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14 mars 2014 : Justine Raclot « Mère Mathilde », une femme française au Panthéon des femmes célèbres de Singapour

Par Brigitte Flourez, sœur de l’Enfant Jésus Nicolas Barré, dont la communauté est implantée dans le diocèse de Saint-Denis, à Rosny-sous-Bois et Bagnolet.
Publié le 19/03/2014

Publié dans France Catholique – N°3390 / 14 mars 2014

À l’heure ou notre Panthéon national accueille quatre nouveaux « grands hommes », dont deux femmes résistantes, une autre femme, une religieuse française, fait son entrée au Panthéon des femmes célèbres de Singapour où elle vécut vingt ans.

Mère Sainte Mathilde (Justine Raclot) fut une femme audacieuse, partie en terre inconnue, se battre pour l'éducation des filles, contre la traite des enfants et des adolescentes, en se préoccupant avant tout d'accueillir les plus pauvres. Elle a poursuivi son œuvre au milieu de multiples obstacles. Mal accueillie par les chrétiens, car on aurait préféré des anglophones dans cette colonie anglaise, dans un contexte de rivalités entre catholiques et protestants, sans grandes ressources (sa communauté coud et brode la nuit pour gagner de quoi vivre et nourrir les filles accueillies dans leurs écoles et orphelinats), victime de calomnies auprès de ses supérieures, elle a tenu bon contre vents et marées.

Un peu plus d'un siècle après sa mort, elle a été sélectionnée à Singapour dans la première liste des femmes intronisées au Panthéon des femmes (Singapore Women's Hall of Fame) qui est inauguré ce 14 mars 2014. La cérémonie est présidée par le président Tony Tan et son épouse. Le lendemain aura lieu une cérémonie religieuse en reconnaissance pour l'œuvre éducative des sœurs de l'Enfant Jésus depuis 160 ans dans cette ville-nation multi-religieuse et multiculturelle.

Justine Raclot est née le 9 février 1814 à Suriauville (Vosges), elle meurt en 1911 à Yokohama (Japon). Sœur de l'Enfant Jésus, elle fut pionnière de l'éducation des filles en Malaisie, à Singapour et au Japon. Elle quitte la France pour Singapour en 1852. Elle fut également la première femme missionnaire européenne à pénétrer au Japon, en 1872, après deux siècles de fermeture et de persécution.

À 12 ans (en 1826) son père l'envoie au pensionnat des sœurs de l'Instruction charitable du Saint-Enfant Jésus (dites dames de St-Maur) à Langres, un institut né en 1662 à l'initiative du bienheureux Nicolas Barré, minime de saint François de Paule. Durant sa scolarité « elle rêve du Japon sur son livre de géographie ». En 1830, sa mère, pressentant une vocation religieuse, veut l'éloigner des sœurs. Mais le 15 octobre 1832, elle entre au postulat à Langres, puis à Paris. Sa prise d'habit a lieu en février 1934 sous le nom de sœur Sainte Mathilde. À cette époque les dames de St-Maur ne faisaient pas de vœux religieux. Elles les prononceront à partir de 1872, suite à la demande de leur reconnaissance officielle par Rome. C'est le 30 novembre 1879 à Yokohama qu'elle les prononcera.

En 1851, l'Abbé Jean-Marie Beurel, des Missions Étrangères de Paris (MEP) vient en France, envoyé par Mgr Jean-Baptiste Boucho, évêque de Singapour, pour « recruter » des missionnaires afin d'ouvrir des écoles de filles.

Il contacte plusieurs congrégations, mais c'est auprès de Mère Saint François de Sales de Faudoas, supérieure générale des Sœurs de l'Enfant Jésus (St-Maur) qu'il trouve une écoute bienveillante.

Le 21 novembre 1851, un traité d'engagement est signé entre les MEP et la Congrégation pour l'envoi de cinq sœurs qui seraient accompagnées et prises en charge par les Pères des Missions étrangères de Paris.

Le 6 décembre 1851, cinq sœurs de 22 à 36 ans embarquent sur un grand voilier à Anvers ; malgré son désir sœur Mathilde ne fait pas partie du groupe. Le voyage dure plus de 4 mois, marqué par la mort en mer de la supérieure, Sr St Paulin. Arrivée à Penang le 12 avril 1852. Ce premier groupe est marqué par diverses épreuves : Sr Ste Pulchérie quitte la communauté et Sr St Euthyme a reçu une poutre sur la tête durant le voyage et reste dépressive. Sr Ste Eudoxie et Sr Rosalie commencent à réunir des petites filles et à les enseigner vaille que vaille. Ces nouvelles parviennent à la supérieure générale quelques mois plus tard. Cet échec nécessite l'envoi rapide d'une seconde équipe.

Sr Ste Mathilde qui désirait fortement partir en mission et qui en avait fait le sacrifice en voyant partir le premier groupe est appelé à Paris en urgence : « Quittez tout et venez ! » lui écrit sa supérieure le 15 septembre 1852. En trois jours sa vie sera complètement bouleversée. C'est le début de l'extraordinaire aventure, semée d'embûches, où son zèle infatigable et son amour des gens feront des merveilles.

Le 17 septembre 1852, accompagnée de trois sœurs, Sr St Damien, Sr St Appollinaire et Sr St Grégoire elle s'embarque à Southampton. Elle a 38 ans, elle est nommée supérieure de la communauté naissante. Le voyage sera plus court que celui du premier groupe, car le Bentick passe par la Méditerranée, et au Caire, on traverse le désert (région de Suez) en diligence avec chameaux.

Le 28 octobre 1852, arrivée à Penang et, le 5 février 1854, fondation de Singapour. Ce seront des débuts difficiles à tous points de vue : les Pères missionnaires attendaient des Anglaises et non des Françaises, il faut apprendre les langues, gagner sa vie par divers travaux de couture et de broderie, le soir, pour pouvoir accueillir gratuitement des enfants abandonnés ou racheter celles qui avaient été vendues à des hommes sans scrupules. Mère Mathilde fait preuve d'un zèle infatigable qu'elle communique à sa communauté. Avec ses sœurs, elle recueille les petites filles abandonnées, en arrache d'autres à la prostitution et à la traite des esclavagistes, ouvre des écoles, recueille les mourants.

Dès 1858, Mère Mathilde avait appris que le Japon commençait à s'ouvrir aux étrangers après deux siècles de fermeture et de cruelles persécutions des chrétiens. Déjà il était permis de séjourner à Yokohama. En 1860, elle reçoit la visite du père Girard, supérieur de la mission MEP du Japon, à son retour de France. Il sonde le terrain pour avoir des sœurs au Japon, mais il meurt en 1867. Profitant d'un voyage en France (elle fera deux retours en France au cours de ses 59 années de vie missionnaire), elle évoque cette possibilité à ses supérieures.

En 1870, c'est un projet de fondation au Siam (Thaïlande) qui semble prendre forme.

Quelques sœurs attendent à Singapour leur appel définitif. Mais Mgr Dupont  - l'évêque instigateur - meurt subitement. Le départ est compromis.

Lors de la fête de Pâques de 1872 Mgr Petitjean, qui s'était adressé à la Congrégation des sœurs de Nevers pour aller au Japon, apprend qu'elles ne pourront répondre à sa demande.

Le samedi veille de la Pentecôte, il écrit à Mère Mathilde pour demander des sœurs. Une condition : départ sans délai et réponse rapide par voie télégraphique. Mère Mathilde consulte ses responsables à Paris par télégramme. Le lundi de Pentecôte, vers midi, le télégramme arrive « OUI. » C'est, à nouveau, en quelques jours, une décision qui vient changer sa vie. Mgr Leturdu, évêque de Singapour, est informé. Les sœurs qui devaient partir au Siam partent pour le Japon le 10 juin 1872 et arrivent à Yokohama le 28 du même mois.

Dès lors, Mère Mathilde séjournera au Japon, apprendra la langue (elle a presque 60 ans), ouvrira, comme elle l'avait fait à Singapour, des lieux d'accueil pour les orphelines, des écoles, des refuges pour les malades et les mourants trop pauvres pour se rendre à l'hôpital. Elle fera aussi quelques voyages vers Singapour et la Malaisie pour des occasions importantes, voyages éprouvants pour sa santé. Elle sera responsable des deux fondations asiatiques. Elle suivra la formation des jeunes sœurs et leur admission.

À sa mort, le 20 janvier 1911 (elle a 97 ans) les louanges de la presse locale seront unanimes.

Brigitte Flourez
Courriel

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Fraternités Nicolas Barré
83 rue de Sèvres, 75006 Paris