Prêtres aînés, nous sommes (N°45 / Mai-Juin 2019) — Diocèse de Saint-Denis-en-France

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Prêtres aînés, nous sommes (N°45 / Mai-Juin 2019)

Dossier diocésain

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Le nombre de nos années ? soixante-dix, quatre-vingts pour les plus vigoureux ! Leur plus grand nombre n’est que peine et misère ; elles s’enfuient, nous nous envolons. (Psaume 89, 10)


Mardi Saint 2019 (c) F. Migeon CIRIC

 

Une nouvelle étape de ma vie
Quel regard sur les prêtres aînés ?

J'aime rencontrer les personnes et cela remplit ma vie
La vieillesse est une école d'humilité !
J'ai bien de la chance !

Les prêtres aînés sont nos "sages"

Repères

 

Une nouvelle étape de ma vie

À 75 ans, je suis entré dans une nouvelle étape de ma vie, souvent appelée à tort « prêtre en retraite » … Voici d’ailleurs ce que j’entends régulièrement : « tu es un prêtre à la retraite, donc tu ne fais plus la messe, tu ne baptises plus ? » ; « on pensait à toi pour le baptême de notre enfant, est-ce possible en retraite ? » ; « normalement à la retraite, on ne travaille plus ! Toi aussi, ou tu continues encore un peu ? » A vrai dire, je n’aime pas du tout l’expression de prêtre en retraite. J’ai été ordonné prêtre pour toute la vie. Pour l’essentiel, je suis et resterai prêtre jusqu’au dernier souffle de ma vie.

« Prêtre aîné », je ne fais pas la politique de l’autruche ! Je suis entré dans une étape de ruptures. J’ai été en responsabilité de décision et conduite pastorale, et je ne le suis plus. Je vis des moments de lassitude, des fragilités de santé, des dépendances progressives ou subites, mais heureusement j’ai le soutien de l’équipe de l’entraide sacerdotale qui accompagne les prêtres qui le désirent. Moral, santé, mais aussi la perte de plus en plus fréquente de personnes de ma génération.

Des énergies nouvelles

De fait, même si j’ai encore du temps et si je ne suis vraiment pas pressé, je suis assez lucide pour reconnaitre que je me rapproche davantage de la fin de ma vie, que de ma naissance…  Or très précisément, je pense exactement le contraire ! Résolument, je situe ma vie humaine et spirituelle du côté de la naissance, avec ces quelques points de repère :  à quelles personnes, quels groupes et événements m’est-il donné de naitre aujourd’hui ? A quelles responsabilités nouvelles m’est il donné de naitre et de choisir aujourd’hui ?

« Au cœur de ce monde, le souffle de l’Esprit met à l’œuvre aujourd’hui des énergies nouvelles », chantons-nous lors des célébrations. De quelles énergies nouvelles, suis-je aujourd’hui témoin personnellement et en Église ? À quels gestes de renoncement et de vie suis-je invité, pour accueillir la Pâque de Jésus ? Ainsi, je continue à naitre : avec les temps de la prière ici, comme à Tibhirine en Algérie, où je m’y rends régulièrement, en lien avec nos frères algériens musulmans ; avec le temps des sacrements et l’écoute de la parole de Dieu ; avec les moments magnifiques en famille et entre amis ; avec de nouveaux engagements comme celui de Amnesty international et les moments tout simple de gratuité et de repos… À 80 ans, on a tout de même le droit de se faire plaisir !

En Église, naître et renaître en Jésus-Christ

Il m’est donné en Église de naître et renaître avec la vie paroissiale à Bagnolet, les Mouvements de la Mission ouvrière et ceux de la solidarité, l’accompagnement des catéchumènes vers les sacrements d’initiation chrétienne, les équipes de quartier qui se rassemblent pour partager leur vie et leur foi, sans oublier mes amis les gitans et ceux du cirque. Merci à tous, « frères ainés » et ceux plus jeunes, de me donner la joie de plonger avec vous dans l’eau baptismale, pour naître et renaître en Jésus-Christ, dans le souffle de l’Esprit.

Patrick Morvan,
Prêtre aîné à Bagnolet

 

Quel regard
sur les prêtres aÎnés ?

Le savez-vous, un prêtre cesse sa responsabilité en paroisse à 75 ans, on est loin de la retraite à 60 ans… Mais il demeure prêtre jusqu’au bout ! Que devient-il alors ?

Beaucoup de prêtres font le choix de rester en paroisse, là où ils ont tissé du lien et pour aider leur confrère dans leur charge en serviteur de Jésus-Christ, fidèles à leur vocation.

Le choix d’un placement en EPHAD (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) vient plus tard quand la dépendance s’installe. Ce passage de l’indépendance à la dépendance est un moment délicat qui demande du discernement ; c’est pourquoi le diocèse a mis en place une équipe accompagnante autour du vicaire général : deux prêtres ainés bienveillants et fraternels, une infirmière et une ostéopathe retraitées et une assistante sociale.

Le rôle de l’assistante sociale est très spécifique, car il s’agit à la fois d’une activité professionnelle d’accompagnement personnalisé pour aider au choix afin de concrétiser les projets de lieux de vie, faciliter l’accomplissement des démarches de tous ordres, assurer un travail de prévention, mais surtout veiller au bien-être du prêtre vieillissant. Mais c’est aussi une mission ecclésiale réelle exercée en église.

Pour se faire, il est essentiel d’être à l’écoute. Par exemple, lors des accompagnements, il est fréquent qu’ils me racontent leurs parcours, les temps forts de leur sacerdoce, ce sont des moments de partage essentiels qui créent du lien et amène la confiance. Dans ce cas, ce n’est plus un travail mais un enrichissement qui se passe. Il m’arrive de parcourir les albums de photos souvenir de dizaines d’années passées en Haïti pour l’un, de repartir riche de lectures partagées pour d’autres, de recevoir des poèmes, voire aussi de faire un brin de couture pour un ourlet de pantalon. Il s’agit vraiment d’instants de partages de la vie du prêtre ainé, si riche d’expériences que je vous invite à partager. Leurs conseils et leurs enseignements sont précieux.

Le prêtre ainé qui a perdu son statut qui allait avec sa fonction doit comme tout un chacun apprendre à vivre autrement en cultivant et continuant à transmettre toutes ses richesses intérieures malgré ses fragilités liées à l’âge. Soyons attentifs à eux et osons la rencontre.

Marie-Claude Brandenbusch,
Assistante sociale dans l’Équipe d’entraide sacerdotale des prêtres aînés
 

J'aime rencontrer les personnes et cela remplit ma vie

J’ai été ordonné prêtre il y a bientôt 54 ans, l’année de la fin du Concile Vatican II. Contrairement à ce que disent certains grincheux, c’était une bouffée d’oxygène ! L’Église, qui apparaissait drapée dans la dignité lointaine de ses autorités, s’ouvrait à une fraternité évangélique. Quelques-uns semblent avoir oublié encore aujourd’hui que leur pouvoir n’est pas une domination mais un service dont Jésus est le modèle. L’Église, signe de Jésus dans le contexte actuel, n’est pas une petite affaire. Ma vocation est née du désir de communiquer aux autres l’amour de Jésus. J’aime donc rencontrer les personnes et cela a rempli ma vie.

Au cœur des mouvements d’Action catholique auxquels j’ai beaucoup participé se trouve l’écoute des autres, de leur vie, l’échange fraternel en même temps que la découverte de Dieu dans la vie quotidienne. Tout mon ministère a fonctionné en ce sens. Nous n’arrêtons pas d’accueillir les autres différents de nous. Lors de mes responsabilités paroissiales, j’ai parfois géré les conflits, mais j’ai surtout essayé de faire confiance aux autres en leur permettant de trouver leur place. Aujourd’hui, à Dugny, je n’ai plus de responsabilité principale. Ouf ! Je suis sorti de ces périodes difficiles. Certaines paroisses sont comme des PME, avec responsabilité des locaux, du personnel, de la sécurité et responsabilité pastorale. Aujourd’hui, en lien avec l’équipe de l’Unité pastorale, j’accompagne le catéchuménat des adultes, je partage avec un petit groupe la lecture des Actes des Apôtres et j’assure quelques services, le dimanche en particulier… mais j’ai du temps, Je n’ai jamais eu autant de temps pour lire et pour apprendre, car on apprend toujours. Et puis, je ne suis pas stressé pour rencontrer les gens, dans la rue, à la médiathèque, au club des anciens de la ville ou encore aux événements locaux. Je jardine un peu, cela permet aussi des échanges. Il est vrai que je sens bien les limites de l’âge, les jambes sont moins agiles ; je fais malgré tout de bonnes marches dans le parc voisin. Je fatigue plus vite. Je crois qu’il faut s’adapter à chaque moment de notre vie. Parfois, je me dis « combien de temps te reste-t-il encore ? » Mais le temps qui reste n’est pas à remplir à tout prix, je cherche simplement avec humour à lui donner une épaisseur humaine et spirituelle.

P. Marc Léveillé,
Prêtre aîné à Dugny

Celles et ceux qu'on oublie

 

La vieillesse est une école d'humilité !

J'ai la chance que ma santé n’ait pas encore été interpellée par de gros pépins. Si bien que je ne me sens pas forcément vieillir. Mais, autour de moi, les autres le sentent probablement… Un certain nombre de mes facultés fatiguent : j'entends moins bien, je lis plus difficilement les petites lettres ou les panneaux de circulation, mes pas ralentissent leur rythme, je ne maîtrise rien des outils de communication à la mode. En même temps, même si ça grince dans la "carcasse" et que les articulations se coincent davantage qu'avant, je reste prêtre, habité depuis 50 ans par une passion, celle de la mission.

Depuis bientôt quatre ans, je n'ai plus la responsabilité d'une paroisse. J'y ai été heureux ! Je ne suis pas pour autant sans responsabilité. Localement, mon curé, Serge, m'a confié le catéchuménat des adultes, et je l'en remercie car c'est un lieu extraordinaire pour ne pas s'endormir, ni être répétitif : on ne peut qu'être inventif pour s'ajuster à la diversité des chemins de la foi à susciter et à accompagner. Il m'a aussi confié la mise en route d'une équipe de Service évangélique des malades – essentiellement investie pour le moment auprès d'une présence à l'EHPAD nouvellement construit depuis deux ans. Et puis il y a les liens qui se tissent progressivement avec les paroissiens, là où je suis amené à célébrer, et les liens avec les gens du voisinage. Formé à l'école des Mouvements de l'Action catholique (la JEC, avant de rentrer au séminaire, puis la JOC et l'ACO), j'accompagne toujours une équipe ACO, et depuis deux ans deux équipes d'ACI. Pour moi, ce sont des lieux de respiration et de partage de vie pour y percevoir les traces de l'Esprit. Et puis le fait d'avoir un agenda moins chargé par l'accumulation de réunions me rend aussi plus disponible pour donner un peu de temps, pour écouter et accompagner tels ou telles qui demandent une oreille fraternelle. De tout cela, je me nourris, et ça me fait vivre !

Au plan diocésain, notre évêque le père Pascal m'a confié ce qu'on appelle la « coopération missionnaire », c'est-à-dire la préoccupation de l'ouverture de notre Église diocésaine à l'ensemble de l'Église. À travers ce qui se met peu à peu en route grâce au jumelage avec le diocèse d'Owando au Congo Brazzaville, à travers l'attention à avoir en direction des prêtres fidei donumou des prêtres étudiants « venus d'ailleurs », ou encore des laïcs de notre diocèse qui partent sur d'autres continents comme « volontaires », à travers aussi l'accompagnement des rassemblements régionaux des 6e-5e « Un jour à Lisieux » : autant de lieux où je suis, là aussi bénéficiaire d'une belle vitalité. Bref, comme nombre de retraités, ma vie est encore bien occupée.

Pourtant, quelque chose a changé. Ce qui s'est transformé par rapport à avant, c'est qu'il me faut apprendre à devenir dépendant, et à y consentir dans ma tête et dans mon cœur. C'est sans doute la même difficulté que rencontrent beaucoup de retraités ayant été habitués à porter des responsabilités : je ne suis plus dans les lieux de décisions. C'est certainement plus dur à vivre, plus dur à accepter intérieurement, lorsque les décisions prises, ici ou là, ne sont pas celles que j'aurais choisi de prendre. Mais l'Église ne m'appartient pas ! Et je suis appelé à faire confiance. L'apprentissage de la dépendance, c'est aussi l'acceptation du vieillissement, avec ses limites physiques et intellectuelles ; et la perspective d'une entrée en maison de retraite ou en EHPAD. J'imagine que c'est plus facile à écrire qu'à vivre… La vieillesse est une école d'humilité ! 

Un autre aspect qui marque ma vieillesse m'est renvoyé par quelques amis prêtres, notamment d'origine africaine : pour eux, je suis « l'ancien ». En Afrique, l'ancien est un « sage ». C'est vrai que les années passées m'ont beaucoup appris, que ce soit avec les mouvements JOC-ACO ou au sein des paroisses. J'ai eu la chance de n'être curé de paroisse qu'à 60 ans, ce qui m'a donné le temps de voir la pratique des curés qui m'ont précédé, pour m'enrichir de leurs bonnes initiatives et … (essayer d') éviter les mauvaises… La vie est une école de sagesse ! 

Prêtre aîné, beaucoup des liens qui se sont tissés au long des années sont un peu comme un parterre de fleurs, aux couleurs et aux parfums différents ; quelques-unes se fanent plus vite que d'autres, tandis qu'on est témoin des petites pousses qui surgissent au printemps de la vie. Durant mes vacances, et tant que je le peux, j'aime faire un mini tour de France pour retrouver des amis et des familles qui comptent dans ma vie : demeure vivante l'amitié qui s'est enracinée ! Tout en étant conscient du piège qui pourrait être de s'enfermer sur quelques-uns de ces liens, il me semble bon, souhaitable et heureux que s'entretienne ce parterre de fleurs, autant de cadeaux que le Seigneur nous fait dans l'attente de Le découvrir un jour dans la joyeuse fraîcheur de son Royaume.

P. Jacques Meunier,
Prêtre aîné à Romainville

 

J'ai bien de la chance !

C'est enquiquinant la mémoire qui fiche le camp, mais je garde encore mes deux pieds ; je ne pensais pas vivre si longtemps. Je suis toujours écrivain public à la salle de quartier, avec un père de famille dont j'ai baptisé les jumelles et célébré le mariage. Je vois des gens perdus dans les démarches pour les papiers, la Sécurité sociale, les Allocations familiales, les demandes de logement, les divorces. Prêtre-ouvrier, toujours en équipe dans la Mission ouvrière, nous sommes inconnus dans l'Eglise et peu à peu relégués dans les objets rares. Si je sors de mon foyer-logement, je rencontre le monde entier : 150 nationalités sur Aubervilliers. Je tisse ma toile d'araignée dans ma cité !

P. Bernard Fèvre,
Prêtre aîné à Aubervilliers
 

Les prêtres aînés
sont nos "sages"

Atteindre l’âge de la cessation d’activité, pour un prêtre comme pour un laïc, est une re-naissance. C’est un nouveau mode de vie, l’abandon d’un rôle précis dans la société avec ses charges et ses responsabilités. Ceci peut amener à un sentiment de soulagement, mais peut être également vécu comme une dépossession. C’est aussi le moment de pouvoir faire maintenant ce que nous n’avions pas le temps de faire avant. Quel plaisir !

Pour tous, et chacun à sa manière, il est nécessaire, pour vivre pleinement ce temps, de savoir conjuguer le verbe « être », de l’approprier à soi-même, afin de continuer à vivre son projet de vie avec bonheur.

« Á tout âge le Seigneur demande à chacun d’apporter ses talents. » Jean-Paul II

Dans sa paroisse, un prêtre est un « référent ». Il écoute et est écouté comme une "autorité spirituelle". Ses responsabilités l’amènent à être considéré comme une "autorité sociale". Lorsqu’il devient « aîné », le prêtre garde son autorité spirituelle, mais il n’a plus ses responsabilités d’antan, ce qui entraîne une chute relative de son statut. Il n’est plus « le chef ». Souvent, c’est en paroisse que le prêtre aîné « pose ses bagages ». Comme il est prêtre jusqu’à son dernier souffle, il y sera toujours reconnu comme une autorité spirituelle.

Les prêtres aînés sont nos « sages ». Les prêtres reçoivent l’attention de leur famille, qui peut être éloignée, et celle des laïcs, plus proche. Malgré cela, beaucoup souffrent de la solitude.

L’équipe d’accompagnement des prêtres aînés, dont je fais partie, les soulage, en accord avec eux, des soucis administratifs et financiers. Étant ostéopathe à la retraite, je les soigne gracieusement. Ceci nous donne un temps de parole et d’échange fructueux pour eux, comme pour moi. Les personnes âgées « sont les gardiennes de la mémoire collective. » Jean-Paul II. Cette mémoire collective est la résultante du vécu spirituel et humain de tous et de chacun, dans laquelle est posé le grain de sel unique, personnel, qui donne saveur à nos vies. Les prêtres devenus aînés nous ont accompagnés toute, ou partie, de notre vie. Á notre tour de les accompagner, comme nous voudrions que chacun de nous le soit.

Monique Manières-Mézon,
Ostéopathe honoraire, Les Lilas

 

Lors des Journées d’amitié et d’entraide pour les prêtres


(c) Yannick Boschat

Feuilletez "Quatre Pages" n°45 Mai-Juin 2019

 

Repères


A vivre, à lire

- Journées d’amitié et d’entraide pour les prêtres : Samedi 18 et dimanche 19 mai 2019 de 10h à 18h - Maison Marie-Thérèse, 277 Bd Raspail 75014 Paris (métro : Denfert-Rochereau)

- Lettre du pape Jean-Paul II aux personnes âgées (1999)

Expérience de Dieu face au grand âge - L’inattendu dans une vie chrétienne
Michel Rondet, jésuite (Revue Vie Chrétienne n°56 - Juillet 2015)