Eclairer notre regard sur la Vie (N°16 / Avril - Mai 2014) — Diocèse de Saint-Denis-en-France

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Eclairer notre regard sur la Vie (N°16 / Avril - Mai 2014)

L’actualité est abondante sur cette question de la vie. Pas un jour sans qu’un média pointe un cas de conscience sur la naissance ou la fin de vie.

Ni la science, ni les lois ne remplaceront un regard pétri d’Evangile... « Toute vie humaine porte en elle un mystère, une réalité non mesurable qui se révèle à ceux qui veulent bien regarder et voir au-delà des apparences immédiates » (Mgr Dagens).

« Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur »
Isaïe 49, 5

 

De la naissance à la fin de vie

Devant un berceau vide

Une fin de vie dans la dignité

Quel est votre emploi ?... C’est d’être malade !

Accompagner des personnes en fin de vie

Nul ne sait ni le jour ni l’heure

Il y a des "limites naturelles"

La personne humaine est sacrée

L'amour avant la sexualité

Redonner une place à la personne

Ouvrir aux jeunes un espace de parole spécifique

Le mystère de la rencontre, de l'inconnu

Les ouvriers de la 11e heure

Quand l'éthique s'incarne dans un cabinet médical

Porter la communion, un enrichissement personnel et de foi

Les personnes que je rencontre me transforment

La certitude que c’est Dieu qui agit

Etre aidée le moment venu par des soins palliatifs

Repères

De la naissance à la fin de vie

Claude Scheuble, Groupe de réflexion éthique, diacre permanent

La vie est un mystère pour l’Homme. Des artistes ont voulu décrire ce mystère en images plus accessibles que les mots. Ainsi, la création du monde peinte par Michel-Ange (plafond de la Chapelle Sixtine – Rome –, par Michel-Ange). On y voit le doigt de Dieu venir à la rencontre du doigt de l’Homme et lui donner la vie. L’artiste laisse un espace vide entre le doigt du créateur et le doigt de la créature. Cet espace représente l’abîme entre celui qui donne la vie et celui qui la reçoit ; cet espace ne sera finalement comblé qu’en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai Homme, il est le trait d’union vers le Père, notre boussole de vie, notre éthique. D’où la perception chrétienne d’être à la fois de petites choses perdues parmi des millions d’autres, et en même temps irremplaçables : que l’on soit petit, faible, malade, apparemment "inutile".

Principes et réalités de la vie. Souvent, j’entends dire : « Je suis une lourde charge inutile pour la société, pour ma famille ; ma vie maintenant ne vaut plus la peine d’être vécue, il faudrait que je parte ! » Mais la vie ne se mesure pas à l’aune de l’utilité que l’on croit avoir, car c’est lorsque la personne est la plus fragile, qu’elle témoigne de cette extrême dignité gratuite que Dieu lui a conféré. L’Eglise a recueilli ce précieux mystère de vie et l’a traduit au cours des siècles en normes et préceptes, mais toutefois, sans les figer une fois pour toutes, afin de pouvoir prendre en compte les réalités culturelles et personnelles de chacun (cf. Alphonse de Liguori, Homo Apostolicus, 1763). Il y aura donc toujours un perpétuel – et parfois difficile - dialogue entre les principes et les réalités de la vie. Ainsi l’encyclique Humanae vitae doit-elle être lue dans l’éclairage qu’en font les évêques de France, fi n 1968.

La voix chrétienne de la conscience. Avec le concile Vatican II, l’accent est mis sur la place centrale de la conscience, une conscience éclairée dans la prise de décision éthique. « La conscience est le centre secret de l’Homme et lieu ultime de décision » dit la constitution L’Eglise dans le monde de ce temps (16 et 43, 2-3). Comment ? En s’entourant de multiples éclairages : l’enseignement de l’Eglise, le dialogue avec une personne compétente, le partage fraternel, les formations en cette période ou tant d’idées sont lancées sans critique. Ainsi en est-il des débats actuels sur la fi n de vie auxquelles sont confrontés les soignants, les familles, et qui doivent permettre de faire entendre la voix chrétienne de la conscience. Désormais, du début à la fi n de vie, nul ne se pourra se dispenser de réflexion éthique.

Devant un berceau vide

Sœur Véronique Boucher, aumônier d’hôpital à Bondy

Une maternité est un lieu où les femmes viennent accoucher et donner la vie. Mais ce lieu de vie peut être pour certains couples la première confrontation à la mort… un bébé décédé spontanément ou par décision d’interruption de grossesse pour cause médicale. Cet événement est douloureux pour ces familles.
Après une formation pluridisciplinaire, c’est par un travail de groupe, guidé par un psychologue, que s’affine notre manière de les accompagner. Souvent, le temps des funérailles est le lieu où une parole, un pardon peuvent se dire et ils sont écoutés dans le respect du cheminement mystérieux de chaque être présent. L’important dans ce décès périnatal est de donner une réalité à l’enfant décédé, une dignité dans notre société, une place dans la famille et permettre à ses parents de trouver un sens à cet événement impensable de leur vie.

Pour la préparation du rite d’A-Dieu, les parents trouvent eux-mêmes les mots, les gestes, les chants, les paroles de Dieu, les textes pour ce moment important qui leur permet de commencer le deuil de cet enfant qui portait leurs projets, leur avenir, leur amour.

Notre place d’aumônier catholique nous demande de veiller à ce que nos paroles témoignent de l’Amour de Dieu pour tous et restent ajustées à l’annonce du Christ, mort et ressuscité au matin de Pâques, où la vie a vaincu la mort. La perte de ces petits anges, comme les surnomment de nombreux parents, peuvent être fondateurs pour la vie de leur papa et maman, et pour nous-mêmes. Tout notre être passe par ces parcours d’accompagnements inachevés… L’Autre les poursuit.

Une fin de vie dans la dignité

Laurence Martin, aumônier d’hôpital à Sevran

Mon regard a changé depuis 6 ans que je suis les familles et les malades en soins palliatifs. Peu à peu, j'ai développé la communication non verbale, les silences si importants pour laisser la parole s'exprimer parfois, les silences qui disent la tendresse, et surtout le respect de la liberté de la personne. Au moment du "départ", la force de la présence de Dieu est palpable. Nous sommes la tendresse de Dieu, nous représentons cette tendresse. A nous de créer nos signes de tendresse.
Dans cet accompagnement, il est intéressant d'être parfois rejetée, car cela m'interpelle. Il n'est pas rare qu'après quelques « bonjour » fidèles, les personnes vous accueillent enfin et s'ouvrent sur les souffrances spirituelles vécues dans l'enfance où elles-mêmes ont été rejetées. Je m'aperçois aussi que de plus en plus de patients en fin de vie arrivent tardivement dans l'unité de soins palliatifs et donc de plus en plus inconscients, ce qui rend difficile le contact. Les liens avec les familles se développent de plus en plus. C'est aussi un travail important d'écoute et de respect. Redire la miséricorde infinie de Dieu permet de relire sa vie, dans la confiance.

Les personnes que j’accompagne expriment à leur façon comment elles sont touchées. Beaucoup de témoignages de personnes nous disent que la visite fait du bien, réconforte, même s'il n'y a pas forcément un temps de prière ou la communion. Celles qui demandent le prêtre pour un sacrement des malades après quelques visites, nous disent la paix intérieure ressentie. Je me souviens d'une patiente non pratiquante qui, parce que j'étais une femme, m'a confié des souffrances terribles et très intimes. La confiance installée a fait surgir la parole. Cette personne a ensuite demandé l'aide de la prière. Nous sommes en chemin avec ces personnes pour marcher à leur rythme. La plus grande souffrance que vivent ces personnes, c’est la solitude intérieure, face à l'inconnu du passage vers la vie éternelle, l'abandon des enfants, des familles, la peur du jugement de Dieu.

Un contact avec les familles se continuent parfois après les funérailles. Les enfants, les conjoints ont besoin de reparler des derniers moments, besoin de (ré)entendre les dernières paroles, les attitudes de l'être parti. L'absence est tellement difficile à vivre que les familles aiment bien continuer à vivre le lien commencé à l'hôpital… Avec le personnel soignant, je fais un peu partie de leur équipe. Ils m'appellent pour me signaler un patient en souffrance spirituelle, ils m'aident à comprendre les réactions, m'expliquent les pathologies et cette confiance m'étonne toujours.

Etre chrétien ne change pas la nature de la relation. Je suis ce que je suis. Je reste la même avec les personnes croyantes ou non. Ce que nous représentons pour les autres ne m'appartient pas. J'essaie juste de chercher l'attitude que le Christ aurait eue s'il avait été à ma place et j'appelle l'Esprit-Saint pour m'aider. Parfois, je me trompe en disant une parole non adaptée. Et quand je m'en rends compte, je me dis que je ferai plus attention. Se remettre en question chaque jour est capital. Je ne veux surtout pas devenir une spécialiste de Dieu ou de la prière.

Pour mieux accompagner les personnes dans les derniers moments de la vie, il faudrait développer plus les soins palliatifs à domicile, dans les services en général. Développer les visites à domicile et former des équipes qui feraient les liens avec les prêtres et les paroisses. Créer des nouvelles missions pour les futurs visiteurs, autour de la rencontre, avec des formations adaptées. Il serait tellement formidable de proposer les traitements palliatifs dans tous les services des hôpitaux. Il serait tellement formidable de proposer aux soignants une formation sur le rôle de l'aumônier, des visites, … pour comprendre l'importance du soin spirituel et le rôle des sacrements chez les catholiques.
Il y a des limites à l'acharnement thérapeutique en fin de vie. C'est pour cela qu'il est important de dire et d'écrire ce que l'on souhaite faire en cas d'inconscience en fin de vie. Le débat est souvent tronqué car on oublie que la Loi Léonetti ne s'applique que pour la fin de vie quand la maladie est incurable et qu'on a accompagné la vie jusqu'au bout… Quand on a tout fait et que la fin de vie est là, est-il raisonnable de continuer à faire vivre une personne inconsciente avec des machines ? S'il n'y avait pas de machine, la mort naturelle aurait fait son œuvre. La mort est un phénomène naturel ! Mais accompagner dans la dignité la personne, en limitant les souffrances grâce aux traitements palliatifs est primordial. On doit soulager les souffrances le mieux possible. Dans l'accompagnement spirituel, il est également important de ne pas proposer à tout prix prière, sacrements, si la famille ou le patient ne le manifestent pas. Trop d'empressement bouscule. Notre seule présence est déjà présence de Dieu, que les familles s'en rendent compte ou non.

Quel est votre emploi ?... C’est d’être malade !

Michaël Tossou, hospitalier à Lourdes

Entièrement bénévole, je suis chargé de l’accompagnement sanitaire et spirituel des pèlerins malades ou atteints d’un handicap participant au pèlerinage diocésain à Lourdes. Médecins, infirmiers ou simples bénévoles sans compétences médicales, nous faisons en sorte que les personnes qui ne pourraient pas vivre le pèlerinage sans aide puissent venir et y participer pleinement. Ces personnes peuvent être logées chez elles ou résider en maison de retraite, être hospitalisées… Elles sont également de tous âges - enfants et adultes - et de conditions physiques bien différentes. Elles peuvent être lourdement handicapées ou simplement ne pas se sentir en mesure de faire face seules à l’aventure que représente le pèlerinage. Certaines viennent d’ailleurs avec un ou des membres de leur famille. Répartis en plusieurs équipes, nous nous occupons d’elles lors du transport en car spécialement équipé, sur leur lieu d’hébergement à Lourdes, en Accueil, pour leurs soins, leur aide à la toilette, leurs repas, leurs déplacements dans le sanctuaire de Lourdes… Nous le faisons en étant pèlerins à part entière à leurs côtés. Nous tâchons de maintenir ce lien au long de l’année, même si cela n’est pas toujours évident, notamment à travers des rencontres ouvertes à tous pendant l’année.

De nombreuses occasions de partage entre hospitaliers et personnes malades ou handicapées. Comme la plupart d’entre eux, je suis frappé par le témoignage qu’ils nous donnent, notamment la patience dont ils peuvent souvent faire preuve. Et en même temps, quand la relation s’approfondit, on découvre surtout qu’au-delà des conditions de santé, nous sommes tous très semblables, avec nos qualités et nos défauts. Dans nos joies, nos préoccupations de natures diverses, la présence de Dieu se manifeste. Je découvre les belles choses que Dieu fait aussi bien dans la vie des gens que nous accompagnons que dans la vie des hospitaliers qui se mettent à leur service. En tant qu’hospitaliers, nous gardons à cœur de ne pas nous contenter d’être au service des pèlerins que nous accompagnons mais d’être de véritables pèlerins également, à leurs côtés, en suivant les mêmes étapes, en partageant sur nos expériences, en priant ensemble. Un point important est de maintenir le lien durant l’année, pour que notre relation ne se réduise pas aux cinq jours du pèlerinage. Cette expérience implique une volonté de cohérence chrétienne et de souci des autres dans le reste de nos vies. Beaucoup d’hospitaliers essaient ainsi de rendre visite ou de prendre des nouvelles de tel ou tel pèlerin accompagné à Lourdes. Ce n’est pas toujours facile avec le rythme de vie quotidien qui reprend vite le dessus après le pèlerinage. Notre hospitalité est encore très jeune et nous n’avons pas encore la possibilité de systématiser les visites afin de nous assurer que personne n’est oublié mais nous comptons notamment sur notre collaboration avec le service diocésain de la pastorale de la santé, qui dispose d’une expérience précieuse dans ce domaine.

A l’initiative de notre évêque, nous organisons désormais annuellement une rencontre festive pendant l’Avent, en plus des autres rencontres de l’année, plus orientées vers la préparation du pèlerinage. Cette journée, à l’approche de Noël, manifeste notre volonté de vivre un moment ensemble gratuit, en compagnie des personnes qui ont partagé avec nous l’expérience de Lourdes mais aussi avec toutes les autres personnes qui souhaitent simplement partager ces instants avec nous. C’est aussi une manière de dire que nous ne nous oublions pas et que la lumière qui a brillé sur nous à Lourdes continue d’illuminer nos pas une fois rentrés chez nous.

Les personnes sont touchées, moi aussi. J’ai souvent remarqué qu’au-delà des compétences mises en œuvre autour d’elles, les personnes que nous accompagnons se montrent très sensibles à la manière dont nous mettons cela en œuvre : l’affection, l’amitié, la volonté de faire au mieux pour les satisfaire. Lors d’une formation prodiguée par Martine Guénard à Lourdes lors du Pèlerinage National, j’avais appris à toujours m’adresser à la personne que je prenais en charge, même pour un simple déplacement et surtout, même si cette personne ne semblait pas en mesure de réagir, de communiquer. Par la suite, j’ai essayé de garder cela à l’esprit malgré la frustration que peut susciter le fait de ne pas être certain d’être entendu. Un jour, pourtant, alors que, de retour de Lourdes, notre pèlerinage faisait étape à l’abbaye des sœurs cisterciennes de Boulaur - où repose le corps de Claire de Castelbajac, patronne de notre hospitalité -, j’ai été touché par un petit événement que je vois aujourd’hui comme un signe et un encouragement. J’ai été amené à installer dans la chapelle une personne de notre pèlerinage lourdement handicapée qui ne s’exprimait pas d’ordinaire. Une fois la manœuvre finie, je lui demande, de manière spontanée si elle n’était pas trop mal installée. Semblant faire un gros effort, elle a remué les lèvres et a réussi à me faire comprendre que tout allait bien. Même s’il n’en paraissait rien, elle pouvait entendre, ressentir, comprendre ce qui se passait autour d’elle et éventuellement communiquer avec nous. Cela nous apprend à prendre nos distances avec les apparences. C’est aussi pour moi une sorte d’enseignement quand je pense aux similitudes que cela présente avec l’expérience de notre relation avec Dieu, et plus spécialement dans la prière, lorsqu’il nous arrive d’avoir l’impression de ne pas être entendus ou de ne pas recevoir de réponse parfois.

Des personnes qui souffrent. Il y a bien sûr la souffrance liée à leur condition de santé et la perte d’autonomie. Le manque d’écoute de la part de l’entourage et de certains professionnels de santé est aussi vécu avec douleur. Mais il y a aussi parfois le fait d’être regardé comme quelqu’un d’inutile, dont la présence n’est plus désirable. Ce n’est pas forcément exprimé aussi clairement mais le fait, dans les médias par exemple, d’insister sans cesse sur la performance, la rentabilité et la suractivité concourt à cela. Certains gestes et paroles - également parfois au sein de nos communautés chrétiennes - peuvent, sans qu’on en prenne conscience, faire comprendre à l’autre qu’il ne représente plus une richesse mais un poids. Ainsi lui-même peut finir par se persuader de cela, comme on le constate avec un enfant qu’on ne valoriserait jamais à l’école et qui en vient à se décourager et penser qu’il est nul, qu’il n’y a plus rien à faire.

Les rapports que nous avons avec les familles des personnes que nous accompagnons dépendent souvent des rapports que ces mêmes personnes ont avec elles. Dans certains cas, ils sont très réduits ou se limitent à certains aspects pratiques ou administratifs lors de l’inscription. Dans d’autres cas, nous avons la chance de les compter parmi nous lors des rencontres en diocèse et d’autres participent même au pèlerinage en accompagnant leur proche. C’est toujours une joie de vivre cela. Certains accompagnants sont soucieux de savoir s’ils devront s’occuper eux-mêmes des soins de leur proche. Ils sont ravis d’apprendre que ceux-ci sont entièrement prodigués par les hospitaliers, ce qui les soulage de cette charge et leur permet de vivre le pèlerinage de manière plus sereine, de prendre aussi un peu de temps pour eux alors qu’il leur arrive d’assurer la prise en charge de leur proche toute l’année.

Sans la foi en Jésus-Christ, qui éclaire et guide notre action à Lourdes mais aussi dans notre quotidien, notre relation avec les personnes que nous accompagnons ne serait pas la même. Nous pourrions effectuer les meilleurs soins, avec le meilleur matériel, assurer un transport de qualité, veiller à leur confort lors du séjour, sans réellement partager l’expérience du pèlerinage à leurs côtés mais juste en prestataires de services. C’est pour cela que nous insistons sur le fait que les hospitaliers sont également des pèlerins à part entière, bien qu’ayant choisi de vivre le pèlerinage au service des autres. En développant leur relation avec le Christ, ils peuvent ainsi communier plus profondément avec leurs compagnons de route malades ou handicapés. Et dans leur relation avec ces pèlerins, ils parviennent à toucher quelque chose du mystère de Dieu qui se révèle à travers les frères.

Nous avons à changer notre regard et essayer de ne pas considérer les autres selon des critères uniquement humains : leurs facultés intellectuelles, leur utilité économique pour la société… « Juger selon des fausses valeurs » comme le dit Saint Jacques. Il faudrait essayer de l’appliquer aussi bien au travail que dans nos paroisses, mouvements d’Eglise. Même au sein de l’Hospitalité, entre hospitaliers. Les bénévoles ne doivent pas être uniquement vus comme des bras supplémentaires. Ce n’est pas toujours facile mais c’est une attention à avoir pour rester fidèle à notre appel et au témoignage que nous ont laissé de vrais amis du Christ comme Sainte Bernadette Soubirous. Un jour au couvent des Sœurs de la Charité de Nevers, alors qu’elle se trouve à l’infirmerie, une supérieure trouve Bernadette dans son lit et lui dit :  « - Eh bien ! Qu’est-ce que vous faites là, petite paresseuse ? - Ma chère mère, je fais mon emploi. - Et quel est votre emploi ? - C’est d’être malade». Même dans son « inutilité » apparente, Bernadette avait un rôle à jouer aux yeux de Dieu.

Le respect et la dignité de la personne humaine. Lors de mon premier pèlerinage à Lourdes, pendant l’attente avant d’entrer aux piscines - ces grands bassins remplis d’eau de la source de la Grotte des apparitions dans lesquels les pèlerins peuvent se plonger après avoir prié -, je me suis retrouvé à côté d’un enfant qui était atteint d’un handicap mental et de son père. J’étais touché par sa présence. Dans ce lieu où tous sont invités à se dépouiller pour présenter leur vie au Seigneur, je prenais encore plus conscience de ce que dit l’Ecriture : « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ». Là, aux piscines comme partout ailleurs, devant Dieu, nous sommes nus, il sonde tout notre être et pour Lui le riche ne vaut pas plus que le pauvre, l’enfant est aussi important que le savant. Nos critères humains ne peuvent pas définir la valeur d’une vie humaine. Le problème est que le mot « dignité » est aujourd’hui utilisé avec des sens bien différents. Aux yeux de beaucoup, la perte d’autonomie, des facultés physiques et intellectuelles constitue une perte de dignité. Dans une perspective chrétienne, il n’en est pas ainsi. Il me semble plutôt que la dignité réside dans la façon dont ceux qui entourent cette perte d’autonomie et cet affaiblissement des facultés physiques, font face à la situation et proclament, à travers leurs soins et l’attention dont ils font preuve, la grandeur de la vie humaine, également dans ces moments les plus difficiles. Malheureusement, beaucoup de gens manquent encore de cet accompagnement.

Accompagner des personnes en fin de vie

Monique Lordereau, aumônerie des soins palliatifs à Casanova, Saint Denis

Après une demande faite par l’aumônier des soins palliatifs à Casanova à Saint-Denis et un  temps de réflexion et de prière, j’ai répondu à cet appel et je me suis lancée dans cette aventure : « Accompagner des  personnes en fin de vie ». De part ma profession d’infirmière, j’ai accompagné plusieurs fois des personnes en fin de vie : jeunes ou âgées, mais l’approche était celle d’une soignante, aujourd’hui  je dirais que c’est les mains vides que je fais cet accompagnement ou plutôt les mains ouvertes, pleines d’écoute pour recueillir toute la vie de la personne que je rencontre ; les yeux grand ouverts pour voir la tristesse ou l’angoisse, ou le sourire qui illumine le visage dans l’échange d’un simple « bonjour », d’une poignée de mains, ou pour entendre : « asseyez-vous » et « merci de votre visite ». C’est le cœur rempli de toute cette vie que je repars, pour offrir au Seigneur toute cette part de vie des uns et des autres ; cette fin de vie qui a besoin d’écoute, de paix, d’attention, d’une simple présence.

Cette fin de vie est souvent difficile à vivre par les familles, c’est là aussi que se vivent des moments très forts d’échanges avec les personnes présentes où les uns et les autres évoquent la vie avec la personne. Et quand la personne est seule, sans famille, des partages peuvent se vivre : présence silencieuse et parfois présence priante quand il est possible de dire ensemble le « Notre Père » et que le visage de la personne s’illumine. Parfois, la personne est dans un profond sommeil, souvent seule, alors monte en moi cette prière : Que le Seigneur te bénisse et te garde. Que le Seigneur fasse briller son visage sur toi et t’accorde sa grâce. Que le Seigneur lève son visage sur toi et mette la paix en toi. D’autres moments très forts sont vécus avec toute l’équipe soignante qui informe sur l’état des personnes. Leur attention à chaque personne est surprenante et toutes les familles en témoignent. Dans cet accompagnement, c’est toute ma vie qui est touchée, c’est mon compagnonnage avec le Christ qui est vivifié.

Nul ne sait ni le jour ni l’heure

Guy Gelly, prêtre à Stains-Pierrefitte

Parmi les missions confiées, j’ai celle de la pastorale de la santé. J’essaie de mettre en place des équipes SEM (Service évangélique des malades) dans chaque paroisse de Pierrefitte et Stains. Un certain nombre de personnes visitent des malades et des personnes âgées et, à leur demande, leur portent la communion. Et nous célébrons la messe régulièrement dans les trois maisons de retraite. Quand il s’agit de personnes en fin de vie, c’est plutôt moi qu’on appelle. En général, je me rends aussitôt à leur chevet ; et si la personne le désire, ainsi que la famille qui souvent l’entoure, je donne l’onction des malades. C’est de cette expérience dont je voudrais témoigner. J’ai eu l’occasion, durant mes 50 ans de prêtre, de donner assez souvent ce beau sacrement, surtout pendant mon séjour au Brésil.

J’ai vu des mourants retrouver vie. Je me rappelle de ce papy portugais en fin de vie : après avoir reçu l’onction avec beaucoup de foi, la famille l’a emmené au Portugal en ambulance, pensant qu’il ne ferait pas le voyage. Il a vécu encore 5 ans ! J’ai vu pas mal de mourants dans le coma réagir pendant le sacrement : clignement d’œil, plissement de paupières, murmure des lèvres… quand j’arrive, je salue d’abord la famille et lui demande qu’elle me parle (discrètement) du malade. Puis je m’adresse assez fort au malade - qui la plupart du temps entend - et je le touche. Avant de partir, je l’embrasse et dis au revoir à la famille, que je retrouve parfois pour l’enterrement. Dans tous les cas, j’ai constaté que le malade retrouvait la sérénité et la famille présente - croyante ou non - aussi. Quand la famille est présente, elle l’est souvent, c’est toujours un moment très fort.

J’ai eu en mémoire le départ de Simone (le nom a été changé), antillaise de 49 ans. Entourée de ses trois garçons adolescents, d’une dizaine de personnes de la famille, tous se donnant la main. Déjà dans le coma, Simone a ouvert les yeux et prié pendant la réception du sacrement, et à la fin a demandé « la paix ». Un moment d’Eglise plein de foi et d’émotion. C’est donc souvent l’extrême onction… La famille appelant au dernier moment, ne voulant pas effaroucher le malade, qui en général est bien conscient de sa mort prochaine ! N’est-ce pas plutôt la famille qui a peur de la mort ? Peur légitime. Ce n’est pas évident de mourir, même si l’on croit que la vie continue autrement ! Ce sacrement est aussi toujours pour moi un moment très fort. Je sens comme une présence physique du Christ : n’est-il pas dans cette personne qui s’en va : « J’étais malade et vous m’avez visité… » (cf. Matthieu 25, 35-43

Une fois par an à Pierrefitte ou à Stains, nous organisons l’onction communautaire des malades au cours d’une messe paroissiale, pour manifester qu’elle n’est pas seulement le sacrement des mourants, mais d’abord celui des malades. Il m’est arrivé aussi d’accompagner des malades jusqu’à la porte de la mort, parfois simplement en leur tenant la main. Et si je sais que la personne est chrétienne, en disant l’une ou l’autre parole de l’Evangile (j’ai vu des portugais pleurer sur leur lit de mort, alors que je fredonnais l’Ave Maria de Fatima). Ma conviction profonde, c’est que Dieu nous a créés libres, mais que nous ne sommes maîtres ni de notre naissance ni de notre mort. Le Christ répète souvent « Nul ne sait ni le jour ni l’heure » ; il le dira également pour lui. Il affirmera par ailleurs « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » ; et d’une manière paradoxale, il se laissera emporter par les flots de la souffrance dans sa passion, jusqu’à sa mort atroce sur la croix. « Celui qui veut être mon disciple, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Nous n’avons pas à courir après la souffrance. Nous devons même la combattre, et en particulier exiger de la médecine qu’elle atténue la douleur en fin de vie. Le Christ n’est-il pas mort pour vaincre la souffrance et la mort ! Mais quand la souffrance est là et que la mort approche, l’important c’est de les affronter comme le christ et avec lui.

Il y a des "limites naturelles"

Danièle Dupuy, responsable d’aumônerie aux Lilas

Parler de « fin de vie » pour les personnes âgées que nous visitons ne signifie pas uniquement l’instant de la mort. Cela peut s’étaler sur des mois, voire des années pour certaines, et la plus grande difficulté, à mon sens, c’est la solitude - que ce soit à domicile ou en établissement -, car souvent mal compris, volontairement ou involontairement d’ailleurs, par l’entourage. Sans être pessimiste, cela reste une étape de la vie souvent douloureuse, physiquement et psychiquement, surtout quand arrive la grande dépendance. Il arrive heureusement que ce soient des moments intimes et sereins, si la personne est entourée de l’affection des siens, si aussi elle a la foi. Quant aux derniers instants de la vie, je crois qu’on ne prend pas toujours en compte la douleur de la personne âgée - par rapport aux malades, par exemple - et la sédation doit être demandée par la famille ; elle n’est pas systématique, alors qu’elle est souvent nécessaire.

Les personnes que nous accompagnons expriment à la fois le "désir" d’en finir, et la peur de souffrir  au moment crucial. Elles disent souvent « c’est trop long », celles qui ont la foi disent « Dieu m’oublie » … ; et il semble que, en général, les proches ne savent, ne veulent pas entendre ce message ! Elles ont aussi le sentiment « d’être mises à l’écart », « d’être une charge pour leurs enfants ». Le coût d’une maison de retraite est très élevé, et la famille y participe souvent. Et que dire de ces personnes de 90 ans et plus qui voient mourir un fils ou une fille de 60 ans ? « Pourquoi je suis encore là et lui est parti ? » : j’ai accompagné plusieurs cas et c’est très difficile à vivre.

Nous tissons des liens avec les soignants et les familles, croyants ou non. Les uns et les autres ont parfois besoin d’une écoute, d’un soutien, par exemple, plusieurs décès sur un temps assez court perturbent beaucoup les équipes, leur tâche n’est pas facile. Quant aux familles, cela va d’une certaine "culpabilité" d’avoir fait entrer leur parent en établissement, à la difficile épreuve d’accompagner un parent, voire même un conjoint, dans la maladie d’Alzheimer : il faut tenir dans le temps, faire petit à petit le deuil de la personne aimée qui s’enfonce dans un monde inconnu … Certaines fois, nous sommes là aussi après le décès : si les obsèques ont lieu dans notre paroisse, je prends personnellement en charge l’organisation et l’accompagnement ; si elles ont lieu ailleurs, nous essayons d’être présents, et de toutes les façons, j’envoie une carte au nom de l’équipe, et cela est en général très bien perçu. Il peut arriver que nous restions en contact  quelques temps.

Etre chrétienne change la nature de la relation, sinon je ne serais pas là ! Nous sommes en quelque sorte des "passeurs d’espoirs", même vis-à-vis des personnes non croyantes ou d’un autre culte. Nous témoignons de notre foi simplement, par notre présence régulière et attentive, par les paroles de réconfort - inspirées par Celui qui nous envoie -, par une image, une prière que nous laissons, par le simple fait de dire « je prie pour vous » ou « nous prierons pour vous lors de la prochaine messe ». Cela ne dure peut-être pas, mais je crois qu’à ce moment-là, la personne reprend confiance, elle est touchée dans son "être spirituel".

Que faudrait-il faire pour mieux accompagner les personnes (âgées pour ce qui me concerne) dans les derniers moments de la vie ? J’avoue ne pas avoir de réponse à ce problème. Sans doute mettre plus d’humain, plus d’amour, là où l’on meurt. Sans doute, sentir une présence aimante à ses côtés, avoir une main à serrer, doit apporter un réconfort et apaiser l’angoisse. Mais c’est difficile à mettre en place. La mort demeure un "mystère" qui nous dépasse, et qui ne survient pas forcément au moment où on l’attend. Les personnes âgées mettent parfois beaucoup de temps à mourir, elles s’éteignent comme la flamme d’une bougie, avec parfois quelques sursauts qui nous surprennent. Comment prévoir le moment exact où la mort surviendra, sauf bien sûr s’il y a une aggravation brutale de leur état, mais ce n’est pas toujours le cas. Il s’agit plutôt d’un "glissement" progressif au cours duquel chaque petit geste ou parole de tendresse est rassurant. Par exemple hier, j’étais au chevet d’une personne que j’accompagne depuis sept ans environ, qui se trouve maintenant dans cette situation depuis quelques semaines : on ne la met plus au fauteuil, elle reçoit une perfusion la nuit car elle ne s’alimente presque plus, et de semaine en semaine, je suis presque étonnée de la retrouver. Elle gardait les yeux fermés, mais elle a reconnu ma voix. Elle dit « rien ne va plus »… Je lui demande « souffrez-vous ? »… « non, je suis bien ». Comme je touchai doucement sa main, elle prit ma main et la porta à ses lèvres. Silence. Tout à coup, elle a esquissé un signe de croix. Elle a reçu le sacrement des malades il y a quelques semaines, en présence de son fils et moi-même. Je lui dis : « voulez-vous que nous disions une prière ? »… « Oh oui, je vous remercie ». J’ai dit un « Je vous salue Marie » tout en lui tenant la main, qu’elle a à nouveau embrassée. Comme elle gardait les yeux fermés, je lui dis : « voulez-vous que je parte maintenant ? » elle a fait « oui » de la tête. Je l’ai embrassée sur le front, l’ai bénie en lui disant « à bientôt, je prie pour vous ». Est-ce que je la reverrai ? J’ai d’ailleurs fait l’expérience de ce départ "sans faire de bruit" avec mon père, décédé il y a trois ans. Bien que présente chaque jour auprès de lui, je n’y étais pas "à ce moment-là". Heureusement, une soignante s’y trouvait, je dirais presque par hasard … c’est dur, mais c’est ainsi !

Il y a des "limites naturelles". Lorsqu’une personne ne peut rester en vie sans l’assistance d’une machine, est-ce souhaitable ? Quand un traitement lourd ne servira qu’à prolonger de deux ou trois mois, avec une qualité de vie médiocre, cela vaut-il la peine ? Faire mieux connaître la Loi Léonetti, par tous les moyens  possibles, et surtout la faire appliquer, serait sans doute un gros progrès. Je me souviens d’une dame que j’ai accompagnée pendant quatre ans : entrée à 79 ans juste après le décès d’un époux qu’elle vénérait ; couple fusionnel, catholiques engagés, ils avaient six enfants - tous désirés précisait-elle. A chaque rencontre, elle disait en pleurant : « Il me manque, je veux mourir ». Au fil des visites, nous sommes devenues amies, elle disait que je lui faisais du bien. Ses enfants étaient très présents, du moins ceux qui habitaient à Paris, ils m’avaient même invitée chez une de ses filles pour fêter ses 80 ans. Mais ils ne "voulaient" pas entendre cette souffrance. Elle puisait dans la prière, les sacrements et nos partages  - où elle pouvait se confier sans être jugée ni contredite - la force de "tenir", mais au fil du temps son état de santé s’étant dégradé (plusieurs chutes et  hospitalisations), sa demande de "partir" se faisait plus insistante, elle était dépressive. Quand elle fit deux AVC successifs, j’ai cru qu’elle allait être exhaussée. Mais ses enfants "n’étaient pas prêts", ils acceptèrent la sonde gastrique nasale qu’elle arracha, puis celle qui fut branchée directement dans l’estomac. Elle ne pouvait plus parler, mais ses yeux exprimaient tout à la fois colère, tristesse, supplication. Elle partit pour un autre établissement de soins et je ne suis pas retournée la voir. Elle vécut ainsi presque une année. Le médecin interrogé a dit que ce n’était pas de l’acharnement. Je n’en suis pas convaincue. En tous cas, en assistant à ses obsèques, je suis qu’elle était enfin arrivée là où elle souhaitait être. Bien évidemment, je ne suis pas favorable au projet d’une nouvelle Loi, qui risque, à mon avis d’entraîner de nombreuses dérives. Cependant, il y a sans doute des cas qui demandent plus d’attention quant aux soins à engager à leurs conséquences, mais nous ne sommes pas ici dans le cadre du permis / défendu "imposé" par une loi, mais bien dans une réflexion humaine et sensée qui demande à être largement encadrée.

La personne humaine est sacrée

Anicet Kabengera, prêtre à Aulnay-sous-Bois, aumônerie de l’hôpital Robert Ballanger

Les derniers moments de la vie sont particulièrement difficiles. Avec mon regard,j’essaie d’être porteur du message d’amour et d’espérance mais aussi par toute mon attitude : paroles et gestes. Généralement, je vis un double sentiment : la peine devant la souffrance du prochain et le soulagement d’avoir accompagné cette personne au nom de l’Eglise qui m’a confié cette mission. Ceci est un soutien que je trouve important pour le patient et aussi pour sa famille en ces moments particulièrement pénibles. En fin de vie, la personne malade a particulièrement besoin d’être entourée. C’est très important que la famille soit présente. C’est une très grande souffrance si on a la famille et qu’on vit ces moments très pénibles seul.

Nos relations sont influencées par beaucoup de choses, notamment la foi. Il y a des patients qui sont à l’aise avec moi par exemple, d’autres moins. Dans tous les cas, j’essaie de mettre devant l’amour du prochain. Je ne regarde que mon semblable, l’être humain devant moi en souffrance. Je pense qu’il faut d’abord parler de la personne humaine. Qu’est-ce qu’elle est ? Quand est-ce qu’on devient personne humaine ?... Dès l’instant de la conception, à 1 jour, 1 semaine, 1 mois, 2 mois, … Jusqu’où peut-elle aller dans l’exercice de sa liberté ? Nous comprenons différemment et les avis sont partagés. Je suis pour la vie ; la personne humaine est sacrée, elle est à respecter dès la conception jusqu’à la fin.

L'amour avant la sexualité

Bastien Hugue, animateur en pastorale, ensemble scolaire Françoise Cabrini à Noisy-le-Grand

Je suis animateur en pastorale (APS) depuis maintenant six ans. Je suis amené à intervenir auprès des élèves de 11 ans - 6e - à 18 ans -Terminale. Mon travail me fait rencontrer plus particulièrement des élèves de seconde. Ma mission est de faire vivre la présence du Christ dans l'établissement : par l'organisation de célébrations, de temps forts, l'animation d’heures d'animation pastorale - de la 6e à la seconde - et de la présence auprès des jeunes et des adultes. Je rencontre chaque classe de seconde une fois toutes les deux semaines en heure d'animation pastorale. Nous avons créé pour eux, avec François Neut, l'adjoint en pastorale pour l'établissement, un parcours spécifique évoluant chaque année, de réflexion sur la connaissance de soi, l'estime de soi, l'image de soi. Ceci dans un but de leur donner des repères pour les aider à faire leurs propres choix qui soient des choix conscients et réfléchis. Dans ce parcours, il nous arrive d'aborder la question de l'amitié, de l'amour et de la sexualité. De même, lorsque nous travaillons avec les jeunes le thème des valeurs, il s'avère que parmi les valeurs qui sont essentielles à leurs yeux, il y a la famille, l'amour et l'amitié. La sexualité est certes une valeur importante, mais qui n'apparaît pas dans le "top 5". Beau signe que de mettre l'amour avant la sexualité.

Ma fonction d'APS m'amène à travailler avec les professeurs. C'est ainsi que je suis appelé à intervenir auprès d'élèves qui seront, professionnellement parlant, confrontés très prochainement à ces questions. Notamment pour des élèves en Bac Pro ASSP (Accompagnement, soins et services à la personne) et filière ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social). Des futurs aides soignants, infirmiers ou encore professions sociales ou paramédicales. Dans ces cas là, pour répondre de façon plus professionnelle à la demande, je m'accompagne de professionnels du domaine médical. J'ai eu ainsi la chance de travailler à plusieurs reprises avec Claude Scheuble. Il est venu rencontrer nos élèves sur le thème de la bioéthique en abordant les questions du début et de la fin de vie. Un éclairage important pour eux qui sort des questions uniquement techniques de leur futur métier. Nous avons également sollicité d'autres intervenants. Ainsi, j'ai le souvenir d'avoir permis une rencontre entre les sœurs de la Maternité Sainte-Félicité de Paris (Petites Sœurs des Maternités catholiques) et les élèves. Elles ont apporté un témoignage à la fois de foi et de professionnelles médicales. Un beau témoignage  qui a montré la valeur inestimable de la vie créée, et de toute vie en général.

La vie affective et sexuelle des jeunes. En tant qu'animateur en pastorale dans un établissement ou nous avons la chance d'avoir une infirmière scolaire, je ne suis pas tant que ça confronté à des questions de cet ordre. Bien sûr, nous avons des élèves que nous pensons en recherche par rapport à leur sexualité, en recherche de repères d'ordre affectif. Je n'ai malheureusement pas d'exemples concrets à partager. Mais je crois qu'une des grandes difficultés à laquelle je suis confronté sont les contextes familiaux. Nombre de jeunes expriment un certain mal être ou manque quant à des familles éclatées. Séparations, repères différents entre le père et la mère. Un jeune à besoin de repères solides pour grandir. Certes, l'école se doit d'être un repère pour le jeune. Cependant, ce repère est nécessaire mais pas suffisant. Il y a encore le cas de familles dans lesquelles les parents travaillent énormément. Partent tôt le matin. Rentrent tard le soir. Certains jeunes en souffrent. Il s'agit alors d'apporter des éléments de réflexion sans juger les parents. Je ne peux juger une situation que je ne connais pas ou très peu. Ce témoignage s'est présenté le jour où j'abordais avec eux le thème du carême : un temps pour profiter plus de l'entourage familial… Difficulté à me faire entendre dans mes convictions. Mais les jeunes restent tout de même convaincus que si on se marie, c'est pour la vie entière.

Je ne suis pas psy, ni médecin, ni infirmier ni même conseiller familial ou social, ni même encore parent. Je suis animateur en pastorale, dans un établissement privé catholique d'enseignement. Je considère mon rôle comme celui d'apporter aux jeunes des repères. Je suis là pour les accompagner dans la construction de leurs personnalités et dans leurs choix, en appui à un enseignement qu'ils reçoivent des professeurs. Mon apport peut être aussi de l'ordre du témoignage personnel. Mais il est alors affiché comme tel. Je suis là également pour recueillir la parole des jeunes. Certains jeunes ont besoin de s'exprimer et d'être écoutés. Je considère que ma présence "gratuite" est importante, mais nous faisons comprendre aux jeunes que la solution à leurs problèmes ou réponses à leurs questionnements doivent provenir d'eux mêmes. Pas de nous.

Eclairer les consciences sans briser la liberté de chacun. Briser la liberté de chacun consisterait à leur apporter des réponses toutes faites, établies en fonction de mes propres valeurs. Afin de ne pas tomber dans cet écueil, il ne faut pas répondre à leur place. Je considère donc que je suis là pour les aider à se poser les bonnes questions. Une fois les bonnes questions posées, ils peuvent y répondre librement, en fonction de leurs repères, leurs valeurs, leurs choix. Se poser les bonnes questions consiste parfois à devoir se concentrer non sur les symptômes d'un problème, mais sur les causes.

Aujourd'hui, les médias sont omniprésents. Ordinateur, smart phone, TV, Internet, réseaux sociaux … Magazines people … Ils en sont de gros consommateurs. Ce constat a selon moi une conséquence : ces médias deviennent la source principale de leurs repères. Un jeune qui rencontre un problème, ou qui se pose des questions, va essayer le plus souvent de trouver des réponses sur Internet. Une vitrine de réponses qui n'implique pas le besoin de verbaliser leurs problèmes. Les parents sont de moins en moins source de repères. Il y a aussi les amis vers lesquels ils se tournent. Le problème est que leurs amis sont sûrement confrontés aux mêmes difficultés. Il y a un manque de recul. Je peux également voir que les réseaux sociaux ont banalisé le concept d'amitié et de relation. Et celui de "j'aime" "j'aime pas". L'amitié peut se faire et se défaire en un clic. Mais heureusement, encore plein de jeunes se tournent vers leurs parents en qui ils trouvent des repères stables.

Redonner une place à la personne

Bénédicte Richoux, responsable d’une équipe d'aumônerie en Ehpad
Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

Je suis amenée par cette mission à accompagner les personnes en vie vieillissante, car à quel moment commence la fin de la vie ? De nombreuses personnes en établissement se sentent en fin de vie ou du moins expriment souvent que leur vie peut se terminer maintenant ; qu'elles sont lasses de vivre, que leur vie ne vaut plus le coup d'être vécues ; qu'elles ne servent plus à rien ; que leur vie n'a plus d'intérêt ; que c'est long … Cette plainte est d'autant plus exprimée quand la famille est peu présente ou qu'elle est à l'origine du "placement". Dans ce contexte, ma visite est un moment important qui redonne une place à la personne. La visite de l'aumônerie est d'abord un temps d'échange, de relation gratuite avant de déboucher peut-être sur un temps de prière et de rencontre plus spirituelle. J'ai été heureuse de parfois pouvoir confier des enfants du catéchisme à leur prière. Les personnes peuvent dire qu'elles sont touchées par notre présence : « Vous me faites du bien, je vous aime bien vous savez ».

Les contacts se nouent facilement avec les familles, même si je m'efface dès qu'une famille arrive, car je sais que c'est cette présence qui est la plus attendue. Il ne faut pas non plus que la famille puisse être jalouse d'une grande intimité avec leurs parents. Les contacts se font d'autant plus forts que le parent rentre dans l'approche de la mort. La prière peut être proposée et bien accueillie. L'accompagnement final est souvent interrompu par l'hospitalisation ou par la "plonge" dans un état comateux. C'est là que la présence de la famille - si elle désirée - est importante et appréciée. Et cette présence va au-delà de la mort par une présence au funérarium, au cimetière ou à l'église. Des liens sont aussi créés avec le personnel quand nous visitons dans la durée. J'ai été émerveillée par l'accompagnement qu'a pu faire une résidante auprès d'une autre apparemment complètement désorientée ; elle lui donnait son chapelet à embrasser et madame X a eu des signes de reconnaissance.

Ouvrir aux jeunes un espace de parole spécifique

Juliette Houriez, psychologue de l’éducation

Après cinq années d’études de psychologie, et une spécialisation en « Education et santé », j’exerce actuellement dans les établissements scolaires de l’Enseignement catholique de Seine-Saint-Denis. Je réalise, entre autres, des permanences d’écoute. Il s’agit de temps de présence réguliers dans des collèges et lycées où les élèves qui le souhaitent peuvent venir me rencontrer. Ce sont donc des jeunes âgés de 10 à 18 ans qui sont amenés à venir me voir. L’objectif de ces rencontres est d’ouvrir un espace de parole spécifique. De par mon métier, je suis soumise au secret professionnel, ce qui rassure les élèves. Par ailleurs, il n’est pas ici question d’effectuer un travail de thérapie mais bien de permettre aux jeunes de s’exprimer et de désamorcer ainsi des situations difficiles. Ces rencontres se font à l’initiative des jeunes : aucun jeune ne me rencontre de façon contrainte - ce qui de toute façon n’incite pas à se livrer - même si les professeurs peuvent rappeler ma présence à un élève qu’ils sentent en difficulté.

Sur les questions de la vie - notamment la sexualité - les élèves qui viennent me voir ont relativement peu de questions concernant ces domaines. Leurs difficultés se concentrent plutôt sur les relations : familiales, amicales, envers certains enseignants, envers eux-mêmes ou sur des situations vécues : violence, séparation familiale, difficultés scolaires, peurs, … Nous pouvons faire l’hypothèse qu’ils abordent les questions de sexualité dans d’autres lieux : entre jeunes du même âge, dans leur famille. Il est également important de noter que la majorité des élèves qui choisissent de venir me voir sont des collégiens, moins concernés par les questions de sexualité que les plus grands.

Les élèves qui viennent me voir sont généralement des élèves qui vivent un mal-être. Ils ne savent pas toujours à qui s’adresser et ont besoin d’un espace sécurisant pour parler de ce mal-être et des raisons qui le sous-tendent. Ce mal-être est bien souvent lié à des difficultés relationnelles. Les problématiques ne sont pas nécessairement dramatiques mais tous ont besoin de soutien et de poser des mots sur ce qu’il se passe en eux. Pour éclairer les consciences sans briser leur liberté, je dois rester dans l’ouverture et l’absence de jugement. Mon travail consiste à écouter le vécu et le ressenti des élèves, à les questionner de façon ouverte pour leur permettre de mettre des mots sur ce vécu et éviter ainsi qu’ils ne se renferment sur eux-mêmes ou choisissent le passage à l’acte. Quant à l’impact des réseaux sociaux sur leurs comportements, chaque jeune aura une posture différente. Les réseaux sociaux sont avant tout un très grand moyen de communication qui supprime quasiment les notions d’espace et de temps. Il s’agira donc avant tout d’un outil qui va pouvoir accentuer certaines difficultés relationnelles préexistantes mais qui ne les créera pas nécessairement.

Le mystère de la rencontre, de l'inconnu

Cathy Bertrand, équipe d'aumônerie de l'hôpital de Montfermeil

En tant qu'infirmière, le temps passé auprès de la personne hospitalisée se limitait souvent aux soins. J'ai souvent dit qu'il me manquait un temps d'écoute, de présence, un temps pour le relationnel. J'ai entendu parler du service d'aumônerie pendant les rencontres d'équipe pastorale de la santé. Je me disais que ce service d'Eglise semblait correspondre à mes attentes. J'attendais simplement d'être disponible. Je me suis donc lancée… J'ai été bien accueillie dans l'équipe de Montfermeil. J'ai choisi de visiter le service de gériatrie. Mon métier m'a aidé à prendre mes marques dans le service. Mais il a fallu me positionner de l'autre coté de la barrière, je ne suis plus là en tant que soignante ! Au retour de mes premières visites, j'avoue avoir été un peu "frustrée" par le coté éphémère des rencontres. Il est très rare que je revois une personne d'une semaine à l'autre. Bien souvent, le temps d'hospitalisation est assez court. En y réfléchissant, je me dis que cela fait partie de la mission. Etre présente à un moment donné, gratuit, sans suite. Autant de visages rencontrés à évoquer, à rassembler dans mes prières. Ce qui me plaît, c'est ce mystère de la rencontre, de l'inconnu. En entrant dans la chambre, je ne sais jamais ce qui va se produire, qui je vais trouver.

Je rencontre beaucoup de personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer avec lesquelles le dialogue est souvent difficile mais le sourire est souvent présent sur leur visage. D'autres personnes sont hospitalisées en attente d'une solution car elles ne peuvent plus restées seules (chutes, difficultés à se déplacer, …). Je ressens souvent leur désarroi, leur tristesse de devoir quitter leur domicile, d'être placée. Sentiment de dépendance, dégradation de leur image renforcés par les conditions d'hospitalisation qui ne sont pas idéales - obligation d'uriner dans les protections car le personnel, souvent en sous effectif, ne répond pas toujours rapidement aux sollicitations. « Ce n'est pas beau de vieillir, je fais de la peine à mes enfants ». Elles partagent aussi leur solitude. « Mes enfants sont loin, je ne peux plus aller les voir, ils me téléphonent mais ce n'est pas pareil ». Je suis toujours surprise par le fait que les personnes se confient très facilement. Les personnes âgées ont un grand besoin de parler. Elles évoquent leur passé, ce qui a compté dans leur vie. Leurs visages s'illuminent. Quand je les quitte, je sens bien qu'elles ont été heureuses de cet instant.

Un jour, je rentre dans une chambre. Une dame est assise dans son fauteuil. Elle semble triste. Je me présente. D'emblée, elle me dit qu'elle doit sortir demain, mais que son état de santé ne lui permettra pas de rester dans son foyer résidence. Elle se fait du souci car une maison médicalisée coûte beaucoup plus chère, elle va devoir demander une participation à ses enfants. « C'est moche la vie », me dit-elle. Je rebondis en lui faisant dire ce qui a été beau dans sa vie, ses enfants, son mariage, sa vie de travail. Finalement, elle me confie que ma visite lui a fait du bien et s'excuse de m'avoir dérangée ! J'ai aussi des liens avec les familles au cours des visites, souvent dans le cas de personnes en fin de vie. Cela leur fait du bien de parler, d'évoquer la vie de leur parent.

Notre mission au sein de l'aumônerie est guidée par Jésus Christ. Mais il n'est pas toujours facile d'aborder la religion avec les personnes visitées. Je me présente auprès d'eux comme faisant partie de l'aumônerie catholique de l'hôpital. J'ai un badge. La plupart des personnes reçoivent cette visite sans a priori. Il m'arrive de rencontrer des personnes de confession musulmane et d'avoir aussi de bons contacts. A la fin de la visite, il m'est arrivé plusieurs fois de dire le « Notre Père » avec le malade. Je donne parfois une image avec une prière, mais ce n'est pas systématique. Il faut être attentif, accueillant pour percevoir un désir de partage autour de la foi. Etre attentif aux mots exprimés, mais aussi aux silences. Il est important de rester humble, d’être à l'écoute et de respecter la personne que l'on vient visiter. Le Christ est venu pour tous les hommes et je pense que ce service de présence auprès des personnes malades est vraiment en accord avec cela. Je vis là de façon concrète ma mission de baptisée. Ce n'est pas toujours facile d'être disponible dans sa tête et son cœur le jour des visites ; il faut quelquefois se pousser pour faire les visites. Quand je reçois un sourire, un « merci de votre visite », je sais que je n'ai pas perdu mon temps et que ce temps là était important.

L'importance des relations avec le personnel soignant. Petit à petit des liens se créent. Ils nous connaissent, nous reconnaissent, voient comment nous sommes auprès des personnes malades. Ils peuvent nous signaler une personne qui a besoin d'une visite, qui a demandé à rencontrer une personne de l'aumônerie. Le dialogue et l'échange avec eux font partie de notre mission. La fin de vie est un sujet d'autant plus délicat qu'il aborde en fait la mort. Ce mot qui fait souvent peur. Il me semble que le maintien à domicile le plus longtemps possible est un facteur qui améliorerait la fin de vie. Déraciner les personnes âgées revient souvent à accélérer leur déclin. L'amélioration des conditions d'accueil, la prise en charge dans les services de gériatrie sont encore à améliorer. En ce qui concerne les paroisses, les liens entre le service évangélique des malades (SEM), les aumôneries d'hôpitaux et de maisons de retraite sont loin d'être assez développés.

Les ouvriers de la 11e heure

Christian Brunet, prêtre
15 ans à l'hôpital Avicenne à Bobigny, aujourd’hui à l'établissement Sainte-Marie de Villepinte

Un homme a connu la prison. Torturé par ses fautes personnelles, après de longs dialogues avec lui, et le récit complet de sa vie, il demande pardon au Seigneur et se réconcilie avec lui. Il s’était éloigné de lui après son rôle d’enfant de chœur. Je me sens petit ; ce n’est pas l’efficacité de mon action à moi ; je m’incline devant la grande miséricorde du Seigneur qui agit en lui et lui pardonne tout.

Un autre homme, corse, m’avait mis à la porte de sa chambre, tellement il était bouleversé par sa maladie. Je lui dis simplement : « Si vous voulez me revoir, c’est à vous de m’appeler. » Quelques jours après, il m’appelle pour le visiter. Il demande pardon et se confesse. J’ai pu dire à son épouse et au médecin, corse lui aussi : « Il a retrouvé la paix. » Peu après, il a communié. Quand tout est fini, il me dit : « Je retrouve le Seigneur après 50 ans d’abandon. » Il quitte l’hôpital et retourne dans son  île. Là-bas, avant de mourir, il se réconcilie avec toute sa famille, ses amis, ses collègues. Puis, il est décédé. C’est grâce au médecin corse que j’ai appris comment il a bien vécu sa fin de vie.

Je rends grâce au Seigneur. Il agit, plus qu’on ne le croit, à travers ses sacrements de vie. Devant de tels faits, on ne peut être que témoin du travail de l’Esprit-Saint, dans le cœur de chacun. Et le résultat nous dépasse tellement qu’on ne peut que participer humblement et en témoigner.

Quand l'éthique s'incarne dans un cabinet médical

Jean-Luc Augé, médecin, diacre permanent

Elle a 41 ans. Elle est seule sans enfant. Elle est enceinte d'un amant de passage. Elle se pose la question d'une interruption de grossesse. Nous évoquons ensemble le fait que c'est probablement sa dernière possibilité d'avoir un enfant, mais aussi les difficultés d'élever un enfant seule. Elle décide de poursuivre sa grossesse et se lance dans l'aventure de la maternité.

Elle a 13 ans. Elle est enceinte. C'est son premier rapport sexuel. Son copain a 14 ans. Elle a encore son "dou-dou". Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, ne se sent pas prête à être mère. Des entretiens dans un centre de planning familial, elle décide d'interrompre sa grossesse.

Elle est arrêtée par son mari alors qu'elle tente de jeter son nouveau né par la fenêtre. Elle est dépressive. Elle se vit comme une mauvaise mère, une mère incapable. L'accompagnement de son mari, un traitement, des entretiens réguliers, la restaure, l'amène à trouver sa place par rapport à sa propre mère, à se sentir capable de s'occuper de son enfant et d'y trouver du bonheur.

Elle vit avec une femme. Elle veut être mère. Elle va en Belgique pour trouver un donneur. Elle est enceinte. La grossesse se passe bien. La naissance aussi. Elle est heureuse de ce qu'elle donne et reçoit de son fils. Les difficultés relationnelles avec sa compagne, préexistantes à la grossesse, s'amplifient. Elle envisage une séparation. Elle prend conscience des liens de l'enfant tissés avec sa compagne et de la nécessité de faire perdurer ceux ci.

Elle est dépressive. Sa dépression est sévère. Elle a deux enfants. Déprimée pendant sa deuxième grossesse et après la naissance ; son fils a de gros retards de développement du fait de la carence maternelle. La famille est en difficulté, le couple souffre. Elle est enceinte. Elle prend un traitement non sans risque pour le fœtus. Elle décide de pratiquer une interruption de grossesse.

Elle vit en couple. Depuis plusieurs années, ils essaient, sans succès, d'avoir un enfant. Plusieurs fécondations in vitro et réimplantations utérine se sont soldées par des échecs. Elle exprime sa souffrance de ne pouvoir donner la vie. Une nouvelle implantation, avec don d'ovocyte, va être pratiquée. Elle se pose des questions : on est mère quand on est mère biologique ; est-on aussi mère quand on désire cet enfant, quand on le porte, quand on lui donne vie, affection, tendresse et éducation ?

Désir d'enfant, maternité difficile, parfois impossible. Ces histoires, uniques, retracent des parcours de vie compliqués. Les réponses, loin d'être idéales, ne peuvent être simples et sans risques. Mais,  n'est-ce pas le propre de la vie que d'être complexe et risquée ?

Plusieurs axes soutiennent ma réflexion et mon accompagnement : la conviction que toute vie est sacrée (celle des enfants, celle des parents). La mission du médecin : porter assistance, soulager mais ne pas nuire. Le cadre législatif qui permet au médecin d'apporter aide et assistance. Un accompagnement bienveillant qui permet réflexion éclairée et décision la plus libre possible. Un chemin ensemble qui permette à ces patientes de se restaurer, de se relever, de grandir en humanité.

Porter la communion, un enrichissement personnel et de foi

Monique Orlandi, Aulnay-sous-Bois
Assure le Service évangélique des malades (SEM)

Mon engagement dans le Service évangélique des malades consiste à visiter des personnes âgées, à leur domicile, en résidence ou en maison de retraite, pour leur porter la communion… ou pour une simple visite. Qu’appelle-t-on la « fin de vie » ? S’il s’agit du moment proche de quitter la vie terrestre, je n’ai que l’expérience vécue auprès de ma tante, en milieu rural, qui a été accueillie par sa famille entourée de ses enfants, en hospitalisation à domicile. Des soins efficaces et humains, pas de souffrances, une sérénité. Pour moi, la « fin de vie » - qui ne veut pas dire arrêt de toute vie ni inutilité -, est manifeste quand l’âge ou la maladie réduisent l’autonomie. Autrement dit, la fin de vie peut durer très longtemps quand on reste à son domicile sans pouvoir en sortir, réduit à attendre une visite : visites rapides de l’infirmière, de l’aide-ménagère, de la personne qui livre les repas, ou celles, plus longues mais aléatoires, de visiteurs, voisins, amis ou bénévoles - je pense en particulier à une voisine qui n’a plus de famille. C’est encore quand, contraint par un handicap, on entre dans une maison de retraite. Les meilleurs établissements sont ceux qui proposent des animations ou des lieux de vie. Ce n’est pas le cas de tous, même s’ils ont tous en commun le coût, la promiscuité  - pas la proximité -, l’attente : attente de l’aide-soignante pour le lever, la toilette, les soins, l’attente des repas, l’attente d’une visite, l’attente pour le coucher ... Bien des personnes - comme ma tante - passent leur journée dans le sas d’entrée, un lieu vivant par excellence !

Cette expérience d’accompagnement avec la personne à qui je porte la communion est un enrichissement personnel et de foi. Environ tous les quinze jours, c’est une heure de visite avec des échanges sur les événements de la vie, une lecture méditée des textes de la liturgie du jour, une prière commune. Souvent, un grand découragement et une profonde tristesse m’envahit au sortir de ma visite à cette amie en maison de retraite… face à mon impuissance. Elle n’a plus de famille, donc aucune visite. Elle est totalement dépendante. Elle ne peut sortir seule pour faire des courses ou pour des démarches administratives. Mon éloignement géographique ne me permet pas d’assurer un suivi régulier.

Je n’ai visité que des personnes que je connaissais avant leur changement de situation. Me rendre régulièrement dans la maison de retraite favorise le sourire avec les personnels soignants, et le « bonjour » complice avec d’autres résidents. Cela va rarement au-delà car pour toutes mes visites, je ne suis pas habilitée à intervenir dans leur vie ou leur état de santé. Quant aux derniers moments de la vie, je n’ai pas assez d’expérience. Toutefois, il me semble que les soins palliatifs - dans la définition que j’en connais - apportent présence, respect, aide aux personnes, que ce soient pour les malades et les familles. Respect et dignité de la personne humaine consiste à ne pas laisser la souffrance physique s’installer et déshumaniser la personne. Ce qui signifie apporter les soins calmants, même à fortes doses. Quant à la souffrance morale, elle ne se mesure pas et je ne sais pas ce qui peut-être fait.

Les personnes que je rencontre me transforment

Régine Néel, Montreuil-sous-Bois
Assure la visite régulière de personnes très âgées

Je rencontre deux après-midi par semaine, des personnes très âgées que je vois décliner, parfois très vite et partir. J'avais toujours espéré ne pas devenir vieille, redoutant avant tout la souffrance et la dépendance. Je dois dire que la première année de mes visites a plutôt renforcé ce sentiment. Et voilà que, peu à peu, dans un grand dénuement, les personnes que je rencontre contribuent à me transformer jusqu'à élaborer pour moi des projets pour une possible vieillesse en grande dépendance. Pourquoi ce revirement ? La fréquentation de ces nouveaux amis en quête d'une présence, d'un sourire, d'une caresse… me parle de Vie, voire de résurrection pour aujourd'hui. Quel que soit son état, une esquisse de sourire, un clignement de paupière, un frôlement furtif de la main, me disent que celui, celle que je rencontre est bien un « vivant » qui ressent autour de lui une atmosphère bienveillante ou non. J'entends chez certains, de façon récurrente : « C'est trop long… tous les soirs, je demande au bon Dieu de ne pas me réveiller. » Et la même résidente me dire la semaine suivante : « Non, j'ai annulé mon rendez-vous à l'hôpital… vous pensez, par un froid pareil, je serais morte en route ! » D'une semaine à l'autre, je découvre combien le regard que nous portons sur des personnes, certes très détériorées physiquement, contribue à les détruire un peu plus ou, au contraire, à les restaurer dans leur dignité. Je crois, je constate, que le sentiment de dignité de chacun peut fluctuer d'un moment à l'autre selon la façon dont l'autre le regarde ou le touche. Ainsi, la toilette peut être vécue comme un moment crucial ou privilégié, un moment douloureux dont on attend qu'il passe, mais si la soignante sait avoir des gestes et des paroles, empreints de tendresse, de délicatesse, ce peut être un moment de rencontre agréable et restauratrice.

Je me souviens de ma belle-mère au cours de ses derniers mois en séjour en hôpital. Un jeune stagiaire venait pour la toilette. Elle lui confie : « Vos collègues ont voulu nous jouer un bon tour, laissons-les rire… » Une façon bien à elle de dire qu'elle est consciente, participante, dépendante certes mais sans pour autant avoir perdu le jugement et le sens de l'humour. Bien sûr, accompagner le grand âge dans les soins quotidiens relève de la « vocation » au sens le plus noble du terme. J'admire la patience de cette jeune soignante qui coupe, lime, polit, peint les ongles d'une main tremblante, et passe à la suivante… ayant toujours pris le temps de laisser la "cliente" choisir sa couleur. J'admire parce que cela restaure l'image que la personne porte sur elle-même. « Je ne m'étais jamais occupée de mes ongles. C'est joli n'est-ce pas ? » Expression radieuse. Je vaux la peine qu'on prenne du temps pour moi, pour me rendre un peu d'éclat.

Comment oser dire qu'un tel serait devenu un légume ? Je me souviens de cette femme maintes fois visitée à l'hôpital. Ce jour-là, je viens avec une visiteuse débutante et l'infirmière me souffle : « Il était temps de venir, depuis trois jours elle n'est plus du tout là ». J'entre dans la chambre, effleure son front comme d'habitude. Sans bouger, sans ouvrir les yeux, cette dame m’interpelle : « C'est qui avec toi ma tiote ? » (ainsi m'appelait-elle). Mon rêve ? Que tous, chacun, puissent vivre leurs derniers moments entourés de gens qui les aiment et le leur disent en paroles et en gestes. Je me souviens de cet homme perdu devant sa maman. Je lui suggère de lui faire sentir sa présence ; il hésitait, regardait ses grandes mains calleuses. C'est la maman qui a avancé sa main. Je crois que jusqu'au bout, l'être humain demeure une « personne » en appétence relationnelle. Alors …

La certitude que c’est Dieu qui agit

René Morisi, prêtre au Bourget
Aumônerie en maison de convalescence et à l’hôpital de Montreuil

A la maison de convalescence du Bourget, j’assure un accueil, une reconnaissance des personnes, et la distribution de la communion. Souvent, avec les personnes d’accueil à l’entrée, un long dialogue sur les rentrants, leur comportement face à la maladie et surtout un dialogue de réconfort, de soutien, lorsque les personnes allant et venant à la salle à manger par le hall d’accueil. C’est important pour les malades car au-delà de la maladie, la convalescence, la rééducation longue, difficile et pénible, c’est un geste d’amitié et un appel à supporter la maladie, les inquiétudes et même les perspectives d’avenir lors du retour à la maison.

« Relecture » avec les personnes de l’aumônerie. Une écoute longue et détaillée des rencontres diverses lors du passage de chambre en chambre, des sacrements donnés dans des circonstances diverses et souvent des situations compliquées, des cérémonies d’obsèques et bien entendu toutes les questions que toutes ces réalités vécues posent à la personne qui visite dans sa propre vie et dans sa foi et sur la mission qui lui est confiée à l’égard des malades.

La fin de vie. C’est un moment difficile à vivre tant pour le malade et pour la visiteuse, pas seulement dans la perspective de la mort mais dans la manière de vivre au jour avec la présence ou non des familles. La question de l’au-delà n’est jamais venue ni dans les visites ou de la relecture mais celles de la foi, de la vie chrétienne, de la souffrance.

A l’aumônerie de l’hôpital de Montreuil, plusieurs fois est venue une relecture sur des baptêmes quelques instants avant de débrancher l’enfant. La certitude que c’est Dieu qui agit et donne son amour et que la personne qui baptise n’est à ce moment-là que l’instrument dans les mains de Dieu. Le baptême est bien la vie de Dieu donnée à l’enfant comme à un vivant même si la vie se termine quelques instants après en vie éternelle. Manifester aux parents, malgré la souffrance de la séparation et de la mort, que c’est un acte d’amour humain et d’amour de Dieu (une famille antillaise est allée s’habiller en vêtements de fêtes pour la célébration du baptême avant de débrancher l’enfant).

Lors d’obsèques avant le départ du corps. Un texte court de la parole de Dieu, une prière souvent le Notre Père. Surtout, une longue écoute de la famille - les enfants, les petits enfants, conjoints ont souvent des interrogations sur la mort et l’amour de Dieu à ce moment-là. Là encore, reconnaissance d’un acte humain vécu ensemble et certitude de la personne de l’au-delà. Les familles sont sensibles à un moment de rencontre et heureux d’être reconnues dans leur souffrance et un temps d’amour et d’amitié vécus ensemble. Les visiteurs soulignent la délicatesse du personnel soignant dans les divers services et j’ai moi-même remarqué à la maison de convalescence, la présence et l’attention respectueuse des infirmiers et des aides-soignantes. Lors des premières « relectures » avec l’équipe de Montreuil, l’inquiétude avant les visites, la crainte de ne pas savoir, de ne pas trouver les mots, comment cela va se passer et si on pose des questions, trouver quoi répondre. Et après la visite, remerciements et action de grâce au Seigneur à cause de la confiance perçue et une fois de plus la certitude que c’est Dieu qui agit.

Etre aidée le moment venu par des soins palliatifs

Maryse Urdapiletta, Montfermeil
Assure le Service évangélique des malades, des visites à domicile

En tant que bien portante - pour l’instant ! -, je vais visiter à leur domicile, des personnes seules ou malades. Je vais aussi voir à l’hôpital une amie de ma famille, cela deux fois par semaine. J’ai toujours pensé que la vie nous est donnée comme un cadeau précieux et qu’elle doit être respectée jusqu’au bout… la personne en fin de vie ayant droit à se préparer, à son rythme, à sa mort ; mais, j’ajoute ne pas avoir été confrontée à une souffrance intense ; que penserais-je alors ? Alors que je suis en bonne santé, je voudrais, le moment venu, être aidée par des soins palliatifs si c’était nécessaire.

Dans cet accompagnement, je constate une grande solitude, aussi bien à l’hôpital qu’à domicile et une soif de visites ! Même si la famille entoure la personne seule ou âgée, une souffrance devant le vieillissement qui empêche de réaliser les mêmes activités qu’auparavant, devant le fait d’être « à charge » ou « inutile » (mots entendus) mais aussi ce côté positif de chrétiens : « Je prie toute la journée, c’est encore ce que je peux faire. » J’ai été très marquée par cette personne, hospitalisée depuis près d’un an, voisine de chambre de la dame que je vois régulièrement. Timide et peu visitée - son mari et ses deux enfants étant décédés -, ayant été transportée de la maison de retraite à l’hôpital, elle était démunie de tout : pas un centime, pas un crayon, pas de montre, pas de lunettes, cela depuis onze mois… Je n’avais jamais vu un tel dénuement.

Toutes les personnes sont reconnaissantes envers la visiteuse et l’expriment par des mots : « Voilà ceux que j’aime », « Votre visite me fait du bien mais je ne voudrais pas que vous vous fatiguiez » … Un sourire, un geste de la main quand j’arrive. Les deux personnes à qui j’ai porté la communion expriment leur joie et « l’honneur d’avoir Jésus présent à leur domicile, « une aide dans leur vie de malade. La plus grande souffrance est le sentiment d’inutilité qu’elles ressentent, leur manque de vie sociale, leur solitude. Je tisse facilement des liens avec le personnel soignant que je remercie de leur dévouement et de leur respect devant la personne malade ; je connais la famille des personnes que je vais voir à domicile et cela renforce les liens existants. J’ai pu dire aussi à une aide soignante que la malade, très diminuée, avait été une personne très active dans son quartier et très appréciée par son accueil de chaque nouvel arrivant ; j’ai vu son étonnement… respectueux.

Etre chrétien change la nature de la relation bien sûr ; c’est toute une conception de la vie… et de la mort qui est en jeu : l’entraide, la compassion, le respect sont des sentiments communs à beaucoup de personnes et les chrétiens n’en ont pas l’apanage mais les croyants des religions monothéistes vivent une espérance. Ils croient à une vie durable après la mort, vie que nous appelons « éternelle ».

Mieux accompagner les personnes dans les derniers moments de la vie, c’est tout un choix de société ! Les adultes sont "pris" par leur métier, leur famille, les difficultés de leur vie… Mes enfants ont tout laissé pour être au chevet de leur père mourant… Eux qui ne pratiquent plus ont trouvé les mots justes pour expliquer la mort à leurs enfants. J’ai beaucoup apprécié cela. Il faudrait que beaucoup plus de malades, en fin de vie, puissent bénéficier de soins palliatifs et de la présence de leurs proches. Je suis de l’avis du  médecin de famille qui a soigné ma belle-mère atteinte d’un cancer : « Tant qu’il y a de l’espoir, je soigne ; mais après, chaque personne a le droit de mourir dans la dignité ». Autrement dit : pas d’acharnement thérapeutique. C’est ce que je voudrais pour moi et je vais le notifier à mes enfants.

Repères


Réflexion éthique
• Responsable : Claude Scheuble

Pastorale familiale
• Délégué diocésain : Père Frédéric Benoist

Pastorale de la santé
• Déléguée diocésaine : Jacqueline Rossi

Ecrire à : Maison diocésaine Guy Deroubaix, 6 avenue Pasteur - BP94 – 93141 Bondy Cedex
Tél. : 01 48 47 91 35

 

A lire...

• L'encyclique Humanae vitae, Paul VI, 1968, avec note pastorale des évêques de France
- les textes sur la bioéthique

Le soin des malades en fin de vie, P. Patrick Verspieren, Documents Episcopat n°11/2012 - 4,50 €

Dignité et vulnérabilité au cœur du débat éthique, Mgr Pierre d’Ornellas – Documents Episcopat n°6/2010 - 6,50 €

 

A voir...

Le site Internet du Service famille et société apporte des repères sur la pensée sociale de l’Eglise

Blog Bioéthique (groupe de travail des évêques de France)