Homélie du Père Gabriel Priou, aumônier du Rocher à Marseille, neveu du Père François Maury
1/ « Bienheureux vous les pauvres, le Royaume des cieux est à vous. »
Bienheureux ! Bonheur ! joie ! Ce qui est promis dans cet évangile, c’est la joie, un bonheur sans limite, un bonheur exigeant et sans compromission, mais un bonheur possible parce que Dieu en est l’âme. Merci François de nous rappeler aujourd’hui que l’authentique béatitude, c’est de connaître le Christ, le bonheur véritable c’est de vivre du Christ, la vraie joie, c’est de partager le Christ. Ces béatitudes ont habité ta vie, tu les as conjuguées à ta manière, sortant des sentiers battus, forçant parfois l’establishment de l’Eglise en n’acceptant pas le prêt à penser de l’époque, accentué par ton originalité (original : dérangeant et parfois dérangeur) inscrite dans les gènes Maury avec ce petit côté facétieux qui l’accompagnait. Ton seul souci : partager et faire connaître ce trésor qui habitait ta vie : le Christ, et son amour pour les hommes. Alors on te pardonnera tes coups de gueule, tes incartades ! Car ton intention était droite, tu ne roulais pas pour toi, mais pour le Christ et son Eglise. Bon serviteur de Dieu, entre dans la joie de ton Seigneur.
2/ « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité »
Cette affirmation de saint Paul dans sa lettre aux chrétiens de Thessalonique, écrite à peine 20 ans après la mort du Christ, n’est pas le résultat d’une cogitation de théologiens en chambre, mais le fruit d’une rencontre personnelle. Saint Paul, l’avorton de Dieu, le persécuteur des chrétiens, a vu le Christ ressuscité sur le chemin de Damas ; il en a été transformé, habité ; « pour moi, dira-t-il, vivre c’est le Christ et mourir est un avantage [1] »
François à sa manière a vécu ce retournement intérieur dans sa vie de prêtre dans les années 70. Il a expérimenté cette force du Saint Esprit qui l’a établi dans une foi solide et une vive espérance. Il nous dit aujourd’hui à la suite de saint Paul : « Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité.[2] » Cette confession de foi paisible et ferme en même temps, combien de fois ne l’avons-nous pas entendu de sa bouche. Tout passe, seul le Christ ressuscité demeure.
Cette foi n’a pas été toujours de soi ; je l’ai vérifié quand je le visitais à la Maison Marie-Thérèse. Ce fut un combat dans ces dernières années : criblé par le Démon qui tentait d’ébranler son édifice intérieur, François fut éprouvé dans sa foi. Mais affermi à l’école du Psaume : « Je cherche le Seigneur, il me répond, de toutes mes frayeurs, il me délivre.[3] » il trouvait dans la parole de Dieu la lumière pour sa foi, la lumière pour sa route.
« Je cherche le Seigneur… » François était de la race des chercheurs, ne se contentant jamais d’explications médiocres mais confrontant toutes les grandes questions de la vie à l’aune de la parole de Dieu et de la foi de l’Eglise.
3/ L’espérance !
Nous avons entendu dans la première lecture : « Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme ceux qui n’ont pas d’espérance.[4] »
J’ai eu la joie d’avoir François samedi soir dernier au téléphone, veille de sa mort, et je lui posais la question : « François, ton espérance ? » La réponse fut spontanée, immédiate : « Mon espérance, c’est le ciel ! » Comme lui, nous sommes invités à saisir cette espérance qui nous est offerte, dit encore saint Paul, « comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide et pénétrant jusqu’au ciel [5] ».
(Je pense à demain 8 décembre où à Oran en Algérie, 19 témoins de la foi tués dans les années noires 93-96 seront béatifiés martyrs d’Algérie, pour leurs vies données à ce peuple en souffrance dans une invincible espérance.)
L’espérance encore, c’est saint Paul aux chrétiens de Rome : « ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien.[6] » Combien d’entre nous avons bénéficié de l’écoute bienveillante, sans jugement du Père Maury : dans nos joies comme dans nos peines, quelques soient nos parcours de vie, quelques soient nos échecs, nos épreuves, nos souffrances et découragements, et même nos hontes non dites, on se sentait compris : François nous relançait dans l’espérance ; et on savait qu’il nous prenait dans sa prière et son fameux bréviaire qu’il disait pour nous… Ah ! Ce bréviaire… ! Merci Père François de l’avoir dit fidèlement dans l’obéissance, pour l’Eglise… pour chacun de nous.
D’année en année : pensez ! 68 ans de sacerdoce, sa prière s’est simplifiée de plus en plus. Le mois dernier avec ma sœur Agnès, il nous partageait cette prière qui l’habitait et reprenait la grande doxologie de la fin de la prière eucharistique, : « Par Lui, Avec lui, en Lui, A toi Père tout puissant, providentiel et mystérieux, dans l’unité du Saint Esprit qui est Dieu, tout honneur, tout gloire, pour les siècles des siècles. Amen. »
Il l’a priée devant nous dans un souffle, et pourtant avec une force et une conviction étonnante.
Dimanche dernier à 11 heures, juste avant la messe, il a pu communier et recevoir l’extrême onction avant de s'endormir et s'éteindre très paisiblement (comme tu nous l’as communiqué, cher Vincent), il a dû alors redire ces paroles de la liturgie qui habitait son âme de prêtre : « Par lui, avec Lui et en Lui… ».
Puisses-tu bon Père François voir enfin Celui que tu as aimé et fait aimer, puisses-tu aussi continuer à nous accompagner ici-bas dans nos tâtonnements vers la vie avec un grand « V ». Puisses-tu François nous communiquer ton enthousiasme, l’enthousiasme de ta foi, ton unique espérance : le Christ.
Amen.
[1] Ph 1,21
[2] 1 Ts 4,14
[3] Ps 334 (33),5
[4] 1 Ts 4, 13
[5] Hb 6,19
[6] Rm 12,21