« À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. » (1 Rois 19, 11-12)
Samedi 11 octobre 2025, veille de la fête de saint Denis dans notre diocèse, un temps spirituel s’est tenu à Notre-Dame de Paris, à l’intention des personnes victimes de violences sexuelles dans l’Église. Près de quatre cents personnes venues de toute la France, accompagnées par l’INIRR, les associations de victimes ou les cellules d’écoute, se sont retrouvées. Ce rendez-vous portait un titre sobre et fort : « Temps spirituel et fraternel sur le chemin de la reconstruction. »
Ce fut un chemin, au sens propre : la courte marche entre Saint-Merry et Notre-Dame, vécue comme une procession discrète mais habitée. Sur la route, des échanges simples : « Vous venez d’où ? » « Quelle association ? » Ou encore la joie des retrouvailles : « Nous étions voisines de table à Lourdes, le premier jour ! » Ces petits riens étaient déjà des signes de vie, de foi et d’espérance.
Je trouvais essentiel d’y être. Non par curiosité, ni par obligation, ni même en représentation du diocèse, mais parce que je crois profondément que ces moments-là sont des lieux où l’Église apprend à se tenir debout autrement : à écouter, à se taire, à se convertir. Je n’y allais pas en courant, non plus. J’y allais avec gravité, appréhension, avec ce mélange d’émotion et de crainte que suscitent toujours les lieux où se rassemblent ceux et celles dont la blessure traverse encore le cœur de l’Église.
Les témoignages des personnes victimes, qui ont rythmé ce temps, étaient d’une profondeur, d’une gravité, d’une émotion extrême. Comment ne pas percevoir l’analogie entre l’incendie de Notre-Dame de Paris et la blessure des victimes ?
Une cathédrale majestueuse, pleine d’histoire, culturelle, spirituelle, profondément humaine, habitée par la présence de Dieu. Une cathédrale brûlée, ravagée, effondrée sous les yeux du monde entier. Et pourtant, patiemment, avec le travail minutieux des bâtisseurs, elle se relève. Ainsi en est-il, me semble-t-il, de la vie de ces personnes blessées : une reconstruction longue, délicate, mais vivante.
En écoutant ces voix à Notre-Dame, il était impossible de ne pas lever les yeux vers les voûtes, de ne pas contempler cette cathédrale blessée, symbole d’une Église qui cherche à se relever. Les récits de ces vies brisées, marquées par le combat, la recherche de vérité, mais aussi par un amour indéfectible de l’Église et du Christ, nous appelaient à la conversion intérieure.
Ce que je retiens de ce temps, c’est la beauté et la paix. Le verset du Livre des Rois me revient sans cesse depuis ce jour :
Le Seigneur n’était ni dans l’ouragan, ni dans le feu, ni dans le tremblement de terre, mais dans le murmure d’une brise légère. Plus précisément, la traduction littérale parle de « la voix du fin silence ». C’est dans ce silence-là, celui des témoignages, celui des interludes musicaux, que Dieu s’est manifesté avec puissance. Un silence partagé, communautaire, un silence habité par la compassion : dans un regard bienveillant, dans une larme discrète essuyée sans bruit.
Le Christ n’était pas venu en juge, mais comme un frère, marchant au milieu de nous, dans la fragilité, la douleur et la lumière.
Ce « temps spirituel et fraternel » n’était pas une parenthèse. C’était un signe prophétique. Un signe que la reconstruction est possible, qu’elle ne se fera pas sans les victimes, mais à partir d’elles. Un signe aussi que cette reconstruction ne pourra se vivre sans la communauté tout entière de l’Église.
Oser en parler, c’est déjà oser la conversion. Il n’est pas nécessaire d’attendre un nouveau scandale pour se saisir du sujet. S’en préoccuper, c’est simplement prendre soin de la communauté tout entière, c’est éveiller l’écoute et l’attention à l’autre.
Je garde de cette journée la conviction que la conversion n’est pas un mot, mais un chemin. Un chemin parfois rude, mais éclairé par cette brise légère, celle de l’Esprit, qui nous apprend à écouter, à reconnaître, à réparer et à espérer.
C’est une Église qui se relève, qui purifie son cœur, et qui choisit la vérité.
« La vérité vous rendra libres. » (Jean 8, 32)
Miranda Cartier
Déléguée générale du diocèse de Saint-Denis