Manquerions-nous d’ocytocine ?
Depuis plusieurs semaines, nous vivons au rythme des manifestations contre le projet de réforme des retraites. Ce qui est en cause ne semble pas tant la nécessité d’une réforme - sujet sur lequel tout le monde semble d’accord - que le manque de concertation pour l’élaboration des nouvelles orientations.
A ma grande surprise, lors d’un débat télévisé, j’ai même entendu une personne déclarer que toute concertation avec les syndicats était inutile car on connaissait d’avance leur point de vue. Manquerait-on à ce point de confiance dans le dialogue social qu’il soit impossible de réfléchir ensemble à une réforme que tous reconnaissent pourtant nécessaire ?
Mais les manifestations de ces dernières semaines révèlent un autre malaise, souvent exprimé, mais rarement avec l’ampleur de ces derniers jours. Pour beaucoup, le travail serait devenu une charge pesante dont il faudrait se libérer au plus vite. Charge pesante en raison de la pénibilité du travail mais aussi en raison du stress suscité par l’obligation d’atteindre des objectifs clairement quantifiés ou par des rendements à améliorer. Le travail deviendrait pesant car chacun, en permanence, se sentirait jugé et évalué en fonction des résultats obtenus.
Une évaluation trop personnelle du travail au détriment d’une juste coopération peut-elle engendrer autre chose qu’un mal-être ? Cette souffrance interroge bien sûr la doctrine sociale de l’Église qui affirme notamment que le travail exprime une dimension fondamentale de l’existence humaine comme participation à l’oeuvre de la création et une dimension sociale intrinsèque car travailler, c’est travailler avec les autres et travailler pour les autres !
Une enquête récente, réalisée auprès d’un millier de citoyens de plus de 15 ans vivant dans le sud du Danemark, faisait ressortir que les habitants de cette région font une grande confiance à leurs voisins et participent amplement à la vie sociale. Un professeur de sciences politiques, Gerg Tinggaard Svendsen, commentant cette enquête, rappelait que « la confiance et la coopération sont un peu grisantes. En effet, une substance libérée par le cerveau lorsque nous coopérons, l’ocytocine, procure une sensation de bien-être. Cela cadre avec ce qu’expriment les travailleurs bénévoles : faire quelque chose pour autrui leur apporte de l’énergie ». Et ce professeur de penser que nous devons considérer la confiance comme une ressource importante pour l’économie et le bien-être, avant de conclure : « Nous devons sauvegarder cette matière première danoise ».
En France, parmi toutes les « matières premières » dont nous avons besoin pour répondre aux nouvelles questions d’aujourd’hui et développer notre croissance économique, n’avons-nous pas trop négligé l’ocytocine ?
+ Pascal Delannoy
Evêque de Saint-Denis-en-France