chrétien des cadres et dirigeants), MCR (Mouvement chrétien des retraités), VEA (Vivre ensemble l’Evangile aujourd’hui)…
Plus d’infos

Relais des élus chrétiens (ACI)
- Bernard et Marie-Claire Mériaux – Email

Documents diocésains…
- Chemins d’avenir pour notre Eglise, 2006
- L’Evangile dans la ville, Synode 2000

Autres documents / encycliques
- Les laïcs fidèles du Christ (Christifideles laici), sur la vocation et la mission des laïcs dans l’Eglise et dans le monde, Jean-Paul II, 1988
- L'Eglise dans le monde de ce temps (Gaudium et spes), Vatican II, 1965
- Diaconie et politique (Diaconia 2013, note théologique)
- Centesimus annus, encyclique du pape Jean-Paul II, 1991 (centeniare de Rerum novarum)
- Laborem exercens, encyclique du pape Jean-Paul II sur le travail humain, 1981
- Populorum progressio, encyclique du pape Paul VI sur le développement des peuples, 1967
- Rerum novarum, encyclique du pape Léon XIII sur la doctrine sociale de l’Eglise, 1891
 

A voir…
- Association « La politique, une bonne nouvelle » : session d’été du 17 au 24 août 2014
- www.ktotv.com (forum politique Face aux chrétiens)
- Eglise catholique et société
- Site du Ceras : doctrine sociale de l’Eglise