Porter le Christ aux « périphéries » (N°15 / Fév. - Mars 2014) — Diocèse de Saint-Denis-en-France

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Porter le Christ aux « périphéries » (N°15 / Fév. - Mars 2014)

... de l'Eglise et de l'existence (complément du journal diocésain « Quatre pages »)

« N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent ». Par cette interpellation adressée aux catholiques du monde entier, le pape François pointe le cœur même de notre foi, une foi au Christ vivant qui doit être en mesure de transformer la société.

« Je préfère mille fois une Eglise accidentée à une Eglise malade »
Pape François

 

Une « périphérie » que nul ne peut ignorer !

Dieu va toujours plus loin

Une confiance absolue au Seigneur

Une foi confiante dans la grâce divine

Vivre comme Jésus au carrefour des Nations 

Le pape François raffermi ma foi en ma cité

« N'ayez pas peur d'aller et de porter le Christ »

Le charme de l’humanité, c’est sa diversité

Pas en parole mais en acte

La grandeur du geste

Allons au dehors !

Les périphéries où partir annoncer

Soigner les souffrances et blessures de la vie

N’ayez pas peur »

Pas en « périphérie » de l’Eglise

Remettre en cause ce que je fais et je dis

Culturel, spirituel, existentiel

Prêcher sans cesse et sans crainte

Prendre le temps de la rencontre

Les progrès naissent souvent à la périphérie

Etre chrétien ne va plus de soi

Que la joie de la foi transpire en nous

A la frontière, au ban

Ne pas garder la Parole pour soi

Semer la joie, la paix et l'amour en tout lieu

Témoigner du Christ sans crainte

Déplacement et conversion

Des pauvres qui ne comptent pas

En chemin avec les Roms

Aimer plutôt que juger

Notre société avance, les périphéries s’élargissent

Une offrande dans la gratuité

Vivre sa foi avec confiance

Difficile à mettre en pratique seule

Repères

Une  « périphérie » que nul ne peut ignorer !

Mgr Pascal Delannoy, évêque de Saint-Denis-en-France

Dans ses discours et messages, le pape François ne cesse de nous inviter à rejoindre « les périphéries géographiques mais également existentielles : là où réside le mystère du péché, la douleur, l’injustice, l’ignorance, là où le religieux, la pensée, sont méprisés, là où sont toutes les misères » (Intervention du cardinal Bergoglio avant le conclave). En ce mois de février, l’Eglise attire notre attention sur l’une de ces périphéries, à savoir celle où résident les malades. Le 11 février sera célébrée la 22e journée mondiale des malades. Cette date n’a pas été choisie au hasard par le bienheureux Jean-Paul II qui a institué cette journée en 1992. En effet, le 11 février, nous fêtons Notre-Dame de Lourdes qui oriente nos regards vers la cité de Bernadette, lieu de guérison des corps et surtout des cœurs !
Cette journée nous rappelle, si besoin en était, l’importance des liens que la communauté chrétienne entretient avec ses membres souffrants et, plus largement, avec tous ceux qui connaissent l’épreuve de la maladie. Que la douleur de la solitude, qui peut faire douter de la valeur et du sens de la vie, ne vienne jamais s’ajouter à celle de la maladie. Grâce au dévouement des soignants, à la présence aimante des familles et amis, aux visites des aumôniers, des malades trouvent réconfort et apaisement. Chacun d’entre nous est concerné par cette périphérie existentielle !

Dieu va toujours plus loin

Christan Mellon, communauté jésuite de Saint-Denis, CERAS

« Aller aux périphéries » : cette expression revient souvent dans les discours du pape François. Elle semble lui tenir à cœur. Mais que veut-il dire par là ? La périphérie, c’est ce qui n’est pas le centre. L’invitation à « aller aux périphéries » pour y porter la bonne nouvelle traduit donc un désir souvent exprimé par le pape François : que l’Eglise se « décentre », qu’elle cesse de ne s’intéresser qu’à elle-même. Il nous invite tous - y compris évêques et prêtres - à libérer du temps et des énergies « pour la mise en œuvre de l’Evangile en vue de la transformation de la société ». Pour cela, chacun doit « sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Evangile ». Entendons sa question dérangeante : « Sommes-nous des chrétiens enfermés dans notre cœur et dans nos églises, des chrétiens de sacristie ? » (audience du 16 octobre 2013).

Pas d'amour sans justice
Les périphéries ne sont pas seulement des lieux, ce sont surtout des personnes : celles qui sont marginalisées, méprisées. Dans Evangelii gaudium (La joie de l’Evangile), le pape invite à écouter leur « cri », comme Dieu lui-même a entendu le cri du peuple opprimé en Egypte. La véritable solidarité, ce n’est pas faire l’aumône, mais « rendre au pauvre ce qui lui revient », conformément au plan de Dieu qui a « destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples » (Vatican II, Gaudium et spes). Pas d’amour sans justice, y compris par la transformation des structures de nos sociétés.

Une église pauvre pour les pauvres
Le pape François insiste, il faut écouter les pauvres, car « ils ont beaucoup à nous enseigner », notamment en ce qui concerne l’expression de la foi : « l’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ». Voilà pourquoi il ne cesse de répéter qu’il désire « une Eglise pauvre pour les pauvres », une Eglise qui reconnaisse aux pauvres une « place privilégiée ». Le refus de sortir de soi pour aller aux périphéries peut prendre une forme qui stérilise nos efforts : l’habitude, la répétition routinière de ce qui s’est toujours fait. Début septembre, le pape a invité les catéchistes à relire le livre de Jonas, car « il nous enseigne à ne pas avoir peur de sortir de nos schémas pour suivre Dieu, parce que Dieu va toujours plus loin… Dieu est toujours au-delà de nos schémas ! Dieu n’a pas peur des "périphéries" ». Les catéchistes – et nous tous avec ! – sont invités à être créatifs, comme Dieu lui-même est créatif.

Une confiance absolue au Seigneur

Anne Baffet, de l’équipe diocésaine du catéchuménat

Aller aux périphéries, c’est d'abord accueillir tous ceux qui frappent à la porte sans chercher à les garder dans le giron de l'Eglise. Un jour Cécile, dont le mari est musulman et la fille de 10 ans passant ses samedis à l'école coranique, a cherché dans ses "racines" et est arrivée à la porte de l'Eglise catholique. Que cherchait-elle ? Des fondements pour croire, mais placée dans un environnement musulman elle a très vite buté sur Jésus, vrai Dieu et vrai Homme. Après de longues discussions, elle a trouvé une harmonie familiale en cherchant Dieu, l'unique, le miséricordieux dans un éblouissement mystique. Quittant le catéchuménat, elle m'a remerciée de lui avoir permis de trouver Dieu. Je le vis comme une marge et non pas comme un échec,
de même, des hindouistes ont fait le même parcours. Je pense qu'il faut accueillir tous les "déistes" chercheurs de Dieu et essayer - mais qui suis-je - de leur présenter Celui qui nous révèle totalement Jésus-Christ.

Passeur d'une rive à l'autre
Aller aux marges, c'est faire une confiance absolue en Celui qui se sert de moi pour appeler. Après moi, il y aura autre chose, une autre personne, un autre événement. Je me définis donc comme "passeur" d'une rive à l'autre, et tant pis si le bateau s'arrête sur une île. Il abordera une autre fois… ou pas, avec un autre passeur qui sera là. Aller aux marges, c'est accepter de ne pas être tout puissant et cela rejoint Noël et ce Dieu qui se fait tout petit. La marge c'est ma confiance, mon impuissance et ma confiance absolue en Celui qui compte sur moi, avec toute ma compétence et toutes mes incompétences… et qui me fait rencontrer des chercheurs de Dieu.
Il me reste cependant le message douloureux de l'Eglise vis à vis des personnes vivant une situation maritale non conforme à la canonicité ! Comment vivre le n'ayez pas peur dans ces circonstances ? (ma première rencontre est souvent avec la peur au ventre !) La rencontre avec ces personnes est difficile, car, découvrant Dieu, souvent à travers une histoire douloureuse, ils ont vécu avec ce qu'ils étaient et ont une vie, leur vie. Il faut les rejoindre et leur montrer un chemin possible. Même si cela prend plus de temps, l'on peut regretter que notre mère l'Eglise reste en retrait de la vie de nos enfants qui ne veulent pas s'engager dans le mariage… est-ce aussi cela aller aux marges ?

Une foi confiante dans la grâce divine

Anne-Marie Tossou, suit le parcours de l’Année Saul

A Rio aux JMJ le pape François a interpellé les jeunes par cette phrase : « N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent »

Je reçois cette interpellation comme un appel à une prise de conscience : suivre le Christ, c’est inévitablement cheminer à contre-courant des opinions et pratiques mises en avant et valorisées des masses dans notre société qui a tendance à rejeter Dieu et tout ce qui est en lien avec Dieu. Au travail, dans nos lieux de formation ou de relations, nous sommes amenés à être confrontés aux railleries, au mépris voire aux hostilités de toutes sortes du simple fait de se déclarer chrétien et de vivre en chrétien. J'ai déjà vécu cela plusieurs fois. C’est donc un encouragement à aller au-delà de l’opposition du monde et à surmonter les difficultés dans la persévérance et la fidélité au Christ qui peut toucher les cœurs les plus endurcis.

Vivre de la Parole et de l’Esprit en vérité
Ces paroles du pape François interpellent les fondements de la foi et la qualité de la relation personnelle entretenue avec le Christ : comment  porter le Christ sans puiser au préalable à la source vive, le Christ lui-même, pour vivre de la Parole et de l’Esprit en vérité ? L’appel du pape François me pousse donc à approfondir et à nourrir ma foi pour la fortifier et l’ancrer toujours plus dans le Christ à travers la fréquentation sacramentelle régulière, la prière et le contact avec la Parole chaque jour, les temps de rencontres, de partages et d’échanges avec les frères et sœurs dans la foi au sein de groupes paroissiaux et diocésains. Enfin, je pense que la formation continue est indispensable pour développer ses connaissances et se donner les moyens de discerner et d’expliquer le cas échéant afin d’être, dans le monde, un véritable témoin du Christ (cohérent et crédible) en paroles et en actes.

« Ne laissez pas les autres être acteurs du changement »
Avec cette phrase, le pape attire notre attention sur une certaine tendance à la passivité ou au fatalisme révélatrice d’une forme de désespérance qui peut décourager les hommes de bonne volonté en les conduisant à penser, avant même d’avoir essayé quoi que ce soit, que tout est perdu d’avance et que rien ne peut changer. Résultat : cet immobilisme des porteurs de la vie peut profiter aux acteurs plus zélés d’un chemin qui conduit l’ensemble de la société vers la mort.
Contrairement à l’attitude de désespérance ambiante, l’attitude de toute personne qui croit au Christ ressuscité devrait être celle de la foi confiante dans la grâce divine sachant que rien n’est impossible à Dieu. C’est ce que j’essaie de mettre en pratique au quotidien avec la grâce de Dieu. Croire contre toute espérance en me confiant avec confiance au Seigneur dans les petites comme dans les grandes choses. Je pense vraiment qu’une relation vivante et quotidienne avec le Seigneur permet de rester vigilant et de lutter efficacement contre la désespérance qui paralyse. Je reçois donc cette phrase du pape comme un appel personnel vibrant du Seigneur à prendre mes responsabilités à mon niveau, là où je suis, pour agir avec le Christ et toutes les personnes de bonne volonté pour le développement du Royaume de Dieu.

Vivre comme Jésus au carrefour des Nations

Emilie Picou, suit le parcours de l’Année Saul

Le pape François nous invite à porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles. Cette interpellation, je la reçois comme une exhortation à vivre comme Jésus, lui qui est né en Galilée, le carrefour des Nations, lui qui s’est toujours laissé interpeler par les exclus, les rejetés : aveugle, collecteur d’impôt, Samaritaine… A cette époque de la mondialisation, tous les endroits sont accessibles mais pourtant bien des « périphéries » se paupérisent et effraient. La première des barrières est la peur, d’où cette première parole du pape, que Jean Paul II avait déjà érigée en credo : « n’ayez pas peur ».

Mon audace a été récompensée
Je le vis au quotidien, habitant dans le 93 et travaillant dans des collèges jugés difficiles. Je vis mon métier comme une vocation, une manière de faire grandir l’humain en chacun des élèves rencontrés, une façon de « porter le Christ jusqu’aux périphéries ». J’ai toujours accueilli mes affectations avec confiance, sûre que le Christ me précèderait comme il a promis de précéder les apôtres en Galilée. Cette quatrième année d’enseignement, qui suit une année de volontariat au Bénin, pays « en périphérie » de l’activité économique et politique mondiale, où j’ai enseigné également à des 5e, me confirme dans ma foi : la confiance et la bienveillance désarment ; le désir de rencontrer l’autre et Dieu en l’autre est source de relation, relation rendue alors possible où qu’on se trouve. Oui, à Bohicon au Bénin ou à Clichy-sous-Bois, mes relations avec mes élèves sont bonnes ; je sens même une réelle affection chez la plupart d’entre eux à cette période de l’année. L’intensité varie suivant les classes et les élèves, et l’année n’est pas constante, mais je ne crois pas que ce qui est gagné puisse complètement se perdre.
J’ai eu envie cette année, à la veille des vacances, de partager un moment festif avec ma 6e la plus turbulente et de leur transmettre un message d’espérance, un message un peu fou : je leur ai fait écouter « On ira tous au paradis » de Michel Polnareff après leur avoir distribué les paroles. J’avais un peu d’appréhension, je craignais que les petits durs soient réfractaires à ce message ou que la rigidité de la religion prenne le dessus. Mais ils ont souri… et chanté ! On l’a réécoutée ! C’était très joyeux. Mon audace a été récompensée et j’ai eu le sentiment que Noël était advenu ici aussi.

A contre-courant de la morosité du temps
Nous considérons trop souvent que l’on ne peut rien faire pour le monde ; nous avons les idées mais pas l’énergie, les solutions aux problèmes nous semblent politiques, hors de notre portée. C’est un « oui » de chaque jour, au monde et à la vie, exprimé dans la foi, que le pape nous invite à redire. Le changement se pratique par une multiplicité de petits gestes quotidiens, économiques, écologiques mais surtout par l’attitude et les mots : sourire, avoir des paroles d’espérance, s’attacher à ce qui est positif… bref, aller à contre-courant des médias et de la morosité du temps ! Témoigner de la joie que je trouve dans mon travail aux gens qui n’habitent pas la banlieue, témoigner de la réalité de la France à des Béninois pleins d’illusions, témoigner de ma foi en écrivant ou affirmer simplement que je suis chrétienne face à mes collègues, sont pour moi des façons d’opérer le changement, du moins d’être active, présente. Être acteur du changement, n’est-ce pas d’abord être acteur de sa propre ville, de sa propre église et surtout de sa propre vie ? Sans s’engager à droite et à gauche, efforçons-nous d’être vraiment là où nous nous tenons. « Investir plus de conscience dans tout ce que nous faisons », comme nous invitait à le faire un prêtre béninois lors d’une homélie dans le temps de l’Avent, ou pour aller plus loin « introduire l’amour dans chaque acte de vie » comme m’y encourageait un jour une prière, ne serait-ce pas la clé de tout changement ?

Le pape François raffermi ma foi en ma cité

Albert Mériau, prêtre-ouvrier au Blanc-Mesnil

Le message du pape François « aux périphéries de l’Église » me rejoint au plein cœur de ma mission d’Église, de prêtre-ouvrier. Cette mission est la grâce de ma vie, depuis 45 ans. En entrant au travail, à 30 ans, je découvrais un monde nouveau ; aussi loin que l’Afrique. Le monde du travail s’était construit hors de l’Église : le cardinal Suhard parlait d’« un mur ». Le pape Jean XXIII avait ouvert les fenêtres de l’Église en convoquant le concile Vatican II qui définissait l’Église « intimement solidaire des hommes et de leur histoire ». Aujourd’hui, les militants chrétiens sont reconnus, grâce aux mouvements de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de l’Action catholique ouvrière (ACO).
Vous me direz : « C’est la mission des chrétiens ; mais le prêtre ! » Je constate encore la surprise de chrétiens de me voir à la Maison des syndicats, en manif ou à la Maison de quartier au lieu d’être à l’église. Ma mission est de leur signifier que leur vie de tous les jours a de l’importance aux yeux de Dieu ; que c’est leur mission d’être ferment au cœur du monde. Que l’Église continue de détacher des prêtres malgré la crise situe là le cœur de leur mission.

Casser les murs de préjugés
Cette mission, je la vis dans le peuple de Saint-Denis ; aujourd’hui multicolore. Et nous nous retrouvons périodiquement autour de notre évêque avec des délégués des jocistes, des militants d’ACO, des religieuses souvent en cités ; pour que notre Eglise de Saint-Denis soit toujours présente au cœur de cette vie. Journellement je rencontre des militants syndicaux, associatifs et politiques, dans les quartiers et sur ma ville. Ils sont le plus souvent non religieux mais nous partageons la même passion pour l’Homme, la  même foi en ses capacités et en son avenir. Le pape François vient justement raffermir ma foi en ma cité quand j’en doute. Il a vécu plus difficile que nous. « J’ai peur, dit-il, quand des chrétiens perdent l’espérance. Noël parle de la tendresse de Dieu et de l’espérance. »

Il y a aussi l’effort incroyable que font ces immigrés, ces travailleurs venus d’ailleurs pour faire vivre ceux et celles qu’ils aiment. Que Ma… me pardonne de la citer. Cette chrétienne est présente au quartier par ses enfants ; quand nous sortons de notre réunion de chrétiens de la cité, les grands jeunes de la rue la saluent. « Bonjour, Ma… ». Je l’invite à venir à l’Amicale des locataires pour que des africaines participent aussi à l’organisation du quartier. Le samedi suivant, elle se pointe, accompagnée de trois femmes qui, malgré leur travail de la semaine, ont quitté leurs gamins pour venir à la Maison de quartier.

J’ai mal devant les murs de préjugés que j’entends trop souvent. Le 6 décembre, nous étions réunis une centaine de chrétiens du diocèse autour de Ghaleb Bencheikh, le présentateur de l’émission musulmane du dimanche matin (France 2). Il disait : « Nous vivons ensemble (« obligés » diraient les jeunes de mon quartier). Allons-nous vivre ensemble dans la confiance ou dans la défiance ? Les progrès d’une société se mesurent à l’intégration des minorités ». C’est à ces combats que je participe pour abattre tous les murs de préjugés et pour vivre ensemble.

Pour que naisse la vie, la vie du Ressuscité
« On n’enchaîne pas la parole de Dieu » dit l’apôtre Paul. Même en prison les murs ne retiennent pas la vie et l’espérance. Les croire capables et les inviter à bâtir leur projet de vie, par delà les montagnes de difficultés. Avec eux ne célébrons-nous pas le dimanche, en Jésus, la victoire de la vie sur toutes les forces de mort ! Mon combat : que l’Église ne soit pas à la périphérie ; mais au cœur de la vie de ces femmes et ces hommes de notre diocèse. Ceci est aussi la mission de chaque prêtre et de chaque communauté chrétienne. En allant aux périphéries de l’Église et dans les fractures de notre société ; pour que naisse la vie, la vie du Ressuscité.

« N'ayez pas peur d'aller et de porter le Christ »

Valérie Guérard, responsable du groupe Divorcés et en Eglise 93

Je me sens directement interpellée par les paroles du pape François quand il nous alerte pour porter le Christ : « n’ayez pas peur d’aller et de porter le Christ en tout milieu jusqu’aux périphéries existentielles ». Comment se laisser toucher par ces paroles sans remettre en question son regard et sa vie même, surtout dans le cadre d’un engagement. A travers le pape François c’est le Christ qui m’interpelle et qui me fait prendre du recul par rapport à mes certitudes, ces certitudes qui se réinstallent malgré nous, ces certitudes que l’expérience de mon divorce m’a apprise à lâcher. Au jour le jour, à travers mon chemin de vie, Dieu me rappelle que je n’ai qu’une seule certitude sur laquelle je peux compter c’est assurément son Amour, inconditionnel, qui augmente à chaque lâcher prise.

Alors, pour regarder et voir les périphéries de l’Eglise, faut-il interroger son cœur et le tourner vers Celui qui est et qui sera toujours pour chacun de nous ; faut-il se laisser travailler par l’Esprit pour changer son regard, ouvrir ses oreilles et regarder avec le regard du Christ, entendre avec sa sensibilité tous ceux qui se sentent à la marge de l’Eglise, tous ceux qui sont blessés par la vie et qui n’osent pas ou n’ont plus la force de se dire, mais aussi tous ceux que nous n’osons pas regarder parce que leur situation nous fait peur et que nous ne pensons pas avoir les moyens de répondre à leur détresse… Alors les périphéries de l’Eglise c’est peut-être toutes les formes de pauvreté et d’isolement que nous rencontrons dans l’Eglise et à côté de l’Eglise. Il n’est pas besoin d’aller très loin, car bien souvent la périphérie se trouve à notre portée de main ou de regard, dans notre entourage. La clé se trouve dans ce « n’ayez pas peur » que chacun doit travailler dans sa vie.

De nombreux membres coincés par la loi de l’Eglise
Dieu a toujours été présent dans ma vie, Il m’amène régulièrement à des remises en questions mais je dois dire que depuis mon divorce, son Amour toujours présent me décape et me dépouille de plus en plus ; ma situation de divorcée remariée est un chemin qui va à la rencontre des chrétiens qui peuvent se sentir exclus de l’Eglise.  Je vis toute l’ambigüité d’une Eglise qui vous ouvre les bras mais qui se trouve dans l’impossibilité de donner les signes d’Amour du Christ à travers les sacrements ; une Eglise avec de nombreux membres qui se trouvent coincés par la loi de l’Eglise : de ce fait beaucoup sont désemparés, ont peur d’écouter et de se trouver face à une  situation qui les dépasse. Je dois remercier ce prêtre qui m’a accueilli au moment de la séparation dans sa paroisse et qui a permis mon cheminement en Eglise mais aussi notre évêque, Pascal Delannoy qui m’a confié depuis 4 ans la mission d’accompagner le groupe relié à la pastorale familiale « Divorcés et en Eglise 93 » qui réunit les chrétiens en situation de séparation, de divorce, de remariage ou comme conjoint de divorcé.

Une fraternité donnée comme un miracle
Je vis ainsi toute l’ouverture d’écoute, de chemin de foi et de vie qui est donné dans notre diocèse à travers ce groupe que j’accompagne : c’est ensemble que nous cheminons, que nous grandissons dans notre foi et l’Amour du Christ. A chacune de nos rencontres, nous découvrons sa présence, sa tendresse, mais aussi sa peine avec et dans chacun de nos frères. A chaque fois, je vis cette fraternité donnée comme un miracle : elle permet à chacun de se sentir accueilli tel qu’il est, là où il en est. Je vis aujourd’hui cette périphérie dans cette mission : je vois Dieu à l’œuvre, un Dieu patient qui chemine au rythme de chacun, avec les blessures, les révoltes, les colères de chacun ; un Dieu qui s’exprime à travers les gestes, les paroles livrées par chacun dans une confiance et une authenticité qui me bouleverse à chaque fois. Je laisse l’initiative du thème aux participants, une manière pour moi d’être totalement à l’écoute mais aussi de laisser l’Esprit œuvrer : c’est à chaque fois déstabilisant pour moi de ne pas connaître le thème à l’avance mais aussi d’une grande richesse car j’ai autant à découvrir de ce thème que chacun d’entre nous. Ainsi, j’ai vécu pleinement le thème de l’année qui aborde toute la tendresse de Dieu à travers  nos fragilités. J’ai testé à nouveau toute la fragilité de mes certitudes, celles qui sont de l’ordre de la toute puissance en quelque sorte et qui balaient peu à peu Dieu de notre cœur, de notre vie. Je croyais pouvoir tout mener de front, ma vie professionnelle, mon engagement en Eglise, et toutes les sollicitations dont je faisais l’objet depuis quelques mois, et… j’ai vécu un véritable "burn out". J’ai voulu résister et c’est seulement quand j’ai lâché prise et remis toutes les rênes entre les mains du Christ que j’ai pu re-vivre, reprendre des forces, faire face à l’épuisement et ressusciter de son amour : une fois de plus, Dieu veillait et m’enseignait à nouveau que ce n’est pas par la force de ses poignets, de ses engagements aussi louables soient-ils qu’on peut atteindre les périphéries demandées par le Christ : il est utopique de vouloir porter le Christ sans se laisser toucher préalablement par Lui et d’accepter que le chemin qu’il a choisi pour nous rejoindre est bien celui de nous toucher à travers nos fragilités.

Nos angoisses, richesses et chemin vers l’autre
Alors recherchons nos fragilités, nourrissons-nous de nos fragilités car elles sont chemin vers le Christ présent en chacun de nous : ainsi nos peurs, nos angoisses peuvent devenir richesses et chemin vers l’autre : c’est ainsi que  le Christ nous enrichit. Ne pas perdre la richesse de ces chemins qui peuvent être partagés et aider d’autres dans l’accompagnement me parait important : ainsi, il n’est pas donné à tout le monde de comprendre à quel point le chemin de reconstruction après une séparation, un divorce peut être long voire interminable, qui peut paraître insurmontable mais ce chemin est incontournable et celui qui écoute doit être aussi patient que le Christ pour accompagner cette personne ; il y a des erreurs d’accueil et des maladresses dans l’écoute qui pourraient être ainsi évitées. Une formation basée sur l’expérience est à inventer : elle peut être libératrice pour beaucoup qui restent dans l’ignorance, dans ses peurs ou ses préjugés. Nous avons vu comment Diaconia (à Lourdes) a permis cette ouverture par les seuls témoignages entendus dans le cadre des forums. Ces paroles du pape François sont destinées à chacun d’entre nous qu’il soit engagé ou pas dans l’Eglise. Dans ce monde où prédomine le matériel, il y a urgence à se laisser interpeller par ces paroles qui nous invitent à réinventer la présence du Christ dans chacune de nos vies.

Le charme de l’humanité, c’est sa diversité

Jean Pelloux-Prayer, diacre à Montreuil-sous-Bois, groupe de dialogue athées-chrétiens

« Porter le Christ », ou être porté par Lui ? Pour comprendre l’exhortation de notre pape, je préfère commencer par cette deuxième formulation. Le Christ, en effet, est plus grand, plus fort, plus "vrai" que moi. Si je ne veux pas m’effondrer, c’est donc à lui de me porter plutôt que l’inverse. Parce qu’il est plus grand que moi, il peut m’entourer, m’embrasser, être celui qui me tire, qui me pousse, qui donne sens à mon passé et ouvre mon avenir. Si je me laisse faire en cherchant à entendre, comprendre et suivre  ce qu’il me dit, je deviendrai alors porteur à mon tour du Christ, de son message et de ses actes. Avec ma sensibilité, mes aptitudes et mes limites.
Et comme il est plus grand que moi, il porte dans son cœur des gens que je ne porte pas forcément dans le mien, qui me sont étrangers ou qui m’indiffèrent. Mais Lui qui les aime, les comprend et les accompagne instaure d’emblée un champ commun entre eux et moi : celui d’une fraternité initiale, d’une humanité qui, bien que plurielle, est d’abord unifiée par son Créateur. Alors oui, en tout milieu jusqu’au plus loin ou au plus indifférent, je peux rencontrer quelque chose du Christ, chez l’autre ou en moi, à la fois chez l’autre et en moi. Et cette intimité donnée par le Christ n’a pas besoin de la reconnaissance explicite de sa présence par celui qui n’est pas chrétien. Il suffit que le chrétien se souvienne que le Christ est, comme le présente Pilate à la foule, l’Homme (Ecce Homo) pour savoir qu’il y a dans tout être humain quelque chose du Christ, même déformé, même nié, même ignoré. Il prêtera alors une oreille attentive à ce que l’autre lui dit car comme l’affirme le chapitre 25 de l’Evangile selon Saint Matthieu, le Christ n’est pas forcément là où l’on croit ! Alors bien sûr l’appel du pape oblige tout catholique : rencontrer ceux qui sont en marge de la morale commune ou de la foi de Moïse a été le quotidien de Jésus-Christ et c’est grâce à cela qu’Il a fait exploser les frontières de la religion, sortant le message évangélique de Jérusalem et le portant, via ses disciples, jusqu’aux limites du monde.

La présence du Christ au cœur de l’humanité
Quelle que soit la culture, le message est le même : sortir de chez soi, aller à la rencontre de l’autre et mettre en lumière la présence du Christ au cœur de l’humanité. Mais à chacun sa culture, son histoire personnelle, son langage et ses manières de faire. Ce qui fait le charme de l’humanité, c’est sa diversité : la manifestation de la présence du Christ parmi les hommes prendra donc toutes les couleurs de toutes les cultures. Cette interpellation du pape François, comme la foi chrétienne elle-même, n’est donc pas une négation des différences culturelles mais peut être leur subversion : elle dit que la fraternité humaine voulue par Dieu est plus importante que les différences culturelles. Ces dernières ne sont donc légitimes que dans la mesure où elles ne prétendent pas à la vérité absolue, qu’elles ne cherchent pas à prendre la place de Dieu et à Le combattre. Sinon, le chrétien authentique, pris entre une culture qui trahit l’humanité voulue par Dieu et le Christ qui lui montre cette même humanité, choisira le Christ en devenant le « sel de la terre », c’est à dire une corrosion, une subversion des chaînes culturelles.

Le monde vient à moi…
Je ne suis ni un globe-trotter, ni quelqu’un qui sort spontanément de son milieu : mon périmètre est très étroit et mes périphéries très étendues ! Heureusement, je vis dans un département très cosmopolite à une époque où, de surcroît, ce qui se passe dans le monde n’a jamais été plus connu qu’aujourd’hui par un habitant lambda comme moi. Ce n’est pas moi qui vais au monde mais le monde qui vient à moi : voilà qui épargne la fatigue du voyage… En outre, je trouve que notre civilisation, mû par son moteur individualiste, s’écarte chaque jour un peu plus de la foi chrétienne, telle que je la comprends : même au niveau des opinions, des discussions avec des amis ou des gens de mon milieu, professionnel par exemple, je constate un désaccord, souvent de fond, sur l’essentiel. Enfin pour compléter le tableau, je ressens très bien ce que dit Saint Paul : « Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais » (Romains 7, 15). Bref, avec des périphéries qui sont partout, autour de moi et en moi, le mot périphérie change de sens. Je suis bien convaincu, d’une part, que l’Esprit saint est à la racine de mon être, en son centre, et tout le reste à la périphérie et, d’autre part, que c’est le cas de bien des gens, et même de tout le monde, qu’on le reconnaisse ou non. « Aller jusqu’aux périphéries existentielles » signifie donc pour moi laisser l’Esprit Saint m’envahir et envahir le monde. Nous pouvons entendre Sa voix lorsqu’il nous manifeste que l’amour que Dieu nous porte est notre identité ultime. Il nous fait ainsi comprendre que notre centre n’est pas en nous-mêmes.

Dialogue entre athées et chrétiens
Le groupe de dialogue entre athées et chrétiens du diocèse est assez homogène et se retrouve facilement autour de valeurs humanistes. Ce n’est pas un athéisme militant qui s’exprime mais un athéisme toujours intéressé à dialoguer avec des gens qui expriment d’autres croyances. Réciproquement, les chrétiens qui se rendent à ces soirées ne sont généralement pas des prosélytes mais ont des sensibilités souvent proches de ceux qui se situent en dehors de l’Eglise. Quoique les chrétiens soient très largement majoritaires dans ce groupe, le centre de nos discussions se situe plutôt hors de l’Eglise, là où il est possible de trouver un terrain commun avec des athées, et l’Eglise se retrouve donc plutôt à la périphérie. Alors quand je vois que tout cela risque d’être très consensuel, je me mets délibérément en périphérie, sur un registre plus en phase avec les dogmes de l’Eglise tels qu’ils sont traditionnellement exprimés, et je saute sur la première occasion pour questionner les présupposés des autres. Il me semble en effet important de maintenir toujours un autre point de vue pour sauvegarder la relativité de toute parole humaine : sinon on risque de tomber dans l’idéologie. En outre, je n’ai pas besoin de beaucoup me forcer car mon présupposé personnel est théocentrique (et donc l’humanité, en tant que création divine parmi d’autres, se situe à la périphérie) et non « humanocentrique », ou humaniste, (point de vue où Dieu est considéré comme objet de croyance d’un certain nombre d’humains, et non de tous, et se retrouve donc à la périphérie de cette humanité).

Je ne choisirai de développer qu’un seul exemple. Lors de l’une de nos soirées à la Maison diocésaine de Bondy, l’un des athées a demandé si, dans l’Evangile, Jésus ne s’était jamais trompé d’un point de vue éthique car pour lui on ne pouvait pas être vraiment humain en étant infaillible sur ce sujet : peut-on être vraiment humain si l’on a toujours raison ? Une chrétienne lui a cité le passage (Matthieu 15, 21-28) où Jésus commence par ignorer une femme cananéenne qui lui demande la guérison de sa fille et lui assène qu’il est venu pour les Juifs et non pour les païens, mais la femme émerveille Jésus par sa réponse (« les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ») et parvient à le détourner de son chemin et à lui faire prendre en compte sa doléance. Pour cette chrétienne qui avait cité ce passage, il était évident que Jésus s’était fait remettre sur le chemin de l’humanité alors que de lui-même il s’en éloignait. Cette interprétation de cette parabole allait évidemment tout-à-fait dans le sens humaniste, où Jésus partageait avec l’humanité jusqu’à ses inévitables errements. Personnellement, j’ai du mal à admettre que la divinité puisse se tromper sur le terrain éthique et j’ai donc exprimé mon désaccord sur l’interprétation qui était donnée de ce passage de l’Evangile. Selon moi, Jésus exprimait une vérité de la Révélation qui passe historiquement d’abord par les Juifs avant de s’étendre au monde païen et la réponse de la femme, qui émerveille Jésus à juste titre, montre qu’elle a non seulement déjà compris cette vérité première (la Révélation donnée au monde juif d’abord) mais également la vérité qui en découle (l’extension de cette Révélation à toute l’humanité). […]

Comprendre et expérimenter ce que signifie la foi chrétienne
Annoncer que Dieu nous aime dans le Christ est à la portée de tous, formés ou non formés : il suffit pour cela d’aimer son frère comme le Christ nous a aimés (Jean, 13, 34). Et Jésus nous rappelle que les actes sont plus importants que les paroles: « Il ne suffit pas de me dire « Seigneur, Seigneur » ! pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père qui est aux Cieux » (Matthieu 7, 21). En revanche, lorsqu’il s’agit d’annoncer le Christ par la parole - et la parole aussi a besoin d’être convertie -  alors, oui, il faut être formé.

Il y a d’abord une prédisposition spirituelle à travailler. Quand quelqu’un dit quelque chose, c’est qu’il a des raisons pour le dire. Il faut accepter que le discours de l’autre, aussi éloigné que possible du mien, ait une part de vérité, une part que précisément mon discours ne porte pas puisqu’il est différent. Quelle est cette part ? C’est ici que commence le travail de l’interprétation qui consiste à chercher si cette part de vérité se situe plutôt dans ce qui est dit, dans celui qui le dit, dans celui à qui cette parole s’adresse, dans le contexte dans lequel elle est prononcée ou dans le type de langage utilisé. Il faut donc faire preuve d’une curiosité bienveillante pour bien comprendre ce que l’autre m’apprend. Et éviter de se sentir blessé par ce que dit l’autre, même quand ses propos sont polémiques, voire insultants. Pourquoi devrais-je me sentir blessé du fait que l’autre exprime avec force que ce à quoi je tiens le plus ne représente rien pour lui ? C’est sa relation à cette chose ou à cette personne qui est chahutée, renversée, niée, pas la mienne.

Ensuite, il faut se former, c’est-à-dire comprendre et expérimenter en profondeur ce que signifie la foi chrétienne. J’insisterai particulièrement sur la Trinité. Quand on a dit que l’on croit en Dieu, on n’a pas encore dit grand chose, car qui est ce Dieu en qui l’on croit ? La foi chrétienne est ici parfaitement originale par rapport à tous les autres monothéismes. Elle ne croit pas en un Dieu solitaire, individuel, mais en un Dieu qui est communion de personnes. Cela explique  que l’on puisse dire que Dieu est amour, car l’amour exige une structure trinitaire, comme le dialogue d’ailleurs : il y a celui qui aime, celui qui est aimé, et la relation d’amour entre les deux. Et c’est le caractère plein, total, unique de cet amour qui forme en Dieu l’absolu divin. Cela réhabilite la relativité au cœur même de cet absolu divin : pas d’évocation possible du Fils sans référence au Père et réciproquement, les deux étant liés par l’Esprit. Dès lors la relativité humaine n’apparaît plus comme une faiblesse mais comme une condition de l’amour. On comprend mieux la question de la périphérie à laquelle fait allusion le pape quand Jésus implore au Mont des Oliviers « Père, à toi, tout est possible, écarte de moi cette coupe! Pourtant non pas ce que je veux mais ce que tu veux ! » (Marc, 14,36). Jésus montre en effet à la fois que le Père et lui sont deux personnes différentes, et que sa raison d’être à lui, Jésus, réside en son Père. Jésus est décentré de lui-même, se retrouve à la périphérie de son Père, et c’est bien là le mouvement de l’amour. Dès lors, pas de Dieu-Amour sans Trinité. Et si Dieu n’est pas Amour en lui-même, pourquoi nous aimerait-il ? Et s’il ne nous aime pas, pourquoi l’aimerions-nous ? Ainsi se comprend la part de vérité de l’athéisme : sa critique n’est généralement pas celle d’un Dieu Trinité mais d’un Dieu individuel, qui devient alors, au choix, incompréhensible ou ignoble.

Enfin, la formation humaine est évidemment la bienvenue. La proximité avec la souffrance des hommes apprend généralement à se départir d’un langage déconnecté de la réalité. Ceux qui participent à ces échanges entre athées et chrétiens sont souvent des militants qui ont mené bien des combats auprès de toutes sortes de gens fragilisés par la vie. Ils m’apprennent beaucoup, notamment sur la sainteté d’une persévérance humaniste qui a perdu toutes ses illusions mais non sa noblesse.

Il est très difficile de se faire entendre
Annoncer Jésus-Christ a toujours été essentiel pour les chrétiens depuis deux mille ans. Mais c’est vrai que nous connaissons une période assez délicate. La foi chrétienne est marginalisée, dans notre pays notamment, et il n’est que trop facile de lire dans des livres ou des journaux à fort tirage des propos insultants, méprisants ou haineux vis-à-vis du catholicisme, quand ce n’est pas une ignorance systématique de ce qui reste pourtant dans le monde la confession majoritaire du christianisme qui, de toutes les religions, compte le plus de fidèles. Il est donc très difficile de se faire entendre, d’autant que ceux qui tiennent ce genre de propos sont évidemment persuadés de savoir ce qu’est la foi catholique ou n’ont pas envie de le savoir ou ne veulent en entendre que ce qui pourrait confirmer leurs opinions. On est donc forcé de passer par une phase d’écoute attentive de ce genre de discours pour en distinguer préjugés et vérités avant de pouvoir risquer une parole sur le Christ : un peu comme si nous ne pouvions commencer à rouler sur une route qu’après avoir déblayé le glissement de terrain qui l’a ensevelie, et cela tous les 300 mètres !

L’enjeu est d’importance : il se situe dans le risque de la violence généralisée et nous invite à réfléchir à la mécanique en marche dans notre civilisation. Celle-ci se meut, au moins sur le papier par exemple dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, sur deux jambes : un mouvement libéral par lequel une société accorde à chacun de ces membres le pouvoir de décision pour lui-même et un mouvement contraire, démocratique, par lequel les individus remettent entre les mains de leurs représentants le soin d’élaborer une règle qui s’imposera à tous. Cette tension entre ces deux mouvements prend sa source dans une anthropologie qui met face à face l’individu et le peuple et instaure un dynamisme censé favoriser le progrès dans tous les domaines, et qui le favorise effectivement bien souvent. Le malheur vient de ce qu’en réalité les réglages entre mouvement libéral et mouvement démocratique ne sont pas toujours au point. Le versant individualiste libéral a une fâcheuse tendance historique à l’emporter largement sur le mouvement démocratique qui tente tant bien que mal de conserver un minimum de vivre-ensemble. Lorsque le libéralisme a trop vidé de sa substance le mouvement démocratique, celui-ci est progressivement concurrencé par des mouvements totalitaires car lorsque les amoureux de la liberté individuelle se désintéressent de la solidarité sociale, ce sont les ennemis de cette liberté individuelle qui s’en chargent et obtiennent ainsi des soutiens nombreux. Que ces mouvements totalitaires s’appuient sur des prétextes divers, économiques et sociaux comme le marxisme, politico-ethniques comme les nationalismes fascistes et nazis ou religieux comme l’islamisme, ne doivent pas masquer la faiblesse initiale de notre civilisation : une anthropologie qui repose sur l’individu et qui a bien du mal à harmoniser droits de chacun et devoirs de tous.

L’Homme a une dimension sociale
La doctrine sociale de l’Eglise ne cesse de répéter depuis plus d’un siècle que par nature, l’Homme a une dimension sociale : il n’est pas un individu mais une personne. Le concile Vatican II a largement mis en lumière que quel que soit le sujet, la Bible, l’Eglise, les sacrements, la vie dans le monde, etc. Chacun de ces éléments ne trouvait sa justification qu’en dehors de lui-même, chacun était par nature décentré de lui-même, chacun devait vivre sa périphérie comme sa vocation propre. Chaque fois que l’on fait parler l’un de ces éléments, il faut envisager les conséquences de cette parole sur les autres éléments : pas de Bible sans l’Eglise, pas d’Eglise sans le monde, pas d’être humain sans société, etc. Autrement dit, chacun trouve son identité dans sa relation à autrui. L’anthropologie personnaliste mise en avant pas la doctrine sociale de l’Eglise peut nous aider à éviter le repli sur soi individualiste. […]

Pas en parole mais en acte

Kamil Rembek, suit le parcours de l’Année Saul

Le pape François nous invite à suivre le Seigneur sans aucune barrière, aucun jugement… mais avec son Amour. Tout simplement être là, dans la confiance de Dieu. Ne plus avoir peur de demain mais être heureux dans le présent, car pour moi suivre le Christ c'est avant tout vivre ! Porter le Christ pour moi, c'est mettre sa foi et son Amour de Dieu au centre de sa vie et à partir de là, tout devient plus facile. C'est regarder chaque personne, de la plus misérable à la plus riche, de la plus méchante à la plus gentille avec un regard d'Amour. Car cette personne est mon frère, une création du Seigneur et qu'à partir de là, Dieu est en elle, avec elle. Il existe tellement de manière d'annoncer l'Amour de Dieu. Dans ma vie de tous les jours, elle se fait par le témoignage, pas en parole mais en acte. Dans chaque circonstance, apprendre à être heureux, à ne pas porter de jugement, à porter ce regard miséricordieux, à avoir de la patience pour mes frères et sœurs que je peux croiser dans ma journée, cela exclusivement pour Dieu. Ce n’est pas toujours simple, je fais souvent des erreurs, mais cela ne me fait pas peur, au contraire cela m’est doux de me dire que si je fais une erreur, que je la remarque et que j’apprends à ne plus la reproduire, je m’approche alors de mon Seigneur.

Se laisser influencer par l’Amour de Dieu
Aujourd’hui, dans ce contexte du tout, tout de suite pour assouvir une envie personnelle on avance souvent dans une volonté de ne satisfaire que l’Homme et on en oublie de se poser la question, comment satisfaire Dieu ? Il faut essayer de travailler sur soi pour se laisser influencer par l’Amour de Dieu. Souvent, je prie pour que les personnes ouvrent leur cœur à la rencontre de Dieu et qu’ensuite par leurs actes et leurs façons d’être, qu’ils soient des acteurs du changement pour le Seigneur dans leur entourage.

La grandeur du geste

Fulbert, accueilli à la paroisse Saint-Louis de Drancy

Fulbert est centrafricain. A 36 ans, il fuit un pays en guerre et erre quelques temps avant d’être accueilli en paroisse. Sa femme et ses deux petites filles sont actuellement au Caire.

Je suis arrivé à Roissy après que ma maison a été saccagée, mes biens pillés, et sans nouvelle d’un frère. Hébergé dans un premier temps à Livry-Gargan par un ami, j’ai fréquenté la chapelle Saint-Joseph. Parlant de ma situation au père Jean-Claude, j’ai pu être hébergé dans une salle paroissiale avant que le Secours catholique me trouve un logement plus approprié à Drancy.

Une chambre, une cuisine, des toilettes… Je n’aurais pas rêvé mieux ! Les paroissiens ont montré une grande hospitalité. Après la messe du vendredi matin, nous prenons un petit café et discutons avec un cœur grand ouvert. Quand on accueille, on ne mesure pas la grandeur du geste ; un geste qui peut sauver une vie. Je dis merci à Dieu d’être là, d’avoir échappé à une fi n tragique, même si je suis encore séparé de ma famille. La foi m’a été d’un grand secours. Dieu a un cœur énorme, il ne nous abandonne jamais. Je prie et lui rend grâce. Je lui demande aussi de donner à d’autres personnes tout ce que ce j’ai pu recevoir… C’est juste incroyable !

Allons au dehors !

Agnès Meyer, animatrice pastorale à Notre-Dame de Bon Secours, Bobigny

En tant qu’animatrice pastorale, je rencontre les chrétiens de la paroisse, et aussi de nombreuses personnes qui viennent pour se confier. Là déjà, il me semble qu’il y a une « périphérie ». Une autre expérience m’a fait découvrir d’autres « périphéries » hors de la paroisse, par exemple au Centre de médecine physique de réadaptation, un centre qui accueille des personnes ayant subies une opération, un AVC ou un accident grave. Les uns sont là pour quelques semaines, d’autres pour des mois ou quelques années. Dans cet établissement, nous y célébrons la messe une fois par mois ou pour les grandes fêtes chrétiennes. Certains sont pratiquants et d’autres, ayant vu l’annonce de la messe, se joignent au groupe, parfois pour la toute première fois. Comme ce jeune cadre responsable d’une grande société, frappé par un AVC à la quarantaine, qui me disait à la fin d’une messe « J’ai le sentiment d’être passé avant mon accident à côté de la vraie vie ». Et quelques jours après, l’ayant revu, il m’a demandé de prier avec lui le Notre Père, ce qu’il ne faisait pas avant.

Dieu agit partout
Je suis allée également avec l’équipe de la pastorale de la santé dans une maison de retraite célébrer la messe. Là aussi, j’ai été frappée par une attitude, comme cette dame qui me semblait au premier abord très diminuée, presque absente, et qui pendant la célébration s’est complètement transformée. Je me suis dit : c’est vraiment la foi là où on ne l’attend pas, c'est-à-dire aux « périphéries » comme le dit le pape François. Il me semble important que les chrétiens aient conscience que Dieu agit partout et qu’il est important pour eux d’aller à la rencontre de ceux qui ne viennent pas dans nos églises. Oui, cet enjeu est encore plus important maintenant parce que nous ne sommes plus en chrétienté, comme autrefois. Allons à la suite de Jésus, celui qui a dit : «  Je suis sorti du Père pour aller dans le monde » (Jean 16, 28).

Les périphéries où partir annoncer

Marie Balot, étudiante à l’université Paris 13 Villetaneuse

Mon séjour au Brésil a été un moment tout particulièrement dépaysant, tant l’Amérique, et qui plus est peut-être pour nous européens, l’Amérique du Sud, saute au visage. Quand sur la plage de Copacabana, le pape nous a parlé de « périphéries existentielles », d’aller voir « loin », « différent », il n’était pas compliqué de saisir combien, en effet, il été possible de se décaler de soi-même, de son chez-soi. Nous entendions ses mots alors que l’on commençait peut-être tout juste à comprendre ce qu’avait dû être les impressions de gigantisme, d’étrangeté, de luxuriance, ressentis par les missionnaires, jésuites surtout, qui les premiers avaient, témérairement, évangélisé ce pays ! Cette nouvelle humanité, rencontrée dans les autochtones d’Amérique, qui devait comme repousser les frontières du connu, et déployer la charité divine au-delà de la maîtrise des savants occidentaux, était telle qu’on ne pouvait éviter de se sentir porteur d’une véritable mission, d’enseignement, d’annonce de la bonne nouvelle, comme mue par l’expérience exceptionnelle qui appelle la réponse exceptionnelle.

Mais l’émoi retombé, pour nous qui semblons connaître toute la planète, avoir accès à tout, qui pouvons communiquer avec tout le monde et ainsi ne plus être surpris de rien, ce n’était pas tant, en effet, la peur qui restait la première question, ou le « qu’allons-nous faire » ; c’était d’abord rechercher ce qui, en nous, pour chacun de nous, était une « périphérie existentielle », ce qui était plus « loin », plus « différent ». Notre pays, marqué par la diversité des milieux, par l’immigration, le métissage et tous ce qui aujourd’hui porte encore l’idée de "différence" est aussi définitivement  soumis à la "bien-pensance" de notre époque, qui a rendu l’idée de différence taboue et inconvenante sous prétexte d’égalité.

La peur de l’étranger à l’origine des inégalités et de la violence
Mon chemin scolaire, qui m’a fait passer de l’Histoire à Paris IV à la psychologie à Paris XIII, a été motivé par un désir de connaitre notre passé, au désir d’avoir à faire aux vivants, et à soi, à sa propre remise en cause : personne ne peut, et c’est ce que rappelle les propos du pape, éluder la question universelle et intemporelle de ce qui nous est à tous « étranger », car c’est justement la peur, l’angoisse de l’étranger qui est à l’origine de toutes inégalité et de violence… ça n’a pourtant jamais été en niant l’existence d’une « xénophobie » au sens propre de ce mot grec, c’est-à-dire au sens de peur de l’étranger (et de tout ce qui nous est étranger), que l’homme a résolu cette problématique ; car en cachant le problème, il ressort ailleurs, amplifier : c’est bien d’ailleurs de cette même dynamique que la psychanalyse est né, comme une nécessité. Quels sont donc, pour nous, les périphéries où partir annoncer ? Voilà ce qui me semble être la première question à laquelle chacun doit répondre, n’évitant pas l’angoisse qu’elle porte en elle, de peur de passer à coté de ce qu’il y a d’essentiel. C’est un enjeu crucial et décisif de reconnaître même que des choses, de nombreuses chose nous sont étrangères, d’autant plus que l’excuse d’avoir un ami noir, un ami homosexuel, une amie non-croyante, n’est heureusement plus valable, pour justifier tous les comportements ou toutes les réflexions.

Décomplexer sa propre foi
J’ai peur de décevoir en ne proposant rien de concret quant aux démarches, aux initiatives qu’il faudrait entreprendre… Mon passage du quartier latin où j’étais gentiment entourée des typiques étudiants parisiens, et où pourtant j’ai savouré des amitiés qui n’ont manqué ni de me dépayser, ni de me déranger ; au campus de Villetaneuse où tout à coup je me suis sentie particulièrement pâle et presque comme une étrangère, ce ne fut pas tant cette sorte de volontarisme pour communiquer ma foi qui m’est apparu nécessaire, ou sensé, mais, dans ce nouveau milieu, ce fut de me mettre à l’école de leur propre fonctionnement. Ce que j’observais, c’était des jeunes gens qui, qu’ils soient musulmans, chrétiens, ou athées jouissaient naturellement de très peu de complexe vis-à-vis de leur propre foi ou considérations : aller cacher que vous croyez en Dieu quand vous portez un voile !

Je pense qu’il est toujours facile de dire : convertissons les autres, mais se demande-t-on concrètement à nous-mêmes la marge de conversion qu’il y a en nous à chaque rencontre avec l’autre ? Comment alors peut-on demander aux autres un effort de compréhension, d’ouvertures, quand nous sommes campés depuis l’enfance sur nos certitudes religieuses, trop souvent associées d’ailleurs à nos certitudes morales, sociales et culturelles ? Si ma foi me fait reconnaître que l’autre est un homme, comme les jésuites l’ont fait au Brésil avec les autochtones, alors je considère qu’il a tout autant à m’apprendre sur ce qu’est Dieu, ce qu’il y a de divin en l’homme. Et d’autant plus même qu’il vit autre chose que moi ou que ce que je connais déjà.

C’est une des grâces que nous accorde la jeunesse, et c’est ce qu’a voulu toucher en nous le pape, en nous éveillant à être sensible à cette question de la périphérie existentielle ; car ce ne sont pas les mots classiques de pauvreté, de racisme, de violence qu’il a employé, mais bien tout cela et plus encore, dans un sens global, ce qui nous est étranger, ce qui nous bouscule, ce qui fait que mues par le dérangement incessant de l’autre, du différent, on ne s’arrête jamais ni d’apprendre, ni de se remettre en cause, ni de rencontrer des hommes, et ni surtout de chercher à aimer toujours plus, toujours plus de monde certes, mais surtout toujours mieux.

Fais-le toi, et non pas les autres
On arrive ainsi à la deuxième interpellation du pape, en lien direct avec la première : fais-le toi, et non pas les autres. Il faut toujours tenir les deux choses à la fois : reconnaître la périphérie, reconnaître sa peur et la dépasser, car une chose est certaine, c’est bien nous qui avons eu les oreilles qui ont entendu tout ceci, et c’est parce que tu as entendu que tu dois parler. « Ne laissez pas les autres être acteurs du changement » peut être pris de multiples manières, mais personnellement, il m’a semblait que le pape, avec une façon toute formidable, a réussi aux JMJ à nous parler à chacun, comme si, face à lui, sur cette plage, nous n’étions pas une grande foule mais une union d’individu tous appelés personnellement. La question n’est pas en premier lieu : ne laisse pas faire les autres car ils le feront moins bien, car ils pensent mal, car ils ne connaissent pas Dieu et qu’ils n’ont jamais lu la Bible. Ce sens pris comme seul sens serait un désastre d’arrogance improductif. La première vérité que soulève le pape par cette affirmation, c’est : aie le courage de te lever, et ne considère jamais que quelqu’un d’autre le fera à ta place. Aujourd’hui, sur cette plage, au cas où tu ne l’ai pas déjà entendu avant, je t’affirme que tu es responsable de tes actes plus encore que tous autres jeunes, car ta présence ici est la preuve que tu as déjà bien plus reçu que tout autre, et qu’il est déjà tant de rendre, d’être productif.

D’autre part, et la jeunesse catholique française a montré au cours de l’année son désir de participer à la vie publique, c’est la question du "changement" de ce monde qui est en jeu. Le fait qu’il s’adresse à la jeunesse, que ce soit à elle qu’il parle de changement est significatif. Il n’est plus question de rester arrêté dans le passé sur des affirmations et des considérations qui seront de plus en plus datées et poussiéreuses, irrecevables. Il s’agit de s’emparer de la Vérité qu’annonce le Christ et l’Eglise et les reprendre à notre compte, nous qui sommes les deux pieds dans la modernité. Le changement, il ne faut pas en avoir peur, il ne faut pas, de toute ses forces tirer en arrière pour le ralentir mais au contraire, décidé de se mettre devant d’en être acteur et d’être une voie à suivre, voie éternellement révolutionnaire, et une voix à écouter, éternellement actuelle.

Personnellement, avoir enfin osé me dire, je me lance complètement dans la psychologie et surtout la psychanalyse ; je creuse sans pruderie mal placée la grande question de la maturation de l’homme, son inconscient, son rapport à sa propre intimité, sa propre intériorité, et j’ose même le faire en étant sure qu’en cela je chercherai toujours plus l’humanité dans ce qu’elle a de juste et de beau était directement dans cet esprit. Ce fut dans cette dynamique d’être acteur du changement, et dans cette certitude que ce qui était mon chemin, et la façon dont je le suivrais ne pourra jamais être assuré par quelqu’un d’autre, qu’ainsi j’étais aussi responsable de le mener à bon terme, que de la qualité que mon travail, mes lectures pourraient lui apporter.

Notre propre conversion au contact des autres
Si je devais résumer l’ensemble de mon propos, j’insisterais sur deux choses qui me semblent être essentielles. D’une part, que toute activité en tant que telle qui sert l’ouverture aux périphéries, ne sera jamais bien menée si on ne la vit que de l’extérieur ou de manière seulement  pratique et si la chose mis en avant n’est pas d’abord notre propre conversion au contact des autres. Ainsi, simplement m’ouvrir à des amitiés variées en classe, dans mon nouveau cursus, avec des étudiants souvent plus jeune et d’origines très différentes des miennes, en assumant ma foi sans honte et en me mettant à l’école de leur propre vécu affectif et spirituel, est déjà d’une richesse infinie, pour moi, pour eux, pour faire se réaliser la présence divine.

Deuxièmement, j’insisterais sur l’appel personnel au changement qui nous est fait et qui est fait à la mesure de ce que l’on a reçu. Il est beau d’être appelé par le pape même au « changement », quand l’Eglise a pu paraître trop longtemps comme inhibitrice de la vocation même de la jeunesse, être actrice du changement. Les JMJ ont été pensé exactement en ce sens : il s’agit de se penser comme ayant reçu la force d’être acteur d’un changement plus juste, qui profiterait à tous, qui ne veut en oublier aucun. Car nous ne sommes pas à l’origine de nous-même ni de ce que l’on a reçu, mais nous sommes, par contre, responsable de l’héritage que l’on a reçu et de ce que l’on va en faire… en oubliant jamais qu’il ne s’agit pas d’une somme de choses à faire et à pratiquer, mais bien avant tout, qu’il s’agit de nous, de la personne que l’on est et que l’on va devenir, dans sa totalité : elle est et sera le seul instrument auquel on peut avoir recours pour toucher ceux que l’on rencontre, et ainsi le seul instrument de Dieu pour rencontrer son Peuple. Connaître sa foi, avoir une relation véritable avec Dieu, reconnaître que l’on ne sera jamais la mesure de ce monde et que l’on ne possède pas la Vérité … et ainsi plutôt se laisser posséder par elle, c’est ça à mon sens assurer que toute action touchera vraiment le but que l’on vise et auquel on est appelé.

Soigner les souffrances et blessures de la vie

Thérèse Guillet, association Visemploi 93, Villemomble

La « périphérie » concerne pour moi deux réalités : d’abord toute personne qui m’approche, parce qu’elle est "cet autre" différent de moi et avec qui je peux créer un lien fraternel. Et puis cela concerne les personnes que l’on dit "aux frontières", plus ou moins proches de moi, qui ont une difficulté, quelle qu’elle soit, et que je vais être amenée à approcher.

Je reçois l’interpellation du pape François comme quelque chose que j’attendais depuis longtemps. Depuis toute petite, j’ai été confrontée à la précarité sous la forme de la maladie de ma maman, qui m’a fait pénétrer très tôt dans la réalité de ce qu’est vivre dans l’incertitude, la différence, la fragilité. Est-ce pour cela que je suis devenue médecin ? Qui sait ? Donc, sans appeler cela « les périphéries », elles étaient pour moi la personne en souffrance, physique ou psychologique.

De jeunes chrétiens me parlent de Dieu Amour
Comme beaucoup, j’ai été élevée dans une famille catholique et j’ai donc grandi  avec la formation religieuse des paroisses pour tout enfant puis adolescent. Mais comme beaucoup de jeunes aussi, l’adolescence m’avait un peu éloignée de l’Eglise. Puis, à l'âge de 20 ans, très en réaction contre la vie en général et en particulier contre celle qu'il m'était donné de vivre, je rencontre des jeunes chrétiens qui me parlent de Dieu Amour. Je cherchais alors un sens à ma vie. Invitée par ces jeunes, je suis partie à un séjour de vacances proposé par le Mouvement des Focolari. J'avais été élevée dans la foi catholique, mais que Dieu soit vraiment Amour, je n'y croyais plus vraiment et je voulais voir de quoi il retournait. Cela n'a pas été une illumination, mais, à partir de là, ma vie a radicalement changé. Je croyais l'Evangile passé de mode : là, il s'agissait de le mettre en pratique concrètement dans mes journées. Ce que j'ai fait. Prenant une phrase après l'autre dans l'Evangile, sans les analyser, je me suis lancée tête baissée : aime ton prochain comme toi-même ? Il y avait toujours une étudiante à qui passer un cours, un patient à écouter (j'étais étudiante en médecine), un feu orange à respecter… préparer un examen devenait occasion de s'entraider avec des amies… et le soir, je me rendais compte que je trouvais encore la force, en rentrant à la maison, d'affronter la maladie de maman, le rangement de la maison, les petits frères à écouter. C’est là que j’ai redécouvert cette présence de Dieu en chacun et que, aimer l’autre c’était aussi en quelque sorte vivre cette phrase de l’Evangile : « Si quelqu'un dit qu'il aime Dieu qu'il ne voit pas, et n'aime pas son prochain qu'il voit, celui-là est un menteur » (Jean 4, 20-21). Ou bien cette autre phrase : « J'avais faim, m'as-tu donné à manger ? J'avais soif, m'as-tu donné à boire ? J'étais nu, seul, malade, etc. » (Matthieu 25, 31-46).

Donc grâce à cette découverte, vivre ma foi n’était pas seulement synonyme pour moi de prier, aller à la messe… c’était aussi synonyme d’essayer de l’incarner en allant vers les plus « pauvres » (personnes en fragilité physique ou psychologique tout particulièrement du fait de mon métier). Et en vivant ainsi, peu à peu, certaines personnes me questionnaient, et ainsi j’étais amenée à leur parler de ma découverte de l’Amour de Dieu, elles apprenaient que j’étais chrétienne. Certaines ont suivi.

Une chance pour les chrétiens
Ces « périphéries » de l’Eglise représentent une chance pour les chrétiens, d’apprendre à vivre concrètement notre foi, non pas tant seulement en faisant des bonnes actions. […] Elles représentent une chance d’aller vers un monde plus fraternel, et sans vouloir verser dans un idéalisme béat, vers un monde où les pauvres seront moins pauvres parce que les riches accepteront d’être un peu moins riches. Pauvreté et richesse ne sous-entendant pas que la question financière, mais bien toute richesse personnelle que l’on peut avoir. Elles représentent une chance d’évangélisation, parce que rien ne pousse plus je pense à répandre le Christ et son message d’amour, que des personnes qui, avant de parler de Dieu, se mettent d’abord à « aimer » concrètement leur prochain. Elles témoignent ainsi par leur vie de cet amour dont parle Jésus dans l’Evangile, et l’autre se sentant concrètement écouté et accompagné dans ce qu’il vit, sentira un jour ou l’autre que derrière cela, il y a une certaine authenticité d’un Evangile vécu. Evangile qui devient en quelque sorte plus réel, plus accessible à tous, plus vivant, et peut-être alors ces personnes poseront-elles des questions ? Avant de vouloir convertir quelqu’un, peut-être que le pape François nous invite à l’aimer d’abord tel qu’il est, dans ses fragilités, et à l’accompagner d’abord dans sa demande humaine - drogues, pauvreté, chômage…- avant de lui parler de Dieu.

« Périphérie » des personnes en souffrance
Depuis toute petite puis dans mon métier, ma première « périphérie » a été celle des personnes en souffrance. Puis, j’ai été confronté vers l’âge de 35 ans, à la réalité de la souffrance des personnes en situation de séparation, de divorce, de remariage ou conjoints de divorcés. Ceci de par ma situation personnelle. Souffrance d’une part liée à la rupture et à leur situation de vie, mais aussi à leur souffrance en Eglise, du fait des conséquences dans la vie de tout croyant, par exemple d’un remariage civil après divorce. J’ai donc d’abord fait partie d’un groupe de personnes dans cette situation puis j’ai commencé à accompagner d’autres personnes dans cette situation.

D’autre part, depuis ma retraite, je n’ai pas en quelque sorte pas arrêté de travailler, mais bénévolement. C'est-à-dire que j’ai senti que je ne pouvais pas arrêter d’aller vers les plus fragiles. J’ai donc d’abord postulé pour un bénévolat dans une association d’écoute des personnes en situation de solitude, mal-être, désarroi, difficultés, un peu comme peut le faire SOS Amitié, mais le contact visuel m’était important. Je fais partie de l’association « La Porte ouverte », dans laquelle je fais des permanences d’écoute et d’accueil en face à face, sur Paris. J’aime bien cette phrase : "Les écoutants sont des marcheurs aux pieds nus sur des terres sacrées". Puis, médecin du travail à la retraite, et sensibilisée par les questions de société et en particulier dans le monde du travail, nous avons monté sur le 93, à Villemomble, l’antenne d’une association proposant le parrainage de personnes en situation de chômage longue durée : Visemploi 93. […]

Nous avons chacun en nous une fragilité
Le mot fragilité, en hébreu shevirout et shever, signifie "fracture", le verbe shavar "fracturer, casser, mettre en pièces". On a chacun en soi une fragilité, et seul soi-même sait ce qu’il vit au fond de lui-même. Aujourd’hui, on est dans un monde du « tout est possible », « tout, tout de suite ». Dans un monde où on nie ce qui n’est pas fort, beau, etc. On refuse tout ce qui a l’apparence de la faiblesse, et aussi ce qui n’est pas conforme à une "normalité" créée de toute pièce. Il y a une bonne et une mauvaise fragilité : la bonne permet d’accepter les différences, d’accepter ses propres limites, la finitude (sa mort), ou tout handicap. C’est cette acceptation de la fragilité qui permet que l’on puisse rencontrer l’autre. Si nous perdons le sens de cette bonne fragilité, alors on va finir par se sentir fort, mais c’est une fausse force et le lieu de rencontre avec l’autre disparaît. Si l’on perd la bonne fragilité en nous, on va devenir fragile autrement, de la mauvaise fragilité qui est la peur de l’autre.
Chaque faiblesse et fragilité sont en réalité une force parce qu’elles permettent la présence de l’autre et d’établir une relation vraie. On ne peut pas vivre toutes les fragilités ou souffrances qui existent, mais les personnes qui ont vécu certaines difficultés ou souffrances disent toutes que, une fois leur souffrance dépassée avec la grâce de Dieu, après être sortie du "gouffre" et s’être pacifiées, elles se rendent compte que cette souffrance a comme créée une fissure dans leur carapace humaine faite auparavant de certitudes, de bien-être. Elles disent que c’est probablement par cette fissure dans leur carapace que Dieu a pu pénétrer plus profondément en elles. Elles se sont alors découvertes beaucoup plus ouvertes et sensibles à la souffrance des autres qu’elles ne l’étaient auparavant. Dieu passe par la brèche de nos fragilités acceptées et nous donne un surplus de vie, parce qu’alors on lui laisse la possibilité d’entrer au plus profond de nous et d’y habiter. Si l’on prend la partie de ma part de souffrance en Eglise dans la situation de divorcé-remarié - conjointe d’un homme divorcé -, je dirais qu’il m’a fallu des années pour être pacifiée, et au bout de ces années, je me suis découverte plus sensible à toute la souffrance des personnes dans cette situation. Alors qu’avant, je n’en avais même pas conscience. […]

Redonner du sens à la dignité de chaque être
Parler de Dieu sans un minimum d’incarnation de l’Evangile - avec nos limites humaines certes - me semble, dans le monde d’aujourd’hui, un risque d’augmenter l’anti religiosité ambiante, et l’agressivité parfois vis-à-vis des chrétiens. L’enjeu pourrait-il être pour ainsi dire « sociétal » ? La société française est fragilisée actuellement aussi socialement. Une des raisons de cette fragilisation (il y en a beaucoup d’autres) est l’afflux de personnes d’autres pays moins favorisées socialement. De ce fait, avoir un minimum de formation technique, humaine, me semble indispensable pour ne pas verser dans une aide inefficace à long terme et qui, à plus ou moins long terme, va finir par peser sur toute la société française, risquant aussi d’entraîner le rejet de certains… Redonner le sens de la valeur du travail, redonner du sens à la dignité de chaque être et avoir à cœur et pour objectif d’œuvrer pour que chaque personne accompagnée arrive un jour à faire en sorte qu’il puisse s’en sortir par son propre travail ou/et sa capacité à ne plus se sentir être dépendant des autres, pour devenir un jour à son tour quelqu’un qui va redonner à d’autres l’espoir en une vie meilleure.

« N’ayez pas peur »

Arielle Communier, Chef d'établissement à Saint-Denis, Ecole Saint-Vincent-de-Paul

L’interpellation « N’ayez pas peur » me fait penser à l’injonction du pape Jean Paul II… J’apporte un témoignage et une proposition de vie dans la relation à l’autre sans faire de prosélytisme. Notre position est souvent délicate et se pose à la périphérie de ce qu’impose la loi Debré dans son accueil à tous et l’adjectif « catholique » de l’expression établissement d’enseignement catholique.

Ma proposition, dans l’école, est de faire grandir en humanité et de proposer une dimension spirituelle, au sens le plus large possible. Les actions de solidarité, l’heure de caractère propre, l’adhésion au projet éducatif vincentien par tous ceux qui fréquentent l’école : enfants, parents, enseignants, personnels éducatifs non enseignants, stagiaires, … est indispensable à l’accueil de tous.

Le respect des croyances de chacun
La religion catholique n’est pas, et de loin, la principale des motivations des parents à l’inscription, de nombreuses familles musulmanes ou sans religion font cette démarche. Il est très important à mon sens, que la dimension catholique soit ouvertement précisée dans le respect des croyances de chacun. La proposition qui est faite à tous peut ainsi avoir, selon les uns ou les autres, une dimension religieuse ou culturelle. D’autres temps forts appartenant à la religion catholique, comme la messe de fin d’année, la réflexion au cours du carême, …  sont proposés à ceux qui le souhaitent. En tant que chefs d’établissement nous sommes missionnés par l’évêque, mais nous ne sommes pas homme ou femme d’Eglise pour autant. Il est certainement important qu’à certains moments de la vie d’école une présence symboliquement plus forte soit présente, en la personne d’un référent qui pourrait être prêtre de la paroisse, religieuse de la congrégation, ou toute autre personne fortement engagée dans la vie religieuse.

Pas en « périphérie » de l’Eglise

Claire Dy, adjointe en pastorale scolaire, collège Saint-Louis de Villemomble

En travaillant dans l’enseignement catholique, comme référente en pastorale scolaire de collège, je n’ai pas du tout l’impression d’être en « périphérie » de l’Eglise. Ce serait plutôt l’inverse. Je crois que pour beaucoup d’élèves, la pastorale du collège c’est le cœur de l’Eglise. Beaucoup ne sont pas pratiquants en dehors. Leur lieu d’Eglise, c’est ici. Et même si nous les incitons à se rendre dans leurs paroisses, l’Eglise vivante c’est quand ils partagent et célèbrent avec leurs copains et accompagnateurs adultes. Chaque année, des élèves demandent le baptême pour avoir rencontré Jésus au collège - souvent aussi portés par la prière de leurs grands-parents - et ils ont envie de célébrer leur entrée dans l’Eglise avec ceux qui forment Eglise avec eux, leurs camarades du caté du collège.

Remettre en cause ce que je fais et je dis

Benoît de Guillebon, adjoint en pastorale scolaire à l’école Fénelon, Vaujours

L’interpellation du pape François à aller aux « périphéries » est pour moi un encouragement, un soutien dans ma mission d’évangélisation. C’est à la Toussaint 2004 que Mgr Lustiger a lancé une campagne d’évangélisation à Paris. Je faisais du caté depuis quelques années, je vivais ma foi en "vase clos" entre cathos. Pendant les vacances de la Toussaint, j’ai répondu à cet appel d’évangélisation en tenant un stand sur le parvis de notre église avec les enfants du caté. Nous fabriquions une reproduction de la mosaïque de Tabgha et proposions du café aux passants qui regardaient ce que nous faisions. C’est là que j’ai mesuré l’importance de la dimension missionnaire que je devais avoir et que tout chrétien devrait avoir. Nous discutions avec des personnes non croyantes, nous parlions de notre foi, du sens de cette mosaïque, de ce que nous faisions au caté. Je parlais du Christ dans la rue… Nouveauté pour moi, nouvelle dimension, nouveau défi. Suivre le Christ me rend vraiment et pleinement heureux parce qu’il m’invite à rendre les autres heureux. J’aime la formule de Raoul Follereau : «  Vivre c’est aider les autres à vivre ». C’est vrai qu’il faut oser, ne pas avoir peur. Mais lorsque qu’on se lance, cela dynamise sa propre foi et rapproche du Christ. Quoi de plus stimulant de vouloir partager ce qui vous rend heureux.

Je n’ai jamais caché ma foi
Je vois comme « périphériques » ceux qui ne sont pas dans l’Eglise, qui ne vivent pas de et dans l’Eglise. Ce peut être des baptisés, comme des non baptisés, ils peuvent connaître ou non le Christ mais le Christ n’a alors pas d’influence spirituelle sur leur vie, par oubli et par ignorance, voire même par rejet.

L’école est évidemment un lieu où je peux rencontrer ces personnes. Je suis enseignant depuis 23 ans à Fénelon et APS depuis seulement deux ans. Je n’ai jamais caché, aux enseignants et aux élèves, ma foi, mon appartenance à l’Eglise catholique. J’avais la chance de travailler dans un établissement catholique et donc c’était pour moi tout à fait normal d’afficher ma foi en mettant en avant l’amour du prochain, la compréhension de l’autre, son respect. A moi de montrer "le bon exemple" aussi bien en classe avec mes élèves qu’en salle des profs en étant très attentif à l’autre, bienveillant. J’ai mis en place pendant le temps scolaire, des situations où les élèves devaient être attentifs à l’autre, principalement dans des rencontres intergénérationnelles avec des élèves du primaire et des personnes âgées. Lorsque je suis devenu APS à mi-temps l’autre mi-temps je suis prof/éducateur pour un internat relais, mon « évangélisation » a pris à mes yeux un caractère plus officiel, plus légitime si j’ose dire. J’évangélise désormais dans le cadre de la pastorale.

Une action pastorale adaptée
Un niveau qui s’occupe des personnes désirants approfondir leur foi et qui demandent ou non un sacrement ; un niveau obligatoire dans certaines classes où nous imposons une culture religieuse, ou une réflexion ; un niveau facultatif où nous proposons un temps de réflexion sur des thèmes mais vu à travers le prisme du chrétien. Dans les niveaux facultatifs, et donc au caté nous accueillons tout le monde même une personne non croyante, ou d’une autre religion mais qui veux découvrir ce qu’est le caté et ce que nous y faisons. L’accueil de tous est pour moi important du moment que la personne respecte ce que nous faisons, idem pour les célébrations.

Les lieux où annoncer la bonne nouvelle
En premier lieu notre chapelle, avec quatre temps plus forts : la messe de rentrée, messe de l’Avent, messe avant Pâques et messe de fin d’année. Pour ces temps forts, je mets un point d’honneur à ce que la chapelle soit très bien décorée, accueillante, chaleureuse et que chacun puisse participer au maximum et puisse se dire à la fin de la messe : oui j’avais ma place. C’est peut être le lieu d’évangélisation le plus difficile, aussi paradoxal que cela puisse paraître. En effet, moi en tant que "bon catho" la messe je connais un peu. Je connais les réponses à dire, les moments où il faut se lever, les différentes parties de la messe, etc. Mais pour celui qui ne vient pas souvent, où si pour lui c’est la première fois, comment faire pour qu’il ne soit pas "trop largué", qu’il ne se sente pas exclu de cette célébration alors qu’il est invité par le Christ ? Mais le sait-il ? C’est mon souci et je suis épaulé à l’école par une personne qui redécouvre la foi et me demande des explications sur tout. Je me suis aperçu que l’habitude était un somnifère de la foi et surtout de l’évangélisation. « C‘est une forme subtile d’absence de foi que de s’être habitué à ce en quoi l’on croit. […] Dans l’habitude, l’âme est sans espoir et l’esprit sans interrogation. » (Martin Schleske) Je dois en permanence remettre en cause ce que je fais et dis, être très clair avec ce que je veux dire ou faire. Autre lieu, les locaux de l’aumônerie. Quelques élèves viennent discuter, jouer dans les bureaux de l’aumônerie. Ce sont eux qui viennent vers nous.

Le lieu privilégié est pour moi la cour de récréation et plus encore le self de l’école pour partager le repas. C’est là que je peux rencontrer facilement les élèves et discuter avec eux. Les amener à une réflexion. C’est important que dans une école les élèves puissent rencontrer facilement une personne qui ne soit pas un enseignant ou un surveillant, quelqu’un de bienveillant qui ne les juge pas. N’étant qu’à mi-temps, je n’ai pas à mon grand regret du temps pour traîner dans la cour, d’aller à leur rencontre. Pourtant, je sens bien que c’est là le cœur de ma mission. Nous rencontrons aussi les élèves dans leur classe pour des actions caritatives. Nous les sollicitons pour qu’ils puissent participer activement à ces actions. Là aussi, nous allons vers eux et les rendons acteurs ce qui leur plait souvent. C’est aussi une occasion de leur parler du Christ.

Formés pour toucher le cœur de l’homme
Il faut bien sûr être préparé pour parler aux périphéries de l’Eglise. Avant tout se laisser guider par l’Esprit Saint, lui nous aidera à parler à trouver les mots justes. Il faut connaître un peu la Bible, cela aide bien. Surtout avoir des clefs pour lire la Bible, car la lire n’est pas toujours facile et alors transmettre la Parole est encore plus difficile. Plus nous sommes formés, plus nous sommes efficaces pour toucher le cœur de l’homme. Surtout ne pas être seul dans cette action. Le Christ nous l’a bien dit : partez à deux. Nous sommes en pleine crise économique, crise de société. Nous voyons bien que les personnes qui nous entourent ne sont pas heureuses. La société de consommation montre ses limites, l’argent ne peut pas tout et n’est pas suffisant pour accéder au bonheur, la relation au temps change. Dans cette période de crise, à nous de montrer que le chemin que propose le Christ est un chemin qui mène au bonheur. Je suis là pour proposer un chemin mais je ne converti personne. La conversion provient d’une relation entre Dieu et la personne. A elle de choisir avec sa raison. Avec les jeunes je parle souvent du pourquoi doit-on travailler, du rôle du travail  pour moi. Y a-t-il que l’aspect financier ou le travail a-t-il un rôle social aussi important, un rôle humain ? Je pense qu’il est plus facile d’entendre ce discours en temps de crise, même si j’ai souvent l’impression de ramer à contre courant. De plus, nous assistons à une déchristianisation. Oui, il faut donc se préparer et se former, plus aujourd’hui qu’hier.

Culturel, spirituel, existentiel

Sibylle Héron, adjointe en pastorale scolaire à Aubervilliers

Je reçois l’interpellation du pape François d’aller porter le Christ aux périphéries comme un encouragement, non pas à parler de ma foi, mais à faire l'effort de la vivre au quotidien. Je comprends cela comme étant les gens ou groupes de gens -nombreux - qui sont totalement détachés de la spiritualité du Christ, de l'exemple de sa vie, de son enseignement. Parmi eux, une bonne part aura sans doute été baptisée étant enfant, mais se sera complètement éloigné de la foi chrétienne (ou ne l'aura jamais embrassé) par la suite. J'enseigne dans un collège privé catholique situé dans le quartier multiculturel des Quatre Chemins à Aubervilliers. Nos élèves et leurs familles sont de confessions bouddhistes, hindouistes, musulmanes, protestantes ou catholiques. D'autres encore sont athées. Certains - peut-être - sont de confession juive, mais pas à ma connaissance (un établissement juif situé non loin de notre collège explique sans doute leur absence ou quasi absence chez nous). Je ne sais pas si j'ai raison, mais pour moi, porter l'Evangile auprès de ce "public" que forment nos élèves et leurs familles, rarement  catholiques dans notre établissement, ne peut pas consister à dispenser des cours de catéchisme ou à imposer des célébrations eucharistiques qui, "trop" marquées religieusement parlant, risqueraient d'en effrayer une majorité. Et alors, comment témoigner, si personne n'a l'envie d'écouter ? Plutôt que des cours donc, le témoignage et l'invitation à la réflexion sur notre façon de considérer notre prochain, sur le respect et même l'amour de la personne humaine et de la Création, sur le sens de nos vies, me paraissent beaucoup plus adaptés.

Pas si athées qu'ils veulent bien le dire
Dans notre collège, un groupe de parole se réunit chaque semaine après les cours pour échanger sur sa vie quotidienne, sur ses sentiments par rapport à l'école, à la famille ou autre, et pour discuter de Dieu. Les élèves qui participent sont tous volontaires, et plusieurs religions sont représentées. Certains se disent athées mais leur présence et leurs questions existentielles laissent à croire qu'ils ne sont pas si athées qu'ils veulent bien le dire. Depuis cette année, un prêtre se joint à nous et échange de plus en plus avec les jeunes, toujours dans le respect de la foi de chacun. Assistent aussi souvent à ces échanges une autre enseignante - je le suis moi-même -, chrétienne, et un surveillant, musulman, tous deux des amis. Tout cela participe à une ambiance à la fois détendue et profondément humaine. J'ai le sentiment qu'il "se passe quelque chose" pendant ces séances. Un peu avant Noël, pour la première fois - je n'avais jamais osé jusque là -, j'ai proposé à ceux qui le souhaitaient de prier ensemble, chacun dans sa tête, devant une petite bougie qu'un des élèves (musulman) avait ramenée du Vatican au cours d'un voyage scolaire. Quelques élèves, un peu "intimidés" ou déstabilisés, ont préféré ne pas participer, mais une bonne partie est restée, et ceux qui le souhaitaient évoquaient juste à voix haute l'intention ou la personne pour laquelle ils souhaitaient que l'on prie ensuite chacun dans notre cœur, en silence. Quant aux célébrations, pour Noël et pour Pâques, elles ne ressemblent pas vraiment à des messes… les élèves "jouent" les scènes de la Bible rappelant ces deux grands événements, avec des variantes parfois. Par exemple cette année nous avons imaginé Joseph et Marie cherchant de l'aide dans notre quartier en 2013, et nous avons imaginé comment ils auraient été reçus. Il y a aussi des prestations musicales pendant notre célébration. Une quarantaine d'élèves s'investissent à la préparation en général, là encore, toute religion confondue, et cela m'étonne et me remplit toujours de joie quand un élève, que je sais non chrétien, souhaite ardemment travailler le texte et interpréter le rôle de Joseph, de Marie, ou encore de Jésus brutalisé, et s'investit à 100% là-dedans. Je me dis que la parole, et l'exemple de la vie du Christ, ont vraiment été annoncés alors. Mieux : que l'enfant est allé les chercher de sa propre initiative, qu'il a travaillé à les comprendre, à "se les approprier", et qu'il s'en souviendra. Voire plus…

Une réflexion personnelle de longue haleine  sur notre façon de vivre chrétiennement dans notre environnement quotidien me paraît pour le moins essentielle. Cela implique aussi une constante remise en question de nos réactions, pas toujours très "chrétiennes" sous le coup de l'émotion ou de la paresse intellectuelle : "Ai-je bien agis quand j'ai pris telle décision ? Quand j'ai parlé d'Untel ? Ai-je pris le temps de discuter avant de prendre la décision concernant telle personne ?

  

Aucun prosélytisme, aucune gêne
Il se trouve que je fais partie d'une association d'alphabétisation, qui intervient auprès d'adultes migrants en provenance principalement d'Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Mali et Mauritanie. Je pense pouvoir dire sans me tromper que tous nos apprenants sont musulmans, certains s'absentent parfois pendant le cours au coucher du soleil pour aller faire la prière.
Je suis un groupe d'élèves qui ne change pas beaucoup depuis plusieurs années, ils me connaissent bien et réciproquement. Les cours - ou les sorties culturelles effectuées en dehors - sont l'occasion d'échanger sur nos cultures respectives et la religion en fait partie. Ils me savent chrétienne. L'autre jour, j'ai apporté comme texte de lecture la fameuse Lettre de Saint Paul aux Corinthiens sur la place essentielle de l'amour dans la vie du chrétien (Sans l'amour, je ne suis rien, etc.) Ce fut l'occasion de parler de la foi chrétienne d'un point de vue culturel (Rome, le Vatican, les papes, l’Histoire de l'Eglise, etc.), mais aussi d'un point de vue vraiment spirituel et existentiel (martyrs, jusqu'où un croyant est-il prêt à aller par amour pour Dieu ou pour son prochain, etc.) Je crois que je n'aurais pas pu avoir cette discussion si j'avais donné ce texte à peine quelques jours après avoir rencontré ce groupe. Cela aurait donné une impression de : "j'arrive avec mes gros sabots et moi chrétienne je viens vous apprendre à vous musulmans ce que c'est que ma religion, que cela vous plaise ou non". Mais le fait de bien se connaître, de vivre "chrétiennement" (ou d'essayer !) auprès d'eux au fil des ans, m'a permis de pouvoir "annoncer l'Evangile aux périphéries de l'Eglise" sans aucun prosélytisme, sans aucune gêne, dans un échange très sain et très riche. Tout cela pour dire que, plus encore qu'une formation (même si celle-ci me paraît une très bonne idée), la réflexion, la remise en question, une extrême délicatesse et un profond intérêt de la personne à qui l'on s'adresse et de ses valeurs, y compris spirituelles, me paraissent de la plus haute importance avant de se lancer un peu "concrètement" dans l'évangélisation de nos frères …

Naïfs ou fanatiques
Le plus urgent - mais le plus difficile - serait de porter le message du Christ au cœur non pas de nos cités, où finalement il passe plutôt bien s'il est amené dans le respect de l'interlocuteur, mais de nos médias. C'est lorsque j'allume ma télé ou que je lis les journaux, à quelques exceptions près, que je suis le plus frappée (pour ne pas dire touchée) de l'absence totale de valeur morale parfois, de l'absence totale de recherche du bien. De l'absence totale de référence à Dieu. Si ce n'est pour parler des croyants de toutes religions confondues uniquement comme, au mieux des naïfs, au pire des fanatiques.

Prêcher sans cesse et sans crainte

Félicien Meyao, suit le parcours de l’Année Saul

Aux JMJ le pape François nous a dit de ne pas avoir peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, à celui qui semble plus loin, plus indifférent. Cette interpellation me dit de prêcher la parole de Dieu sans cesse dans mon entourage et sans crainte. Avoir un comportement convainquant ou exemplaire pour attirer celui qui est loin du Christ. Concrètement dans ma vie de foi, cela me permet de tendre la main vers celui qui est dans le besoin, d'aimer mon prochain comme moi-même. Le pape nous a dit aussi que le changement ne peut venir d'une personne mais de tous car chacun doit apporter son maximum pour aboutir au changement. Cela me parle de la solidarité, de l’entente, de l’harmonie, et surtout de la paix.

Prendre le temps de la rencontre

Aude Roy, suit le parcours de l’Année Saul

Le pape François nous rappelle notre engagement premier en tant que chrétien lors de notre baptême : « être prophète ». Comment annoncer aux personnes qui nous entourent sa Bonne Nouvelle ? Dans nos sociétés laïcisées, nous avons tendance à croire que nous allons heurter les autres si nous leur montrons que nous sommes chrétiens. Alors que c’est en témoignant que nous pourrons les toucher avec la grâce de l’Esprit Saint. Les « périphéries » ne représentent pas forcément un endroit lointain mais plutôt toutes les personnes que nous rencontrons tous les jours sur notre chemin. Je pense qu’il s’agit déjà de s’intéresser à son prochain, celui qui est là, à côté duquel on passe parfois sans se retourner : lui sourire, prendre le temps de la parole… Et cela commence dans nos paroisses, en accueillant ceux que nous ne connaissons pas et en s’investissant dans la vie de l’Eglise. Prenons exemple sur ces jeunes brésiliens qui n’ont pas peur de témoigner et de vivre leur foi en portant le Christ sur leur tee-shirt.

Que notre témoignage auprès des jeunes soit vrai
Au Brésil (lors des JMJ), nous avons côtoyé plusieurs sans-abris sur notre chemin pour aller à la paroisse tous les matins. Je me rappelle que ceux-ci ne nous demandaient rien, mais nous disaient simplement « bonjour » ou « que Dieu vous bénisse ». Au début, nous ne répondions à peine « bonjour », mais à la fin de la semaine nous échangions quelques mots avec le sourire. Cela m’a beaucoup fait réfléchir sur ma vision de l’autre, de "l’exclu" de nos sociétés. C’est à l’autre bout du monde que j’ai pris conscience qu’il y a des gens tout près de moi qui attendent seulement une parole et un sourire. Depuis, je m’efforce de prendre le temps de la rencontre. Cette année, ne pas avoir peur de porter le Christ m’a donné envie de m’investir dans ma paroisse, notamment auprès des jeunes qui préparent leur confirmation. C’est faire confiance à l’Esprit pour nous guider et que notre témoignage auprès des jeunes soit vrai.

S’entraîner tel un footballeur
Quand le pape nous invite à être acteur du changement, il veut nous faire prendre conscience que nous sommes l’Eglise de demain, et que si nous voulons qu’elle nous ressemble, il ne faut pas avoir peur de « semer la pagaille dans nos églises » (Pape François aussi à Copacabana). Non pas en excluant les autres, mais au contraire en "faisant avec" chacun selon son talent. Etre acteur du changement, c’est aussi se former, continuer à enrichir sa foi en « s’entraînant tel un footballeur » (Pape François aussi à Copacabana). Chacun personnellement pourra répondre à l’appel du Seigneur pour lui en prenant du recul, et le temps de discerner.

Depuis quelques temps et les JMJ notamment, je ressens le besoin de prendre du temps pour réfléchir à la question : Qu’est-ce-que le Seigneur veut pour moi ? Je me suis inscrite à l’année Saul, et déjà les fruits de ce début d’année sont grands ! La lecture quotidienne de l’Evangile m’a fait prendre conscience que le Seigneur est toujours là, nous accompagnant sans relâche. Le premier week-end de retraite a permis aussi d’avancer : chacun de manière personnelle ou collective a pu approfondir sa connaissance de Dieu et méditer seul ou en groupe. Quelle richesse dans les témoignages que nous avons eus la chance d’avoir : que ce soit les intervenants ou les personnes du groupe. Dans la vie de tous les jours, au travail, être acteur du changement, c’est tout d’abord écouter les autres, ne pas juger, et ouvrir un dialogue. Je terminerais pour conclure avec les paroles d’une chanson que j’aime beaucoup : « Je vous ai choisis, je vous ai établis, pour que vous alliez et vous portiez du fruit… » (Chant de la communauté de l'Emmanuel).

Les progrès naissent souvent à la périphérie

Xavier Vandromme, délégué du Secours catholique de Seine-Saint-Denis

Le mot périphérie dans le vocabulaire d’un pape garant d’une organisation très hiérarchisée et centralisée est surprenant. Mais ce mot n’est pas anodin, il n’a pas dit au bord, aux frontières, aux limites. La  périphérie, c’est bien ce qui entoure un centre. En tant que délégué diocésain du Secours catholique de Seine-Saint-Denis, je perçois les enjeux, les réalités et expressions de la charité aux abords d’une ville comme Paris. La périphérie fait partie intégrante de l’identité d’une ville ou d’une organisation. La périphérie a pour but de faire rayonner le centre, le protéger, de construire ce qui n’est pas complètement achevé mais sera un jour intégré.

En Seine-Saint-Denis, il y a 40 communes et 86 paroisses, chaque territoire possède son histoire, son identité et s’inscrit dans une évolution portée par l’arrivée de nouvelles populations. La délégation du Secours catholique est présente sur 22 sites et a investi les cités de Tremblay-en-France, Montreuil-sous-Bois, Noisy-le-Grand, Clichy-sous-Bois. Plus concrètement, elle est présente auprès d’organisations partageant des thèmes de réflexions identiques comme d’autres organisations confessionnelles, les partis politiques, les syndicats, la presse, les universités et les grands centres d’affaires.

La solidarité s’impose à l’ensemble du corps social
Acteur depuis de nombreuses années au sein d’organisations citoyennes, « ma périphérie » consiste à être aux confluents des préoccupations de personnes "ordinaires" témoignant de la réalité sociale et du regard qu’elles posent sur l’Eglise des plus faibles, pouvant ainsi être force de propositions et être porteurs d’espérance. Pour exemples : dans les années 1990, participer à la constitution du réseau des divorcés-remariés aujourd’hui présent dans un grand nombre de paroisses en Seine-Saint-Denis et en France. Dans les années 2000, élaborer l’argumentaire permettant la promulgation de la loi de mai 2007, dite loi du Droit au logement opposable (DALO). Participer aux réflexions internationales permettant la libre circulation des personnes et le respect de l’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ainsi, j’ai constaté et vérifié que les progrès universels naissent souvent à la périphérie des organisations y compris dans l’Eglise. Les argumentaires rationnels, les habitudes, les schémas d’organisations savantes deviennent inefficaces devant la souffrance de tous ceux qui subissent des injustices. La solidarité s’impose alors à l’ensemble du corps social. D’une action périphérique souvent obscure, l’élaboration d’actions ancrées dans des réalités humaines  permet l’émergence de politiques publiques innovantes et la construction d’un monde meilleur, chemin d’espérance de tous chrétiens.

Reconnaître l’autre dans son histoire
Le Secours catholique est présent en Seine-Saint-Denis avec 22 équipes soit 700 bénévoles, 4 équipes d’animation territoriale (EAT Sud, EAT Nord-Est, EAT Nord, EAT Sud-Est) agissant au travers des services transversaux tels que prison, bénévolat, formation, trésorerie, aumônerie diocésaine, etc. mais aussi avec des thématiques périphériques innovantes telles que la participation des personnes en situation de pauvreté dans les actions du Secours catholique, l’accompagnement à la recherche d’emploi, la présence, l’écoute dans les quartiers, l’accueil des migrants et le soutien aux familles Roms vivant en bidonville, et l’hébergement solidaire porté  dans des locaux des paroisses. L’engagement de chacun est possible au service de son frère au nom des valeurs de l’Evangile. Oui, il faut se laisser transformer par les interpellations souvent originales des personnes situées  à la périphérie de la société et de l’Eglise. Pour bien répondre aux demandes, quels que soient les aléas de la vie, il faut se former à l’écoute, se débarrasser de ses préjugés, afin d’aller à la rencontre de l’autre, se mettre en mouvement pour l’accueillir, c’est-à-dire, le reconnaître là où il en est dans son histoire, et lui permettre d’exister à part entière.

La périphérie peu à peu incontournable
Incontestablement, notre siècle est traversé par la notion de complexité. Les certitudes d’hier sont à revisiter et le pape François nous sollicite à travers son témoignage de Noël auprès des personnes sans abri, des migrants à Lampedusa, d’une économie au service de l’Homme. Il y a un enjeu important si l’on considère l’évolution des territoires périphériques qui changent de nom : Grand Paris, Paris Capitale, Métropole Paris-Seine, ainsi que la globalisation des situations rencontrées par chacun d’entre nous. La périphérie deviendra peu à peu incontournable pour la réalisation de toute interaction sociale et spirituelle, c’est peut-être cela la construction d’un monde charitable.

Etre chrétien ne va plus de soi

Chantal Girod, animatrice pastorale à Sevran

Je pense que c’est important pour un chrétien dans notre société aujourd’hui d’aller vers ceux qui sont aux périphéries de l’Eglise, qui sont au bord du chemin et qui ont besoin d’entendre un message d’espérance et de joie, une bonne nouvelle ! Nous nous devons en tant que chrétiens d’aller à la rencontre de ceux qui sont fragiles, qui sont laissés pour compte non seulement pour les supporter - dans le bon sens du terme - mais surtout pour apprendre d’eux, convertir notre regard et notre manière d’être avec eux. Ne restons pas enfermés dans nos peurs et nos automatismes. Ces « périphéries » ce sont les personnes fragilisées par la maladie, la solitude, l’injustice, écrasées par les inégalités économiques et sociales d’une société de plus en plus individualiste. Ce sont les laissés pour compte de la réussite sociale mais aussi ceux qui sont éloignés de l’Eglise.

Un lieu où les personnes se sentent reconnus
« Ma » périphérie, je la trouve avec certains enfants et leurs familles qui me sont confiées au catéchisme. En creusant avec eux, dans un dialogue et une écoute attentive, le pourquoi d’absences répétées ou la difficulté de venir régulièrement aux rencontres, nous arrivons à tisser des liens. Les parents peuvent trouver un lieu où ils se sentent reconnus et osent confier leur situation souvent difficile et douloureuse. C’est important qu’ils se sentent accueillis, écoutés et respectés malgré les aléas de la vie. J’apprends beaucoup à leur contact, ils me font grandir humainement et spirituellement.

C’est indispensable d’avoir une disposition d’accueil et d’écoute, d’être attentif à l’autre tout en respectant la différence. Le pape le dit dans sa dernière encyclique Evangelii gaudium (La joie de l’Evangile) au n°171 : « Plus que jamais, nous avons besoin d’hommes et de femmes qui, à partir de leur expérience d’accompagnement, connaissent la manière de procéder, où ressortent la prudence, la capacité de compréhension, l’art d’attendre, la docilité à l’Esprit, pour protéger tous ensemble les brebis qui se confient à nous, des loups qui tentent de disperser le troupeau. Nous avons besoin de nous exercer à l’art de l’écoute, qui est plus que le fait d’entendre. Dans la communication avec l’autre, la première chose est la capacité du cœur qui rend possible la proximité, sans laquelle il n’existe pas une véritable rencontre spirituelle ».

Nous vivons dans un monde déchristianisé où être chrétien ne va plus de soi. Si nous nous replions sur nous-mêmes, l’Eglise ne devient plus "visible" dans ce qui constitue sa mission : « Apporter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés. » (Luc 4, 18).

Que la joie de la foi transpire en nous

Sylvia Ongono, enseignante au Lycée Assomption de Bondy

La mission de tout chrétien : ne pas avoir peur d’aller et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, comme nous y invite le pape François. Témoigner de la présence de Jésus en chacun de nous et ce, même à celui qui ne croit pas en Dieu ou qui prétend ne pas avoir besoin de croire en Dieu pour être heureux, pour avancer dans sa vie. Il est plus facile de porter le Christ au milieu de croyants, de chrétiens car nous aurons forcément une oreille attentive. Par contre, témoigner de la présence de Jésus dans nos vies face à des personnes qui ne croient pas en lui, qui ne croient pas au miracle de Dieu, c'est beaucoup moins aisé. Et c'est pourtant à cela que le pape nous appelle. Et quelquefois, la peur peut nous empêcher de mener à bien cette mission, le pape François l'a bien compris. A nous de transcender cette appréhension ! Pour moi, les périphéries de l'Eglise sont les personnes qui pour une raison ou une autre se trouvent à l'écart de l'Eglise, de la foi. Et ce basculement dans la périphérie peut être très rapide et presque insidieux. Notre vie, nos activités professionnelles, familiales, amicales nous éloignent souvent de l'essentiel. Nous vivons dans un monde où il faut être le meilleur en tout, le plus rapide, le plus performant et ces préoccupations nous éloignent peu à peu de l'Eglise. Ainsi, les périphéries sont multiples : je pense plus particulièrement aux jeunes étudiants ou ceux qui entrent dans le monde du travail parce que moi-même à cette période de ma  vie, j'étais persuadée que ma vie professionnelle, mes activités extra-professionnelles, mes amis étaient l'essentiel. Aller à la messe, prier, lire la parole de Dieu n'étaient qu'accessoires face à ma vie "pleine et remplie". Et puis, la réalité s'est vite imposée. Nous ne sommes rien, nous ne faisons rien si nous ne mettons pas Jésus au centre de notre vie.

La présence de Jésus au milieu de notre couple
Mon mari et moi avons beaucoup d'amis qui se sont mariés ou qui sont sur le point de se marier. Certains sont non-croyants, d'autres sont croyants mais non-pratiquants mais tous ont - ou ont eu - cette volonté de se marier à l'Eglise. C'est l'occasion pour nous de parler de la présence de Jésus au sein, au milieu de notre couple. C'est l'occasion pour nous de dire que leur mariage et leur désir de sceller leur union devant Dieu est peut-être un appel de Jésus Christ pour les remettre sur son chemin. Certains sont sensibles à ce discours et envisagent de se remettre sur le chemin de la foi, d'autres ne l'entendent pas ainsi mais tant pis, nous témoignons et peut-être que ce témoignage aura un écho plus tard.

Peu enseignants se sentent concernés
Je suis enseignante dans un lycée catholique depuis septembre dernier. Mon expérience dans l'enseignement catholique n'est pas suffisamment grande pour identifier précisément les périphéries dans ce domaine. Néanmoins, suite à des discussions avec différents animateurs pastoraux et enseignants, j'ai été marquée par la difficulté de certains chefs d'établissements de proposer une eucharistie plus fréquente qu'une fois par trimestre. L'aumônerie des lycées dans certains établissements est quasi inexistante par manque de moyens humains : tous les enseignants de l'enseignement catholique ne se sentent pas concernés par le chemin de foi que Dieu nous propose dans ce milieu de l'enseignement. C'est souvent de façon anodine que l'on se découvre collègues catholiques pratiquants parce que même dans un lycée catholique, nous avons peur de parler de notre foi, de parler du Christ, de porter le Christ. Les élèves eux-mêmes n'ont pas trop conscience d'être dans un lycée catholique, ils sont avant tout dans un lycée privé, payant. C'est ce critère qui l'emporte et qui rassure leurs parents quant à la qualité de l'enseignement délivré. Certains parlent aussi des valeurs qui y sont proposées, suivies mais très peu font le lien entre ces valeurs et la foi chrétienne.

Montrer la présence de Jésus dans notre cœur
Je ne pense pas qu'une préparation ou une formation soit nécessaire pour annoncer le Christ. Notre témoignage ne doit pas avoir pour objectif la conversion de l'autre. Il ne doit pas consister en un apprentissage de la Bible ou un développement de la vie de Jésus. Nous devons témoigner à travers notre vie, nous devons montrer que si notre visage brille, rayonne c'est grâce à la présence de Jésus dans notre cœur. Un jour, à une rencontre parents-professeur, la maman d'une élève m'a dit que mon discours sur la formation de leurs enfants l'avait beaucoup touchée. Elle s'est dit : "on voit que cette enseignante est faite pour ça et qu'elle n'est pas là juste pour son salaire". Elle a eu l'impression que l'avenir de leurs enfants me préoccupait vraiment. Je ne me souvenais même plus de mes paroles mais je sais que l'amour que je peux porter à mes élèves, c'est Jésus qui me l'insuffle et il m'a permis de transmettre cela aux parents. Pour moi, ça, c'est aussi témoigner de la présence de Jésus. De ce fait, tout le monde peut témoigner, tout le monde peut porter le Christ partout et en tous lieux, du moment que la sincérité, la joie de la foi transpire en nous. Il y a un enjeu plus important aujourd'hui qu’hier car les médias forgent l'esprit des citoyens et malheureusement, les médias ne parlent de la religion chrétienne que dans des sujets de controverse : le droit à l'avortement, la fin de vie, le mariage pour tous… C'est à nous, chrétiens de montrer un autre visage de l'Eglise !

 

A la frontière, au ban

Jacques Braem, prêtre à Pierrefitte / Stains, délégué diocésain pour la pastorale des Cités

L’interpellation du pape François sur l’annonce du Christ aux périphéries de l’Eglise résume assez bien une de mes préoccupations depuis que je suis séminariste, puisque c'est ce qui m'a poussé à choisir de m'engager dans le diocèse de Saint-Denis comme prêtre, c'est la caractéristique de ce département. J'ai fait un stage lorsque j'étais séminariste à la Mission de France pour m'occuper des milieux éloignés de l'Eglise, et ce qui m'a fait rester dans le 93 c'est justement qu'il n'y avait pas besoin d'aller ailleurs pour trouver ces « périphéries existentielles ». Le 93 est riche de ceux qui se sentent exclus ou du moins éloignés - à la périphérie - des moyens permettant une existence heureuse : le chômage, l'échec scolaire, les sans-papiers, domiciles, etc. sont légions chez nous. Nous les trouvons d'autant plus dans nos grands ensembles qu'on appelle cités. Dès le séminaire je me suis donc intéressé de très prêt au monde des cités, et depuis que je suis prêtre j'y ai toujours vécu… sauf depuis ma nomination à Stains comme curé.

Des périphéries plurielles
« Périphéries de l'Eglise » n'est pas la même chose que « périphéries existentielles » que je viens de nommer. « Périphérie » signifie être éloigné, à la frontière, mis au ban d'où le terme de [ban]lieue. La périphérie existentielle est se trouver éloigné de tout ce qui permet une existence prospère, heureuse, épanouie à cause de difficultés multiples. La périphérie de l'Eglise, c'est se trouver éloigné de la bonne nouvelle de Jésus Christ : d'un Dieu qui se fait Homme et nous invite à partager sa divinité qui est source d'Amour, de joie profonde, de paix … Dans le 93 les chrétiens sont souvent minoritaires, et certains se mettent en périphérie de l'Eglise tout en partageant la foi en Dieu parce qu'ils se sentent en décalage dans leur vie avec l'Evangile ou ce qu'il pense que l'Eglise demande à ses fidèles. Par exemple dans le domaine affectif avec des recompositions de familles, des expériences sexuelles non maitrisées, etc. ou encore dans le domaine des drogues, alcool, violence … Le décalage peut sembler à certains trop important pour se sentir à l'aise avec la morale de l'Eglise qu'ils n'arrivent pas à vivre ou ne le souhaitent pas. Sans oublier évidemment les autres religions, et les sectes nombreuses aussi chez nous avec l'interculturel. La culture des médias en France se met souvent volontairement en périphérie de l'Eglise, en la critiquant, en gardant ses distances avec la laïcité. Ce qui fait qu'il n'est pas évident de s'affirmer chrétien surtout pour des jeunes. Cela semble "has been" face à la culture d'aujourd'hui.

Où situer les « périphéries » ?
« Ma » périphérie à moi, ou plutôt celle que j'essaie particulièrement de rejoindre, est d'aller porter le Christ comme nous demande le pape François. Après avoir été engagé dans le domaine de la lutte contre la toxicomanie - en participant à l'association du père de Parcevaux plusieurs années -, c'est celui des cités. Ils sont même l'emblème du nom de Banlieue et souligne directement la périphérie. Mais plus que géographiquement, c'est celui de la vie sociale qui s'y trouve. Pour cela, je me suis formé à l'université afin de mieux comprendre ce type de périphérie qui se révèle un véritable boulevard périphérique ou tout s'entremêle comme sentiment d'éloignement et d'exclusion. Géographiquement, les cités sont très rarement au centre ville et se trouvent donc littéralement  en périphérie des villes, dépendant des transports en commun, de leurs horaires et trajets, en périphérie du pouvoir politique avec la mairie très éloignée. Les périphéries en cité se trouvent socialement puisque c'est l'interculturel  par excellence : on vit donc en très grande périphérie de son pays et de sa culture d'origine. Lorsqu'on est suffisamment nombreux cela peut créer cette tentation du communautarisme pour essayer d'y remédier, comme des petits îlots : « ici, c'est le quartier antillais, là-bas, malien, etc. » Périphérie aussi par les moyens d'existence pour ceux qui manque de l'essentiel : argent, travail, santé, connaissance de la langue, études, etc. Là, nous rejoignons cette périphérie existentielle ... Quel sens donner à notre vie lorsque se sent exclu des moyens d'existence ? Périphérie avec la justice, avec souvent le sentiment d'impunité pour les délinquants, les trafiquants, etc. qui font tout cela aux yeux de tous et rien ne semble les en empêcher. Périphérie politique avec ce sentiment pour beaucoup d'être des oubliés … rares sont les représentants de l'Etat, on ne demande pas l'avis aux habitants, trop peu de gens des cités dans les pouvoirs politiques, etc. même si la réhabilitation peut modérer ce sentiment pour certains.

Changer son regard, pardonner
Etre formé humainement et spirituellement peut être très utile pour s'y retrouver, inventer, et éviter de blesser des gens par ignorance. Et puis spirituellement, pour tenir le coup, avoir envie d'aller vers l'autre, pour changer son regard sur celui qui nous dérange, pouvoir pardonner. Aimer celui qui est différent et pense autrement. Le dialogue interreligieux demande un minimum de connaissance pour comprendre l'autre, trouver les bonnes occasions d'aller vers à l'occasion de certaines fêtes, par exemple. Et puis, si  nous voulons inventer de nouvelles manières de faire une formation peut aider à créer, c'est le principe de ceux qui se forment pour devenir ingénieur. Plus aujourd’hui qu’hier peut être à cause d'un durcissement de situation avec la crise, l'indifférence plus forte, moins de solidarité, des courants extrémistes qui font du prosélytisme, les chrétiens qui se sentent plus isolés, des jeunes qui ont davantage peur d'affirmer leur foi au Christ.

Ne pas garder la Parole pour soi

Françoise Loudun, membre de l’Action catholique ouvrière à Sevran

C’est de notre devoir de chrétiens d’aller annoncer l’Evangile autour de nous, de ne pas garder la Parole pour nous. Les « périphéries » ce sont ceux qui gravitent autour de nous, les personnes que nous rencontrons, dans notre travail, nos associations, nos voisins, notre famille, etc. Des personnes hors Eglise, d’autres religions, indifférents, athées, ceux qui ne vont pas souvent à la messe ou à certaines occasions, ou plus du tout. Je décrirais « ma » périphérie par la rencontre avec "l’autre", l’écouter ou parler. Les personnes me disent : « pourquoi tu fais tout cela, tu ne penses qu’aux autres, pense un peu à toi » ou « vous croyez, vous avez de la chance ! » Ecouter la Parole et la mettre en pratique « Vis ta foi par tes actes » (Saint Jacques). Dans mon association (RERS, Réseaux d’échanges réciproques de savoirs), les rencontres avec les personnes venus de tous pays m’enrichissent, comme je peux leur apporter, ne serait-ce qu’un peu de français, cet échange de savoirs, se sentir utile, l’ouverture à l’autre pour mieux le connaître, … est-ce cela la bonté que le pape François nous demande, de ne pas avoir peur de la tendresse ? Le lien social est important pour mieux vivre ensemble et ne pas avoir peur de "l’autre".

Se nourrir humainement et spirituellement
Certains chrétiens sont doués pour parler de Jésus autour d’eux ou par leurs actes faire comprendre que c’est Jésus qui les pousse à agir. Ou d’autres doués à l’écoute. D’autres encore, comme moi-même, ont besoin de se former. Des formations se font sur notre diocèse et sur nos villes. Il est préférable d’avoir une certaine connaissance de l’Evangile, de la Bible, de Vatican II, des écrits de notre pape ou de notre évêque. Cela ne suffit pas d’aller à la messe seulement ou de prier ! Le plus important, c’est de faire entendre, écouter, comprendre les homélies ou la prière universelle pour apporter la Bonne Nouvelle aux périphéries, c'est-à-dire là où nous sommes dans nos lieux de travail, famille, voisinage, associations, … même à l’intérieur de l’Eglise.
Ce peut être tout simplement avec les rencontres de « chrétiens en cités », où nous nous asseyons, pour parler autour d’un texte, en partageant nos vies ou des événements de la cité ou de la ville, c’est un lieu de rencontre avec Jésus qui partage notre vie et nous éclaire. Il nous nourrit mutuellement.

Ouvrir nos portes, sortir de soi-même
Certains chrétiens sont trop "personnel", ce qu’on appelle "individualiste". Ils prient pour eux et leur famille en restant sur eux-mêmes, sans aller vers les autres. Pourtant par le « Notre Père », nous sommes tous frères, le lien par Jésus, cela devrait être de la solidarité entre nous. Pas seulement entre chrétiens mais au-delà.

Les gens s’éloignent de l’Eglise par indifférence, manque de temps, trop de soucis… ou rejoignent d’autres églises plus ou moins sectaires. L’enjeu est peut-être que nous ne sommes pas visibles dans la société si nous ne parlons pas de notre foi ou si nous ne nous comportons pas comme chrétien - je pense toujours à la lettre à Diognète. Nous rencontrons beaucoup de musulmans, visibles par leurs vêtements. Nous, chrétiens ne devons pas nous cacher. « Notre mission est de transformer ce monde, selon l’esprit du Christ, pour qu’il soit plus vivable, plus humain plus conforme à l’Evangile. Nous devons travailler avec tous les hommes de bonne volonté à l’accomplissement du projet de Dieu, d’unifier tous les peuples et tous les individus dans la paix, la justice et l’amour pour que ce monde accueille dès maintenant le royaume de Dieu qui vient à nous à tout instant. » (Faire bouger l’Eglise catholique du P. Joseph Moingt). Mais nous devons faire attention de ne pas confondre prosélytisme et proximité, c'est-à-dire ne pas obliger de se convertir et seulement parler à nos proches des bienfaits de croire en Jésus-Christ ressuscité qui est parmi nous et que nous pouvons « apprendre à vivre ensemble, non pas malgré nos différences mais avec nos différences » (P. Christophe Roucou), donc à vivre en paix côte à côte et surtout apprendre à se connaître pour pouvoir vivre en fraternité.  Laisser la liberté et  se garder de toute méchanceté. Le salut est pour tous. Il suffit de témoigner de l’Amour de Dieu par nos actes. Ce n’est pas toujours facile de ne pas agir différemment selon les personnes ! Transmettons la joie de la foi, pour transformer nos vies, en nous aimant les uns les autres et en sachant pardonner.

Semer la joie, la paix et l'amour en tout lieu

Jean-Philippe Etienne, à l’aumônerie étudiante de l’université Paris 8 Saint-Denis

L'interpellation du pape François : « N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent » m'invite à réfléchir et à comprendre qu’un chrétien a pour devoir de semer la joie, la paix et l'amour en tout lieu. Chercher à aider nos frères et sœurs en les faisant vivre la parole de Dieu. Cette Parole qui est source de vie et de bonheur. Et moi personnellement, Dieu a fait beaucoup de merveilles dans ma vie. C'est pourquoi, je demande à Dieu de m'aider à vivre ses paroles dans ma vie.

Témoigner du Christ sans crainte

Jessy Martel, suit le parcours de l’Année Saul

Le pape François nous demande de témoigner du Christ. Ne pas avoir peur des moqueries des autres, lorsque l'on parle du Sauveur. Jésus a été moqué, lorsqu'Il était sur terre. Les périphéries existentielles peuvent être représentées par des personnes qui ne font pas partie de nos familles ni de nos amis proches. Pour témoigner, il ne faut pas rester enclaver. Aller de l'avant sans avoir peur de dire ce que Jésus a fait pour moi, sur le plan spirituel ou autre. Dans l'Évangile, le Christ nous dit de témoigner de Lui, de ne pas avoir de crainte. Dans Saint Luc (12, 8-9) : « Je vous le dis, quiconque se sera déclaré pour moi devant les hommes, le Fils de l'homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu ; mais celui qui m'aura renié à la face des hommes sera renié à la face des anges de Dieu. » Le pape nous encourage à être vraiment les disciples du Christ !

Déplacement et conversion

José Quazza, responsable de Chrétiens Sida 93

« Evangéliser suppose pour l'Eglise l'audace de sortir d'elle-même. L'Eglise est appelée à sortir d'elle-même pour aller vers les périphéries, non seulement géographiques, mais aussi les périphéries existentielles : celles du mystère du péché, celles de la douleur, celles de l'injustice, celles de l'ignorance et de l'absence religieuse, celles de la pensée, celles de toute misère ». Ce sont les mots même du pape François le Jeudi saint. Ils résonnent en nous tous et nous pouvons allonger ces champs périphériques dans lesquels peuple de Dieu, Eglise, nous avons à œuvrer. Pour avoir ce courage de sortir de mes certitudes, de mes intérêts, pour oser parler avec ceux qui ne pensent pas comme moi, il m'est absolument nécessaire de m'abandonner et de prendre le temps de discerner. M'abandonner car, par la foi, je sais que c'est au travers de mes défauts et de mon péché, au-delà de mes peurs et de mon désir de bien faire que Dieu agit. Alors se poseront les bases d'un changement profond et efficace. On parlera même de déplacement, de conversion.  Comment inventer les gestes opportuns pas toujours grands, forts ou visibles dans des lieux où le langage est autre ? Quelle attitude pour me laisser décentrer de moi-même et être « hors de moi » ?

Périphéries… prière
N'oublions jamais que dans les lettres de « périphéries » il y a celles de la prière… temps, pour moi indissociable de la vie confrontée à l'Evangile et du discernement. Quand il s'agit d'accueillir une personne séropositive, précarisée, et de cheminer avec elle, oserai-je descendre dans sa nuit sans m'y perdre : les pas de Dieu sont ceux de tous les blessés mais aussi les miens. Je ne le sais pas toujours. Quelle parole d'amour, de réconfort voire quel silence témoignera de cet amour inconditionnel du Père pour chacun de ses enfants ? Et pour cette jeune femme contaminée au VIH qui n'a plus que son corps comme moyen pour survivre, aujourd'hui en France, comment amorcerai-je quelque chose de bon pour elle et… pour moi ? Quelle sera l'annonce à travers moi ? Oser se tromper, tomber et recommencer !

A notre tour d'ouvrir les vannes
Il faut inventer des "mots" pour soigner les "maux". J'ai ainsi découvert, après bien des discussions houleuses, que parler de l'accueil des homosexuels en paroisse est ressenti par eux comme une discrimination… Ils sont Eglise au même titre que nous, alors trouvons des gestes d'amour, appropriés à chacun, comme ils en existent dans toute famille, mais libérés de leurs pratiques et de notre… malaise. Quand il s'agit d'élaborer une stratégie de défense d'un jeune majeur étranger, comment permettre à l'esprit de chacun des "militants" de rester suffisamment ouvert pour entendre, au-delà des mots, tous les signes d'alliance et, pour moi, accepter, jusque dans la joie, des compromis improbables ? C'est ça la "responsabilité fraternelle" parce que vécue comme un service sans "cœur anesthésié". N'ai-je pas aussi, en tant que femme, le devoir de redonner toute leur place au doute, à l'incertitude, au temps, au-delà des sacro-saintes efficacité et utilité ? Comme beaucoup, j'ai éprouvé dans ma chair l'attente, le mystère, la promesse mêlés d'obscurité et de clarté ; n'ai-je pas à permettre cette respiration liée à la pause ? Il m'apparait urgent d'ouvrir de nouveaux espaces aux hommes et femmes que nous rencontrons et en nous-mêmes pour qu'ils soient ouverts à Dieu. Par son sourire le pape François me semble ouvrir les cœurs, à notre tour d'ouvrir les vannes.

Des pauvres qui ne comptent pas

Daniel Houry, prêtre sur le secteur du Plateau

Les grandes villes d'Amérique Latine sont entourées d'une "ceinture de misère" (cinturon de miseria), des sortes de bidonvilles où s'entassent des pauvres, des paysans et des indigènes venus tenter leur chance en ville. Pas d'écoles, pas de dispensaires ! Ces quartiers forment la "périphérie", la banlieue, dirions-nous. Dans l'esprit de Medellin et devant la présence massive de ces pauvres qui ne comptent pas, l'Eglise a fait un gros effort pour être présente dans ces secteurs. Et sont nées des communautés chrétiennes bien vivantes et fraternelles. Il a fallu une volonté ferme d'aller dans ces nouveaux quartiers en pensant que l'Esprit du Seigneur agissait là-aussi !

En France, on peut se demander : n'y a-t-il pas des périphéries ? Pas toujours aussi nettes et tranchées qu'en Amérique, mais bien réelles. Des quartiers ou des secteurs de vie ou des ethnies absents de nos préoccupations d'Eglise… Les nouveaux bidonvilles, mais aussi des hôpitaux, des hôtels sociaux, etc. où vont seulement quelques "spécialistes", des rues turques, arabes ou chinoises…

Les personnes qu’on ne voit pas
C'est vrai que j'ai du mal à aller vers l'inconnu. Il me faut toute la force de l'Evangile pour sortir des sentiers battus et aller à l'aventure vers les autres. Je pense aux gens du voyage près de chez moi. J'ai dû faire un effort pour aller les voir. On ne les "voit" pas ! Et ils m'ont accueilli chaleureusement… Je pense aussi aux personnes âgées en maison de retraite qu'on cache souvent. Et pourtant quel dynamisme elles montrent lors de nos messes, même si l'âge et la maladie limitent leurs mouvements !... Et aussi les nouveaux arrivants dans nos quartiers qui viennent loger dans de nouveaux immeubles. Je cherche à aller à eux.

Il faut être convaincu que l'Evangile est vrai, que je peux aller vers ces inconnus et qu'ils sont vraiment mes frères et sœurs. Je vais chercher à les connaître, à les comprendre et à les aimer. Et puis, avec eux, nous poursuivrons le dialogue. Ce dialogue commence toujours d'une manière un peu maladroite, mais on note vite que certains s'intéressent à l'amitié que nous leur offrons. Et, le moment venu, nous pourrons dire une parole de foi qui sera une lumière pour eux comme pour nous. « Allez, sans peur, pour servir ! », disait le pape François aux JMJ de Rio.

Poussé par le souffle de l'Esprit
Cette attitude est d'autant plus importante que nous avons la tentation du repli sur soi. Nous avons du mal à communiquer avec des gens qui ne sont pas de notre ethnie, de notre culture ou de notre religion ! Cela se voit dans la constitution de quartier par niveau social ou ethnique. Cela se voit aussi dans nos paroisses où les habitués côtoient souvent les nouveaux arrivants sans vraiment les voir. Se laisser bousculer par ces personnes inconnues de nous n'est-ce-pas se laisser pousser par le souffle de l'Esprit ?

En chemin avec les Roms

Sr Annette Brenckle, du collectif Roms et Gens du voyage

- Ici nous ne sommes rien… nous sommes la poubelle de la France (Stela)
- On nous prend pour des animaux (Ciprian)
- Les Roms, on n’en veut pas ! (voisins du bidonville)

Ces quelques réflexions et d’autres ne situent-elles pas d’emblée les Roms aux périphéries vers lesquelles nous envoie notre pape François, en fidélité à l’Evangile ? Ce « rien » exprimé par Stella, m’a entraîné sur un chemin de proximité avec les Roms, une proximité qui se vit au jour le jour, à travers des petits pas, les miens et les leurs.

Pour le moment, en lien avec l’association Coup de Main, j’accompagne huit familles hébergées à la passerelle, boulevard Anatole-France, à Saint-Denis. Avec les intervenants auprès de ces familles, j’ai la chance de relire les bouts de chemin parcourus par les uns et les autres… Maria devient plus autonome : elle va désormais seule à la PMI  avec ses enfants ; Claudia retisse une nouvelle relation avec ses enfants, placés chez une assistante maternelle ; Alina et Camelia vont maintenant régulièrement à l’école ; après un temps de précarité, Costel vient de signer un CDD ! Cette relecture me permet aussi de me renouveler dans la confiance donnée et parfois éprouvée au quotidien.

Capables de réussir, de s’en sortir
Ma plus grande préoccupation, c’est de leur faire retrouver l’estime d’eux-mêmes et de valoriser chacun des actes ou chacune des attitudes où ils se prennent en main. A chacune de ces avancées, je voudrais leur exprimer ma conviction qu’ils sont capables de réussir, de s’en sortir. Je voudrais leur dire qu’ils comptent pour moi et qu’ils comptent surtout aux yeux de Dieu.

Aimer plutôt que juger

Katrine Ion, Rosny-sous-Bois, en Action catholique ouvrière (ACO)

C'est pour moi autour de l'église, du plus prêt au plus loin, comme des cercles concentriques, comme les ronds dans l'eau, qui se font de plus en plus grands. On cherche souvent à faire venir dans nos églises, sans doute faut-il le faire, mais je crois que cela ne nous dispense pas d'aller vers les personnes qui ne connaissent pas Dieu. Je pense souvent aux personnes timides pour qui rencontrer des inconnus est une épreuve. Pour eux, l'église, la paroisse, la communauté représente un groupe, des personnes qui semblent bien se connaître, et il est toujours difficile de percer la paroi d'un groupe. Je pense aussi aux personnes qui n'ont pas la foi, non par rejet mais par méconnaissance, elles n'ont pas eu la chance de naître dans une famille chrétienne ou de croiser les personnes que nous avons rencontrées, et grâce à qui notre foi s'est éveillée. En pensant à ces deux "échantillons" de nos contemporains, j'ai plus envie de les aimer que de les juger, et donc d'aller vers eux, au delà de ma propre timidité, et de mes connaissances imparfaites (Pour les questions difficiles, je peux toujours dire je vais chercher). Dans mes relations personnelles, je ne suis pas prosélyte, j'essaie plutôt de saisir les occasions qui se présentent. Au travail, je me souviens d'une collègue avec qui nous partagions le bureau… et plus, qui a ma grande surprise m'a dit un jour "si j'habitais plus prêt, j'aimerais bien venir à vos réunions" (équipe d'ACO). Dans la famille, c'est une cousine malade avec qui, entre les visites, j'ai pris l'habitude d'échanger des petits courriers, de répondre à ses questions… elle a été baptisée en maison de repos.

Noël autrement
J'aime bien aussi "aller aux périphéries" avec d'autres. C'est ce que j'ai la chance de vivre à Rosny-sous-Bois dans deux expériences. D'abord le marché de Noël. En Mission ouvrière, quand nous avons vu la ville organiser un "Marché de Noël", nous nous sommes dit que nous y avions notre place en tant que chrétiens, une certaine légitimité, à cause du mot "Noël". Nous avons demandé un stand gratuit, et l'avons obtenu. Depuis 10 ans, l'objectif du stand "Catholiques de Rosny" est de donner message d'espérance (2 500 exemplaires) et d'entrer en dialogue avec les passants qui le souhaitent. Notre foi est parfois interrogée, au regard de vécus difficiles « ma mère m'a abandonnée à l'âge de 9 mois… » Le projet a évolué, d'autres ont voulu nous rejoindre, et le message était signé cette année « des chrétiens, membres de différents mouvements d'action catholique ». Nous vendons des crèches, livres sur Noël, bougies du Secours catholique, mais nous proposons aussi Noël autrement, la gratuité. Cette année, nous avons proposé d'écrire sur place des cartes de vœux aux détenus de la prison de Villepinte que nous avons fait transmettre par l'aumônerie. Nous avons envoyé plus de 100 cartes. On peut lire sur l'une des cartes : « En ces temps de fête, je pense particulièrement à ceux qui sont loin de leur famille. Je pense à vous, je suis chrétienne et prie Dieu pour vous ». Autre exemple, la distribution d'un message de sympathie, avec des textes bibliques et d'autres profanes sur le deuil à la porte des cimetières à la Toussaint. Sauf de rares refus polis, l'immense majorité des gens reçoivent avec plaisir nos messages et notre présence.

Oser davantage
Nous avons toujours voulu nous préparer à ce temps de rencontre du marché de Noël, entre "distributeurs" pour aborder les passants sans qu'ils se sentent agressés, évoquer les questions d'actualité qui pourraient nous être posées, et prier ensemble.

Différents textes nous ont guidés : « Réveille les sources de l'eau vive qui dorment dans nos cœurs »… « Les soixante douze revinrent tout joyeux »… « Heureux êtes-vous de voir ce que vous voyez… » Nous aimons aussi en reparler, pour nous réjouir ensemble, et oser davantage ce type de démarche dans le quotidien. Dans ces initiatives, nous nous sentions en phase avec les orientations diocésaines de Chemins d'avenir « être une Eglise proche des hommes et des femmes de ce département ». Nous nous sentons maintenant encouragés par le pape François. Cela augmente notre joie d'aller à la rencontre.

Notre société avance, les périphéries s’élargissent

Sr Marie-Odette Ravaonirina, religieuse de La Salette à Neuilly-sur-Marne

L’appel du pape François est un appel qui n’est possible qu’avec la foi. Humainement, cela demande beaucoup de confiance en soi et aux autres pour aller « jusqu’aux périphéries existentielles ». « Porter le Christ », veut dire d’abord qu’il est avec moi, en moi. Le fait d’être chrétien est un choix libre. Et ce choix qui m’engage à un devoir d’ouvrir le cercle de relation aux autres, et d’accepter de me laisser déranger. J’appartiens à une Église par mon baptême et je suis l’Église en quelques sortes. Les périphéries sont ceux qui sont différents de moi : religion, santé, travail, pouvoir, fragilité, âge et condition humaine.

Le risque, la rencontre, l’aventure, le changement de regard…
Il y a 6 mois, en traversant une rue à Paris, Akthar, après avoir dit « bonjour », m’a posé des questions sur ce que je faisais, sans savoir qui j’étais. Dans un premier temps, comme il sentait l’alcool j’ai eu peur. Comme il a continué à me parler de ses souffrances, il y a eu un déclic en moi qui m’a arrêtée pour l’écouter. Je me suis assise près de lui pour parler. Sa première phrase, tout en pleurant, Akthar me l’a répétée plusieurs fois : « Vous êtes la première personne qui m’écoutez, merci ! ». Pendant notre échange qui a duré deux heures, j’ai appris qu’il avait laissé ses enfants dans son pays d’origine (Pakistan), pour travailler en France. La confiance entre nous s’est installée très vite. Il m’a partagée son cheminement en France depuis 25 ans, le problème conjugal qui les amenait au divorce depuis quelques temps, sa santé très fragile qui l’obligeait d’arrêter son travail. « Je suis dans la rue depuis 6 mois. Cette nuit, j’étais à Vincennes et aujourd’hui, je suis ici » m’a-t-il dit. Je n’avais pas grand chose à lui dire mais je savais qu’il avait besoin de quelqu’un pour l’écouter, pour le comprendre. Il était important qu’il puisse s’exprimer librement.

  

Par cette rencontre, l’un et l’autre avons pris le risque d’aborder un inconnu, d’entrer en relation sans préparation. L’hébergement d’hiver dans les locaux de la paroisse m’a beaucoup aidée pour ce regard envers ceux qui sont dans la rue. Selon sa demande, je lui ai laissé mon numéro de téléphone avant de nous séparer. En rentrant, cela me faisais mal de penser qu’il était dans la rue. Depuis, j’essaie de l’appeler le plus souvent possible pour prendre de ses nouvelles. Il est dans la joie à chaque fois que je l’appelle : « j’ai le moral quand je parle avec vous ! » me dit-il. Je suis contente de pouvoir soutenir moralement quelqu’un différent de moi. J’ai partagé ces échanges à ma communauté et je présente au Seigneur dans ma prière de tous les jours, Akhtar et sa situation.

Pour annoncer le Christ aux périphéries de l’Église, on a besoin de préparation et de formation. Mais peut-être l’expérience, soit humaine, soit spirituelle, comptent beaucoup aussi. Cette expérience qui nous ouvre à la disponibilité d’accueillir toutes les situations et de pouvoir aider quelqu’un à trouver l’essentiel, selon le cas. Plus l’évolution de notre monde et de notre société est avancée, plus les périphéries s’élargissent !

Une offrande dans la gratuité

Sr Véronique Boucher, Fraternité Franciscaine de Marie, acc. de catéchumènes à Clichy-sous-Bois

Dans une relecture d’un vécu dans certaines périphéries de l’Eglise - en prison, dans les milieux éthiques, en aumôneries d’hôpital, en catéchuménat…-, je peux dire que cette invitation du pape François qui m’étais faite, je l’ai écoutée un peu à la manière de saint François quand le Seigneur lui a demandé de reconstruire son église : il s’est mis avec beaucoup d’enthousiasme à rebâtir la petite église délabrée de San Damien. Mais très vite parce qu’il s’est "exposé" devant le Seigneur, il a senti que derrière cet appel quelque chose d’autre lui était dit : derrière cette petite église, le Seigneur lui parlait de celle de Dieu pour les hommes, son Eglise. Appelée à rencontrer toute personne en ces lieux pour être signe de la présence de Dieu, j’ai fait très vite, dans l’expérience concrète de l’annonce, de la rencontre, dans la relecture des événements, dans la prière et dans une vie eucharistique, l’expérience que je ne peux pas éviter d’être interpellée moi-même par ce que je vis en ces lieux, à la périphérie de l’Eglise.Des espaces de vie en l’Homme créé à l’image de Dieu.

C’est une invitation qui me renvoie à visiter les propres périphéries de tout mon être, au plus profond de mes zones d’ombres qui sont plus loin, plus indifférentes au Christ… et je crois ne pouvoir continuer à répondre à cet appel que si je me laisse d’abord toucher et transformer moi-même par la présence de Dieu dans la rencontre de l’autre, dans l’annonce de la Bonne Nouvelle qui m’est faite par l’Eglise… Cette invitation est peut-être plus palpable encore dans des lieux qui me sont plus étrangers, là où je pourrais croire que Dieu est absent, aux périphéries de l’Eglise. Les périphéries de l’Eglise sont ces espaces de vie en l’Homme - créé à l’image de Dieu - qui sont "capacités de Dieu" mais qui n’ont pas encore été exposés à l’Amour, à la Bonne Nouvelle. Tout Homme est concerné ! Je suis concernée  par mes propres capacités non visitées par l’amour. Pour partir vers ces périphéries, il me faut sortir de moi-même, de mes certitudes, de mes sécurités, de ce que je connais, de croire que l’autre peut m’apporter quelque chose, que l’autre porte Dieu quoiqu’il fasse, quoiqu’il pense. Il me faut accepter également que l’autre et l’Autre viennent à la périphérie de mon être à son tour.

L’évangile de la Samaritaine
L’essentiel est d’accepter de se laisser travailler par ces rencontres au plus profond de son être de fils et fille de Dieu et frère et sœur de Jésus et de l’autre rencontré et cela dans la bienveillance et la douceur pour soi-même et pour l’autre. C’est un chemin exigeant, de conversions : c’est ce que nous dit François d’Assise dans son propre chemin de conversion qui a suivi la reconstruction de la petite église. L’évangile de la Samaritaine (Jean 4) nous dévoile toute la pédagogie de Jésus pour rencontrer l’autre, l’étranger, le différent… celui qui est à la périphérie. Elle peut nous aider dans cette annonce que nous sommes invités à vivre. Et puis ce qui me semble essentiel également c’est de le vivre avec d’autres en se laissant éclairer ensemble, en Eglise par l’Esprit des Actes des Apôtres : Paul, Pierre et bien d’autres peuvent nous y aider, eux qui sont allés à la périphérie de Jérusalem… En aumônerie d’hôpital, je suis invitée parfois à rencontrer des parents qui se posent des questions de savoir s’ils vont garder leur enfant après un diagnostic prénatal qui a révélé une possible malformation du petit être que la maman porte. C’est un parcours difficile et éprouvant pour eux que de réfléchir à cette décision. Ils sont entourés, informés et aidés par les médecins et d’autres spécialistes de la question. Dans leur discernement, ils désirent avoir l’avis de l’Eglise. Il est important pour moi de bien posséder la question qui se pose là, de connaître ce qu’en dit l’Eglise et de se faire proche de ces deux personnes en souffrance dans la bienveillance et le non jugement et leur permettre ainsi d’agir librement avec leur conscience. Quand je relis cette éclairage, il me semble qu’il est simple de le dire mais bien plus difficile de l’accompagner jusqu’au bout dans la justesse et en vérité…

Aller à la périphérie nous expose au concret de la vie
L’appel vers les périphéries de l’Eglise sont un signe des temps qui rejoint l’appel de beaucoup d’hommes en quête de sens pour leur vie, de plus de justice, de paix, de liberté, de respect, de communion… cela quelles que soient leurs histoires et d’où ils viennent. Aller à la périphérie nous expose au concret de la vie, à sa réalité dans les questions économiques, sociales, familiales, multiculturelles et cultuelles, éthiques, de conflits, des questions qui touchent la vie, la mort, etc. où Dieu est peu présent ou présent autrement. Mais aussi à creuser sa présence en ces lieux et à s’en imprégner dans un mouvement de conversion de ce qu’Il nous dit pour mieux aimer et cheminer dans l’aujourd’hui de l’histoire du Salut. Et c’est ceux que je rencontre en périphérie qui m’y appellent, m’évangélisent sans le savoir et me poussent à approfondir un chemin personnel afin de témoigner donc de l’Amour dans une plus grande vérité. Cela ne veut pas dire que ces personnes sont loin de moi physiquement mais qu’elles le sont dans une relation où Dieu est absent : « …je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits… » (Mathieu 11, 25-28)

La fécondité d’une rencontre vient de l’autre
C’est peut-être aujourd’hui une invitation, comme je l’entends de la bouche du pape François, à aborder la mission avec ce « dynamisme de la périphérie, de l’approfondissement », une invitation à aller plus loin, à dépasser le superficiel, la première annonce, à aller aux profondeurs de cette Bonne Nouvelle qui s’est incarnée ces jours ci, à écouter ce que nous dit l’Esprit dans notre monde d’aujourd’hui que l’on dit déchristianisé. Ce n’est pas l’efficacité qui est en jeu ici mais une attitude d’accueil qui attend de recevoir : la fécondité de cette rencontre vient de l’autre. C’est une invitation qui touche la mission mais aussi notre propre chemin spirituel : aller à la périphérie demande l’unité de tout son être saisi par cette dynamique de l’Amour incarné en tout homme. Aussi est-ce plus pour moi, une manière de vivre qu’une simple mission à laquelle je suis envoyée. C’est un investissement certain de tout mon être de chrétien. Aussi, ce n’est pas seulement un enjeu pour notre Eglise que de répondre à cette invitation aujourd’hui, que de croire que notre salut dépend de cette rencontre avec l’autre qui a soif de sens, d’amour, de relation, de vérité, de paix… mais aussi une chance d’entrer et d’approfondir toujours un peu plus le mystère de la Révélation qui est également présent aux périphéries ; Jésus n’est pas né à Jérusalem mais dans une petite ville de Judée, à l’hôtel mais dans une mangeoire avec les plus petits, les rejetés, les infréquentables. En relisant ces quelques lignes une parole que le Seigneur a adressée à notre fondatrice Marie de la Passion revient à ma mémoire : « Je ne te demande pas de réussir mais de t’offrir ». Annoncer le Christ aux périphéries de l’Eglise est une attitude d’offrande dans la gratuité de la rencontre de l’autre.

Vivre sa foi avec confiance

Marie-Anne Etoundi Ambanga, à l’aumônerie étudiante de l’université Paris 8 Saint-Denis

La phrase du pape François à porter le Christ aux périphéries nous invite à vivre notre foi partout où nous nous trouvons. Etre chrétien ne doit pas être une honte pour nous, ni pour les autres. En France, avec la montée de l'islam, l'affirmation de l'identité religieuse islamique et en fonction des milieux que nous fréquentons, il est très difficile d'affirmer sa croyance. Dans le milieu étudiant par exemple, les musulmans affirment plus facilement leur foi que les chrétiens catholiques que je connais. Je pense que nous devons suivre leur exemple. Pour ma part, je n'ai pas besoin de dire que je suis croyante mais les personnes qui me fréquentent le devinent tout naturellement par mes actes et mes actions. J'ai vécu les JMJ en France dans un petit village d’Ardèche appelé Lalouvesc, nous avions tous les matins une catéchèse. J'ai été particulièrement touchée par cette phrase de saint François de Sales « Ne parle de Dieu que si on t'interroge mais vie de sorte qu'on t'interroge ». Pour moi, c'est la meilleure façon de vivre sa foi avec confiance.

La pensée et le savoir
Le pape ajoute de na pas laisser les autres êtres acteurs du changement… Pour moi cette phrase est celle qui doit guider nos actions et notre vie. Chacun de nous peut à son niveau participer au changement. Il ne s'agit pas de révolutionner le monde mais le meilleur changement est celui de la pensée et du savoir. Le pape nous invite, nous les jeunes, à mener des petites actions même bénévoles qui peuvent ou pas entraîner un changement chez les autres. Il peut même s'agir d'une simple parole de soutien ou de prise de conscience. Avant les JMJ, j'étais déjà acteur du changement au sein de ma paroisse. J'ai fait partie de l'équipe d'animation paroissiale pendant trois ans et responsable du groupe d'aumônerie 4e/3e pendant deux années. Ces responsabilités m'ont fait grandir dans la foi et participé au changement dans ma paroisse ainsi que dans les échanges avec les jeunes. J'ai aussi pendant près de trois ans été bénévole au CCFD-Terre Solidaire à participer à des temps de sensibilisation grand public. Je pense que ces petites actions, chacun d'entre nous est capable de le faire.

Difficile à mettre en pratique seule

Nadine Goncalves, suit le parcours de l’Année Saul

Je reçois cette interpellation de porter le Christ en tout milieu de manière claire mais difficile à mettre en pratique à mon seul niveau. Cependant, j'essaie à travers mon groupe de paroisse et l'engouement de certains jeunes de les lancer sur des nouvelles idées, des actions nouvelles qui cassent un peu nos habitudes quotidiennes. Cela provoque dans notre vie de foi un élan de solidarité, l'envie de rejoindre notre groupe, et renforce notre foi comme par exemple lorsque nous organisons des rencontres inter-groupes ou lors de veillée de prière qui renforce la cohésion du groupe par cette communion et la force de nos prières. Pour casser la barrière "vieux-jeunes", nous essayons de prendre des initiatives réunissant les anciens de nos paroisses et nous, nous animons les messes et les invitons à un pot après la messe. On compte les inviter à nos réunions mensuelles. Nous avons partagé une veillée de prière avec un groupe d'adoration pendant l'Avent. Ce sont toutes ces petites choses qui nous permettent de casser cette barrière et de nous enrichir l'un et l'autre.

Ne pas se laisser décourager par l’échec
Le pape nous pousse à agir, à ne pas laisser les autres se bouger mais bougeons nous à tous les niveaux, et ne restons pas spectateur mais soyons plutôt acteur si l'on veut faire changer les choses. Il ne faut pas se laisser décourager par l’échec et toujours se relever, allez à la rencontre des autres ; être attentif au voisin, oser le changement ne serait-ce que par des petites choses qui paraissent insignifiantes. Il faut oser le dialogue avec les personnes d'autres religions, se préoccuper de personnes seules et isolées en rendant visite à domicile (un projet pour cette année), rassembler le temps d'une journée ou une soirée l'ensemble des paroissiens de différentes églises d'Aulnay.

Repères

Dans la Bible

Les Actes des Apôtres (l’élan missionnaire des premières communautés)
Le Livre de Jonas (un prophète face à sa mission)
Les lettres de Saint Paul (infatiguable évangélisateur, apôtre des nations)
 

Concile Vatican II (1962-1965)

Lumen gentium (Lumière des nations)
Gaudium et spes (L’Eglise dans le monde de ce temps)
Ad gentes (Activité missionnaire de l’Eglise)
 

A lire…

Evangelii gaudium (La joie de l’Evangile), pape François (24 novembre 2013)
Transmettre la joie de la foi !, Mgr Pascal Delannoy (9 octobre 2013)
La nouvelle évangélisation, Mgr Rino Fisichella, éd. Salvator, 2012
La nouvelle évangélisation à ceux qui s’interrogent, de Jean-Pierre Roche, éd. de l’Atelier, 2013
Chemins de fraternité, Au service du bien commun, A la rencontre du frère venu d’ailleurs