Eucharistie et présence de Dieu — Paroisses de Montreuil

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Eucharistie et présence de Dieu

Le 22 novembre, une semaine avant le début de l'Avent, le père Dominique Pellet, curé du Centre et du Bas-Montreuil, nous partage une très belle (et longue !) méditation sur la place et la signification de l'Eucharistie dans nos vies de Baptisés. Une méditation précieuse et opportune, en ces temps de jeûne eucharistique.

Pour télécharger le texte en PDF : Méditation "Eucharistie et Présence de Dieu"                                        

Eucharistie et présence de Dieu

 

C'est en partant du temps de l'Avent qui débutera dimanche prochain le 29 novembre (veille de la saint André - la paroisse proposera pour la célébrer la messe dimanche via Youtube), que je voudrais vous proposer une méditation-réflexion pour ce temps que nous vivons.

 

Le temps de l'Avent, n'est en fait pas d'abord un temps de préparation de la fête de Noël. Il est un temps liturgique dans lequel nous nous rappelons que si le Verbe de Dieu s'est incarné à Noël, son passage sur terre, n'a pas suffi à instaurer complètement son royaume, nous ne sommes pas encore à la fin des temps : la violence, les injustices, les malheurs, la maladie, le péché, la mort continuent de nous toucher et de nous faire souffrir. Mais dans ce temps, nous nous rappelons aussi que Dieu est venu et nous a laissé une double promesse : il reviendra un jour pour instaurer enfin et définitivement son royaume et il sera avec nous chaque jour. Le temps de l'Avent est un temps où nous ressentons que Dieu nous manque, que nous attendons son retour dans la Gloire où il viendra enfin tout récapituler dans le Christ et établir d'une façon complète et définitive son royaume de justice et de paix, où il sera tout en tous.

 

Il est un temps marqué par la conscience plus vive de cette "absence" du Seigneur, de la non-réalisation plénière de son royaume, un temps d'un certain retrait, d'une certaine ascèse. Mais d'une ascèse pour faire grandir en nous les désirs de sa venue (la racine latine du mot Avent signifie avènement) dans nos vies dès aujourd'hui, de notre conversion et de l'instauration de son règne dans notre monde dès ici-bas. C'est pour cela que la couleur liturgique de ce temps est le violet et que nous ne chantons plus le Gloire à Dieu, comme au temps du carême.

 

Le confinement, et ses exigences, comme cela a pu déjà être le cas pour certains au moment du carême dernier, peuvent nous permettre d'approfondir le sens spirituel des choses et de notre vie chrétienne et nous faire vivre de façon singulière nos temps liturgiques. Même si on aimerait surtout et avant tout pouvoir les vivre de façon libre, normale et habituelle ! Oui le Seigneur nous manque, dans notre temps de conflits, de guerre, de misère, de maladie, de solitude triste, de cœurs blessés ou aigris, d'angoisse, de perte d'emplois, d'indifférence, de pandémie, de destruction de la planète, de drames migratoires, de corruption, de divisions dans nos familles et nos sociétés, de contraintes empêchant la célébration des cultes, le Seigneur nous manque et combien voudrions-nous que son Règne soit déjà établi et déjà là.

 

Le Seigneur nous manque et combien voudrions-nous que son Règne soit déjà établi et déjà là.

 

L'Avent est un temps où l'on se replace devant ces réalités et ces défis de nos vies et de notre monde et où l'on cherche avec Dieu qui est venu une nuit de Noël parmi nous, comme l'un de nous, les solutions, les issues, les chemins, les forces pour agir, pour ne pas perdre espoir et pouvoir ainsi anticiper et bâtir dès ici-bas avec lui son Royaume. L'eucharistie qui nous rassemble d'habitude est une anticipation de ce Royaume qui vient, pour que nous y entrions et puissions en inaugurer les prémisses dès ici-bas. Dans l'eucharistie notre avenir en Dieu se fait présent et nous responsabilise pour aujourd'hui. Comme le dit Andrea Ricardi (fondateur de Sant'Egidio) : "Chrétiens, nous ne sommes pas les vestiges d'un passé, nous sommes les prémisses de l'avenir !", nous sommes les prémisses de l'humanité nouvelle voulue par le Christ, premier-né d'une multitude de frères.

 

Notre foi nous dit que si Dieu n'a pas encore établi son royaume définitif que nous espérons et vers lequel nous marchons en agissant toujours plus en intimité avec lui et en fraternité avec les autres, il est venu dans notre histoire et vient encore, et comme il nous l'a promis, il ne nous laisse pas orphelins. Dans sa mort et sa résurrection il a vaincu le monde et nous demande de ne pas avoir peur, de nous tourner vers lui avec confiance, d'être des missionnaires de son amour et de sa miséricorde, inlassablement. Le Seigneur est là, au milieu de nous. Comme autrefois à ses disciples il nous dit : le règne de Dieu est au milieu de vous. Comme une graine, en germes, en pousses, en floraisons, regardez, contemplez, croyez que le règne de Dieu est là en vous, au milieu de vous, à portée de main, à portée de foi et de confiance, à portée de cœur, tout proche. Cessez de courir sans savoir où vous allez. Cessez de vous replier sur vous-mêmes. Regardez là où est le règne de Dieu, c'est à dire là où son amour règne, et allez-y pour y participer et l'étendre. Regardez là où il n'est pas et allez-y pour l'annoncer, y jeter les semences et y faire entrer vos frères !

 

La présence si précieuse et unique qu'il nous a laissé dans le mémorial de l'eucharistie, nous a été et nous est retirée encore pour un temps. Cela nous est douloureux. Cette présence sacramentelle qui allie si intimement, théologiquement et spirituellement présence de Dieu et présence des frères, dans le mystère de l'incarnation et de la rédemption du Fils de Dieu "vrai homme et vrai Dieu", ne peut alors plus être vécue habituellement et physiquement. Cela nous rend solidaires des malades, des personnels soignants et de l'effort citoyen. Cela sans doute nous rend aussi solidaires de tous ceux qui beaucoup plus régulièrement que nous sont privés d'une telle célébration : parce que leur pays est en guerre, parce que la sécurité n'est pas assurée, parce qu'il y a de la discrimination dans le pays ou la région où ils se trouvent, parce que là où ils habitent, un prêtre ne passe que tous les six mois dans leur paroisse, parce qu'une situation matrimoniale complexe ou une raison de santé les en prive… Ils ne sont pas moins chrétiens que nous, on serait même tenté de dire qu'ils pourraient bien l'être plus, en gardant ainsi vive leur foi dans de telles circonstances…

Il y a peut-être aussi dans cette absence de sacrement que nous vivons, dans ce vide, comme en creux une invitation et sans doute une invitation de Dieu lui-même, qui vient dans cette absence nous interroger sur… sa présence dans nos vies. Un moine bénédictin au premier confinement avait eu cette réflexion : " il faut parfois savoir jeûner de Dieu pour trouver Dieu."

 

il faut parfois savoir jeûner de Dieu pour trouver Dieu."

 

Jeûner, purifier nos images mentales de Dieu, du dieu païen qui est toujours plus ou moins en nous, pour aller vers le Dieu vivant et vrai, vers le Dieu de Jésus Christ. Où es-tu Seigneur ? Pour vous où suis-je et pour vous qui suis-je ? Cette présence n'est-elle manifeste et manifestée que le dimanche ? N'est-elle que dans cette partie de la messe où nous communions à son corps et à son sang, à sa vie, sa mort et sa résurrection, dans l'hostie consacrée que nous risquons peut-être de chosifier ? La présence de Dieu dans toute l'histoire sainte et dans la vie de Jésus, où peut-on la situer ? Ma vie et ma foi chrétiennes ne se pratiquent-elles donc que le dimanche ?

 

Alors, profitons, si cela nous est possible et même si cela est douloureux, de ce temps de retrait et de jeûne imposé, pour chercher le Seigneur qui se laisse toujours trouver. Une certaine similitude a pu être vécue dans des circonstances anciennes et dramatiques, par le peuple d'Israël, durant le temps de l'exil à Babylone. Déporté, privé de sa terre et du Temple, il se demande comment honorer Dieu. Il entame une relecture spirituelle de son histoire et de sa compréhension de la présence de Dieu à ses côtés et de sa puissance, après l'Exode. Il découvre l'intériorité, le cœur, et l'écoute et sa méditation a donné lieu à ce magnifique livre de la Bible qu'est le Deutéronome.

 

Cette Présence de Dieu, qui n'abandonne jamais son peuple, nous la retrouverons d'autant mieux dans l'eucharistie lorsqu'elle sera de nouveau possible que si nous faisons cet "exercice spirituel" : trouver Dieu dans les circonstances qui sont les nôtres. Ne cherchons pas trop vite à combler les vides, à boucher les trous, à saturer le silence et la frustration, comme notre monde contemporain le fait, par nos moyens de communication et nos angoisses, nous pourrions risquer d'empêcher la question et ainsi la communication que Dieu voudrait nous faire de lui-même. Laissons Dieu être Dieu. C'est dans le murmure d'un fin silence qu'il s'est communiqué au prophète Elie qui était découragé. C'est au moment d'une absence : celle de Moïse parti dans la montagne recevoir les tables de la Loi et qui tardait à revenir, que le peuple s'est mis à se construire un dieu à son image, une idole, un veau d'or. "N'ayez pas peur" nous dit et nous répète sans cesse le Christ. C'est souvent dans les béances de nos sécurités, de nos certitudes et de nos habitudes que Dieu nous surprend et se fait présence réelle pour qui accepte de cheminer un peu, de se laisser dérouter, dépouiller, de sortir de lui-même, de quitter un rivage, de risquer un autre chemin, comme Marie, André, Pierre et Paul, comme les bergers et les mages et comme une multitude de croyants et de saints. La croix, la béance du tombeau vide, la rupture qui sépare le pain partagé en chaque cène en sont les symboles éminents.

 

Il y a sans doute, comme une invitation de l'Esprit, qui souffle où il veut, dans ce temps pénible que nous vivons, à découvrir ou à redécouvrir si besoin était une réalité de notre foi chrétienne. En tout cas à la vivre plus consciemment, intensément et fidèlement : la présence multiple et diverse de Dieu dans nos vies. La présence de Dieu qui habite tout le créé, de la plus petite créature à l'univers tout entier et qui habite le temps. La présence mystérieuse et sacramentelle de Dieu dans l'eucharistie n'efface pas, n'annihile pas et encore moins ne remplace les autres modes de présence de Dieu dans nos vies et dans la création. Au contraire, comme sacrement, comme "action de grâce et merci" (c'est ce que signifie "eucharistie"), elle les célèbre et les révèle, elle les incarne, elle les chante, en s'associant à la louange éternelle du Fils, Verbe de Dieu incarné en Jésus de Nazareth. Elle est un merci à Dieu pour sa présence, elle est un don de sa présence. La liturgie célébrée par le peuple hébreu au désert, dans le livre de l'Exode, signe de sa liberté retrouvée était un remerciement à Dieu qui venait de le libérer de l'esclavage d'Egypte. La liturgie de la Pâque juive, dans laquelle le Christ s'est inscrit, était et est encore le mémorial de cette libération, non pas comme simple souvenir du passé mais comme actualisation : Dieu est avec nous aujourd'hui, et cette présence de l'Emmanuel nous conduit à la liberté et nous libère.

 

L'eucharistie est comme un "condensé", très dense ! et unique, un mémorial de cette alliance et de cette présence libératrices de Dieu à son peuple et dans nos vies. Une alliance nouvelle et éternelle accomplie par le Christ, qui nous a acquis le salut et la liberté par sa mort et sa résurrection victorieuse du mal, du péché et de la mort. Si nous recevons cette présence, si nous la "mangeons", si nous nous laissons transformer par elle, présence présente pourrait-on dire dans le sacrement car pas simplement symbolisée, elle dilatera et déploiera nos vies. Nos vies deviendront alors des vies "eucharistiques", libérées et « libérantes » pour les autres de tous nos esclavages, de tous nos jougs qui pèsent sur nos épaules. Cette célébration du mémorial de l'eucharistie fait et fera de nous de jour en jour, de semaine en semaine comme d'autres Christs, dans la patience amoureuse de Dieu. C'est la grâce de notre baptême que la grâce de l'eucharistie nourrit, cultive, protège, réanime, désensable, polie, sculpte, précise, ressuscite, déploie, ouvre à l'infini. Elle fait de nous comme des "tabernacles vivants", des tabernacles de chair rayonnants de cette présence, telle un charbon ardent, pour indiquer à tout homme qu'il est lui aussi par grâce et par vocation un temple de Dieu, une demeure de l'Esprit.

 

Croyons-nous que Dieu est présent, en chacun de nous, en chaque être humain, dans chacune de nos familles, dans nos hôpitaux et nos prisons, dans nos quartiers et nos lieux de travail, dans la biodiversité et la création toute entière ? Ralentissons, arrêtons-nous, regardons, contemplons : nous y verrons la présence du Dieu caché. Pour ceux qui aiment le jeu, faisons une partie de cache-cache avec Dieu… mais ce n'est pas à nous de nous cacher, comme Adam, c'est Lui qui nous demande de le trouver… et en le trouvant nous nous retrouverons !

 

Croyons-nous que Dieu est présent dans sa Parole, à travers sa Parole ? Si nos églises sont fermées, nos bibles à la maison sont-elles ouvertes ? Une messe, comme tout sacrement ne pourrait se dérouler sans liturgie de la Parole, sans l'écoute de la Parole. Au commencement est la Parole. Tout commence avec Dieu par la Parole. La Bible est le livre où nous sont présentés Dieu qui parle à l'homme et l'homme qui parle à Dieu, Dieu qui interpelle et interroge l'homme et l'homme qui interpelle et interroge Dieu, dans des récits qui n'ont pas peur de présenter l'humain tel qu'il est et où nous nous retrouvons.

 

La Bible présente la Parole de Dieu comme une nourriture, elle est déjà le lieu de la communion. Et si je relisais un livre de la Bible ou un Evangile le dimanche "jour du Seigneur", durant ce confinement et encore après ? Je pourrais aussi participer aux propositions diocésaines de la liturgie familiale pour le dimanche ou de la méditation de la Parole de Dieu par le service diocésain de spiritualité le jeudi soir en visioconférence et ouverte à tous ? Et si en famille nous faisions la lecture d'un psaume ou de l'Evangile du jour ou du dimanche suivi d'un temps de silence ou d'échange ou d'un chant avant de prier ensemble le Notre Père ?

 

La prière est un autre lieu de la présence du Seigneur.

 

 

Elle était un lieu "source" pour Jésus, où il parlait à son Père et se recevait comme fils. Un lieu de grande intimité. Avant ou après un miracle, un enseignement, le choix des 12, le dernier repas, la passion… Jésus priait. Tout son être était prière, sans cesse tourné vers le Père pour être comme Fils tourné vers les hommes, en ne succombant pas aux tentations du Satan. Il ne priait pas toujours au temple, ni dans les synagogues. Il se retirait dans la montagne pour prier. Maintenant qu'il est auprès du Père, il continue de prier pour nous et avec nous. "Seigneur, apprends-nous à prier" avaient demandé les disciples à Jésus. Demandons l'Esprit Saint, demandons la Sagesse, la confiance, l'intimité, osons le dialogue aimant avec Dieu dans la prière, trouvons-le dans les chants, dans le chapelet, dans le silence, dans l'adoration, dans la prière reliée à un sanctuaire, la méditation de l'Ecriture, dans la prière de l'Eglise de l'office des heures, avec les contemplatifs, les religieux, les consacrés, dans la prière unis les uns aux autres, peuple des baptisés, dans la prière à Marie, aux saints, aux trois personnes de la Trinité. Une permanence de prière chaque vendredi de 17h à 19h est proposée par des accueillantes de Saint-Pierre Saint-Paul, et chacun peut s'y joindre le temps qu'il veut, envoyer des intentions. Des groupes de prière du chapelet se téléphonent et prient ensemble, des groupes WhatsApp se partagent des prières…

 

Vous êtes le temple de l'Esprit nous dit Saint Paul.

 

 

 

Est-ce que je crois cela ? A la présence de l'Esprit en moi, en mon corps, en mon esprit, en mon âme ? Cette présence de Dieu plus intime à moi même que moi-même, l'ai-je déjà goûtée, expérimentée ? Jésus dans sa vie terrestre s'est présenté comme le nouveau temple de la présence de Dieu. Il s'y est présenté, non pas en naissant d'une famille de prêtres, non pas en restant toute sa vie, confiné dans le Temple de Jérusalem, mais en parcourant villes et villages, en rencontrant les gens, en parlant aux foules, en guérissant les malades, en délivrant des esprits impurs, en enseignant le sens de la loi et de l'alliance divines, en l'incarnant dans l'amour et la miséricorde, lui qui est venu "pour les malades et les pécheurs", en formant des adorateurs en esprit et en vérité, des apôtres, disciples missionnaires, en instituant son Eglise, annonciatrice et anticipatrice de son Royaume fondée sur la foi de Pierre.

Quand je reçois la communion lors de la messe, c'est cette présence là que je reçois, qui est nourrie, qui se réactive pourrait-on dire de nouveau, car j'en suis oublieux et je lui résiste parfois. Cette présence renouvelle mon être, le guérit, le purifie, le sanctifie, me donne et me redonne ma dignité d'être humain, d'enfant de Dieu, malgré mes faiblesses et mes laideurs. Elle me reconnecte à ma vocation et ma mission : être porteur là où je suis, tel que je suis, de la présence humble et douce, fraternelle et miséricordieuse de notre Seigneur, une présence qui fait du bien aux autres, qui réchauffe et éclaire, une présence qui fait du bien à notre monde, à notre planète, une présence qui répand là où elle passe la "bonne odeur de Jésus Christ et de son Evangile". Cette présence de Dieu en moi me fait atteindre ma vraie présence à moi-même, au monde et aux autres, sans fards et sans masques, sans fausses images construites ou imposées, sans haine, sans angoisse ou retour narcissique mortifère. Je ne suis plus alors un anonyme ou une photocopie, un "fake", je n'ai plus rien à prouver : je suis l'être unique que Dieu aime de toute éternité. Je porte le Nom divin "Je suis" révélé au Sinaï, dans le buisson ardent.

 

Croyons-nous à la présence de Dieu dans l'Eglise ? Il y a des scandales, des comportements et nos propres péchés et médiocrités qui pourraient nous en faire douter. Mais Dieu nous a appelé des ténèbres à son admirable lumière, il est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu et il a voulu nous sauver "en peuple" en nous rassemblant de toutes origines, culture, âge, sexe, caractères, personnalités, et non chacun de son côté. Lorsque nous pensons à notre vie chrétienne, nous trouvons obligatoirement l'Eglise, que ce soit chez un parent qui nous a transmis la foi, ou chez un témoin extérieur à la famille, il y a toujours ce mystère de Dieu qui a voulu, qui a pris le risque de manifester sa présence à travers des hommes et des femmes, et qui veut qu'elle soit manifestée collectivement, dans un corps. "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d'eux" ; "c'est à l'amour que vous aurez les uns pour les autres, que le monde saura que vous êtes mes disciples".

 

C'est aussi ce mystère communautaire, fraternel, familial de l'Eglise qui nous manque, ce mystère "catholique" au sens d'universel.

 

Lorsque nous constatons que l'eucharistie nous manque c'est aussi ce mystère communautaire, fraternel, familial de l'Eglise qui nous manque, ce mystère "catholique" au sens d'universel. L'eucharistie est aussi l'expression de ce mystère : c'est l'assemblée liturgique qui célèbre et non un célébrant devant un peuple passif et spectateur. Célébration de l'eucharistie et mystère de l'Eglise sont intimement liée, l'Eglise étant définie par le Concile Vatican II comme "étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain." Comment l'eucharistie m'ouvre-t-elle à ce mystère en m'ouvrant à mes frères et sœurs baptisés rassemblés pour la célébration ? Comment avec eux nous devenons ce que nous recevons : le Corps du Christ ? A moins que je pense être le corps à moi tout seul… Puisse le Christ dire au monde, à tout homme et à tous les hommes en parlant de l'Eglise : "Ceci est aussi mon corps, livré pour vous".

 

A ses disciples, en parlant des temps derniers, et du critère du jugement de toutes choses et de nos vies, le Christ révèle un autre lieu de sa présence essentielle, physique et corporelle elle aussi : la présence réelle des autres hommes et femmes, et en particulier celle des affamés, des malades, des prisonniers, des étrangers… des petits, des oubliés, des mal aimés, des blessés, des exploités, des fracassés, des laissés pour compte… "Ce que vous avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait". C'est le texte de Matthieu 25 que nous entendons ce dimanche en la fête du Christ Roi. L'attention, la considération, la proximité et le soin à l'autre, en hôpital, comme dans nos foyers, nos lieux d'habitation, de travail, comme dans nos associations caritatives, humanitaires, écologiques, comme dans nos communautés chrétiennes où nous avons encore tant de chemin à faire pour découvrir "le sacrement du frère (et de la sœur…)", sont des lieux sûrs où nous pourrons trouver la présence du Seigneur. Si tu cherches le Seigneur, vas vers un "petit", un "pauvre", fais-toi le prochain d'un autre, et tu le trouveras. C'est la surprise du jugement dernier. La révélation.

 

Saint Jean nous avertit :

si quelqu'un dit j'aime Dieu et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur ; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?" (1Jn 4, 20).

 

 

 

 

 

 

 

 

Sanctifier le monde, rendre le culte véritable à Dieu, s'offrir "en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu" (Romains 12) c'est cela. "Vous ferez ceci en mémoire de moi" concerne avant tout la charité et la miséricorde exercée par le Christ tout au long de sa vie et jusque sur la croix. C'est encore une fois là-dessus que tout homme sera jaugé et jugé. Lorsque le Christ prononce ces paroles, il inclut dans la mémoire et la signification du repas pascal, sa vie tout entière, jusque dans sa mort et sa résurrection. Dans le repas pascal désormais est inclut le mystère pascal tout entier, mystère de salut universel offert à tous les hommes. Le rite institué est au service de cette mémoire, il l'inscrit dans nos vies : Dieu a donné sa vie pour nous et son pardon, pour que nous aimions comme il nous aime. Son amour victorieux nous est donné dans l'eucharistie pour que nous en vivions, en cherchant à aimer notre prochain comme Lui-même nous a aimé, à aimer notre prochain par Jésus Christ, avec lui et en lui. La visée, la réalité, la res du sacrement, est cette charité, et in fine elle est plus importante que la "faisabilité", la matérialité de ce sacrement. Le rite a été fait pour l'homme et non l'homme pour le rite. Et rappelons-nous que cette charité est toujours accessible, jamais confinée.

 

Dieu ne nous demande pas de "réussir parfaitement" cet amour. Seul le Fils a réussi à aimer comme le Père. Mais il nous demande de croire et de sans cesse lui redire et lui redonner notre confiance, comme il nous la redonne, malgré nos chutes, nos chaos, nos lâchetés, nos manques de foi, nos traits incorrigibles, nos fragilités. C'est aussi pour cela que ce sacrement est répétitif, comme un repas ou une respiration. Sans cesse le Christ nous tend, (ainsi que dans le sacrement de réconciliation), la main. Il est le sacrement de la route, une nourriture pour la route, qui fortifie et affermit l'homme intérieur, pour aller loin, pour risquer et oser affronter les montagnes, empruntés les lignes de crêtes et les chemins escarpés, car à Dieu rien n'est impossible et rien ne pourra nous séparer de l'amour du Christ, nous dit saint Paul (Rm 8, 35-38).

 

Saint Jean, que certains considèrent comme le plus spirituel et le plus concret des évangélistes, présente dans son Evangile en lieu et place du dernier repas de la Pâque célébrée par le Christ avec ses disciples le récit du lavement des pieds. Le lavement des pieds, le geste du service est aussi le mémorial que nous laisse le Christ pour être avec lui : lui en nous et nous en lui. Là où je suis, là aussi sera mon serviteur. La présence, l'offrande qu'il nous fait de lui-même dans l'eucharistie, suscite et appelle notre propre présence, qui nous sort de nos distractions, pour que nous devenions comme lui une offrande agréable à Dieu et au prochain, un présent, en nous mettant en état de service. Entendons encore un père de l'Eglise, Saint Jean Chrysostome : "Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu'il est nu. Ne l'honore pas ici, dans l'église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. […] Par conséquent, lorsque tu ornes l'église, n'oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l'autre."

 

Comment suis-je, comment sommes-nous, en communauté et en Eglise, présence de Dieu, pour tous ceux qui souffrent ? Ou bien suis-je, sommes-nous, des absents, des indifférents, des distraits, des sourds à la clameur des pauvres et de la Terre ? Comment sommes-nous des "présents", des "cadeaux offerts", des dons les uns pour les autres et non des individualistes, des consommateurs, des possesseurs, des prédateurs, des narcisses ?  "Ubi caritas, Deus ibi est", dit un chant de Taizé "là où est l'amour et la charité, là Dieu est présent".

 

Tous ces lieux de nos vies, nos familles, nos appartements, nos villes, nos entreprises, nos hôpitaux, nos prisons, nos lieux de travail peuvent devenir comme des églises vivantes, où Dieu est présent, où nous le trouvons, le vénérons, l'adorons, le servons, des églises "de chair", des églises domestiques, des cathédrales romanes, gothiques ou modernes où se trouveront les adorateurs en esprit et en vérité que cherche le Seigneur. Si nous croyons à la Présence divine, à son Amour et sa Beauté qui embrasse tout l'univers et habite toute la création, et si nous décidons d'en être les témoins là où nous sommes, l'univers entier prendra les traits du Royaume qui vient, les traits du visage du Christ Roi.

 

Pour vivre dans tous ces lieux de la Présence de Dieu, et demeurer en lui comme lui demeure en nous le Christ nous a laissé l'eucharistie, comme une grâce. Surtout n'opposons pas ces présences entre elles et ne nous opposons pas sur ces présences. Elles sont unies car Dieu l'a voulu ainsi. Des saints comme Mère Térésa qui dans la règle des missionnaires de la charité laissée à ses sœurs avait inscrit une heure de prière et d'adoration en plus de l'eucharistie, chaque jour avant d'aller prendre soin des lépreux en fin de vie ou Carlo Acutis, ce jeune garçon mort à 15 ans d'une leucémie et tout juste béatifié qui avait uni si fortement dans sa vie chrétienne participation à l'eucharistie, service des pauvres et… présence sur la toile, lui qu'on surnomme parfois le "geek de Jésus". Nos vies sont appelées non à "assister à la messe" mais à communier au sacrifice du Christ, en devenant "dons pour les autres". Elles sont appelées non pas tant à "participer à l'eucharistie" dans le sens de participer à un rite, qu'à y participer jusqu'à devenir elles-mêmes "eucharistiques", unies au sacrifice éternel du Christ, au don qu'il fait de sa vie, à sa Pâques, à son Amour. Chaque jour, en aimant comme il nous aime, en passant sans cesse de la mort à la vie, en faisant passer sans cesse les autres de la mort à la vie, de la haine à l'amour, du conflit à la réconciliation et au pardon, de l'injustice à la justice, de la division et de l'isolement à la communion et à la fraternité, nous célébrons, nous prolongeons l'eucharistie célébrée pour la Gloire de Dieu et le salut du monde. En devenant ce que nous avons reçu, le corps du Christ, nous devenons pain rompu, pain vivant, nourriture pour la vie du monde.

 

L'eucharistie est un sacrement source et sommet. Elle inscrit dans notre temps, dans notre histoire en s'inscrivant dans nos histoires personnelles, la mémoire de la présence amoureuse et salvatrice de Dieu tout au long de l'histoire et l'actualise en présence aujourd'hui. Elle nous manque, nous sommes impatients, mendiants lorsque nous ne pouvons la célébrer et la recevoir, mais Dieu est toujours mendiant de notre amour, et lui patiente, avec nos cœurs fermés et trop souvent à l'étroit, petits et confinés. Ne faisons pas mentir la messe, comme disait le pape Benoît XVI, en l'isolant de l'ensemble de nos vies, de l'histoire et de la création tout entière ou en croyant pouvoir l'isoler de l'ensemble de la vie du Christ et du mystère de Dieu toujours plus grand. Ne la réduisons pas, on pourrait dire encore, ne la confinons pas et ne la vivons pas à moitié pour ne pas vivre nous-mêmes à moitié, de façon hémiplégique ou schizophrène.

 

En attendant avec hâte et… patience que nous puissions de nouveau nous retrouver tous ensemble dans la joie pour célébrer, recevoir et partager cet amour gratuit de Dieu, approfondissons le sens de sa présence, qu'il nous a fait la grâce de manifester dans l'incarnation de son Fils, sa mort et sa résurrection. La célébration de l'eucharistie que nous pouvons toujours faire nous les prêtres, est toujours en lien avec vous et avec la multitude. Et nous vous remercions de vos prières.

 

Père Dominique Pellet, curé du Centre et du Bas-Montreuil